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Chambord le 20 et le 21, puis à Saint-Germain-en-Laye le 9, le 11 et le 13 novembre. Lorsque la cour fut bien rassasiée de ce spectacle, Molière fut autorisé à en réjouir la ville. Le Bourgeois gentilhomme fut donné au Palais-Royal le 23 novembre, et y reçut un joyeux accueil.

Louis XIV avait fait construire aux Tuileries, sur les plans de Gaspard Vigarani, la vaste salle des machines destinées à la représentation des pièces à grand spectacle. Molière fut chargé d'inaugurer cette salle. La fable de Psyché, dont La Fontaine avait fait un roman mis au jour l'année précédente, fut le sujet qu'il choisit; mais, comme le temps lui manquait pour écrire la pièce tout entière, il prit pour collaborateur Pierre Corneille, qui avait alors soixante-cinq ans. Quinault composa les vers destinés à être chantés. Lulli fit la musique. La tragédie-ballet de Psyché parut aux Tuileries dans toute la splendeur de sa mise en scène en janvier 1671.

La troupe, par une délibération qui est mentionnée sur le registre de La Grange, résolut de représenter la nouvelle tragi-comédie sur le théâtre du Palais-Royal. Il fallut, bien entendu, rabattre un peu des magnificences et des enchantements de la première mise en scène. On s'imposa pourtant des sacrifices, puisque, sans parler des frais extraordinaires, les frais ordinaires s'élevèrent pour cette pièce au chiffre de 351 livres par jour.

Voici un extrait de la délibération consignée sur le registre de La Grange :

« Ledit jour, mercredi, 15° d'avril, après une délibération de la compagnie de représenter Psyché, qui avoit été faite pour le roi l'hiver dernier, et représentée sur le grand théâtre du palais des Tuileries, on commença à faire travailler tant aux machines, décorations, musique, ballet, et généralement tous les ornements nécessaires pour ce grand spectacle.

« Jusques ici, les musiciens et musiciennes n'avoient point voulu paroître en public; ils chantoient à la comédie dans des loges grillées et treillissées; mais on surmonta cet obstacle et avec quelque

légère dépense on trouva des personnes qui chantèrent sur le théâtre à visage découvert, habillées comme les comédiens, savoir :

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« Tous lesdits frais et dépenses pour la préparation de Psyché, en charpenterie, menuiserie, bois, serrurerie, peintures, toiles, cordages, contrepoids, machines, ustensiles, bas de soie pour les danseurs et musiciens, vins des répétitions, plaques de fer-blanc, ouvriers, fils de fer et laiton, et généralement toutes choses, se sont montées à la somme de quatre mille trois cent cinquante neuf livres un sol.

« Frais ordinaires... En tout, 351 livres.

« Dans le cours de la pièce, M. de Beauchamps (c'était le premier danseur de l'époque et le maître à danser du roi) a reçu de récompense, pour avoir fait le ballet et conduit la musique, onze cents. livres, non compris les onze livres par jour que la troupe lui a données, tant pour battre la mesure à la musique que pour entretenir les ballets. >>

On voit combien le théâtre était différent de ce que nous l'avons vu au début de cet ouvrage, et quels progrès avaient faits tous les arts qui s'y rattachent.

Psyché y fut jouée le 24 juillet, et n'eut pas moins de trente-huit représentations consécutives. C'était, en ce temps-là, un grand succès.

Ce fut Baron qui joua le rôle de l'Amour, tant à la cour qu'à la ville. Nous avons dit qu'il était rentré dans la troupe peu après Pâques de 1670. Baron avait alors de dix-sept à dix-huit ans. Il était né en 1653. Il était déjà le séduisant jeune premier qui faisait tourner toutes les têtes féminines. D'une taille avantageuse, d'une figure à la fois correcte et expressive, il fut, dans ce rôle de l'Amour, ravissant de grâce et de jeunesse. Armande Béjart remplissait celui de Psyché avec non moins de charme. Ce libelle de la Fameuse

Comédienne, dont nous avons déjà parlé, raconte que, dans ces représentations, l'aversion qui existait entre ces deux personnages se changea en un sentiment tout contraire.

<< Les louanges communes qu'on leur donnoit les obligèrent de s'examiner de leur côté avec plus d'attention et même avec quelque sorte de plaisir. Baron n'est pas cruel; il se fut à peine aperçu du changement qui s'étoit fait dans le cœur de la Molière en sa faveur qu'il y répondit aussitôt. 11 fut le premier qui rompit le silence par le compliment qu'il lui fit sur le bonheur qu'il avoit d'avoir été choisi pour représenter son amant; qu'il devoit l'approbation du public à cet heureux hasard; qu'il n'étoit pas difficile de jouer un personnage que l'on sentoit naturellement, et qu'il seroit toujours le meilleur acteur du monde si l'on disposoit les choses de la même manière. La Molière répondit que les louanges qu'on donnoit à un homme comme lui étoient dues à son mérite, et qu'elle n'y avoit nulle part; que cependant la galanterie d'une personne qu'on disoit avoir tant de maîtresses ne la surprenoit pas, et qu'il devoit être aussi bon comédien auprès des dames qu'il l'étoit sur le théâtre.

« Baron, à qui cette manière de reproche ne déplaisoit pas, lui dit de son air indolent qu'il avoit à la vérité quelques habitudes que l'on pouvoit nommer bonnes fortunes, mais qu'il étoit prêt à lui tout sacrifier, et qu'il estimoit davantage la plus simple de ses faveurs que le dernier emportement de toutes les femmes avec qui il étoit bien, et dont il lui nomma aussitôt les noms par une discrétion qui lui est naturelle. La Molière fut enchantée de cette préférence, et l'amourpropre, qui embellit tous les objets qui nous flattent, lui fit trouver un appas sensible dans le sacrifice qu'il lui offroit de tant de rivales. >>

Il eût été bien difficile que, dans le monde des coulisses d'où le libelle de la Fameuse Comédienne est sorti, le double succès de Psyché et de l'Amour n'eût pas donné lieu à ce bruit. Il suffit d'avoir indiqué la source de l'anecdote pour permettre d'en apprécier la valeur.

Depuis plus de trois ans, Molière travaillait pour les divertisse

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