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comédiens établies à l'hôtel de Bourgogne et dans l'hôtel de Guénégaud à Paris pour n'en faire à l'avenir qu'une seule, afin de rendre les représentations des comédies plus parfaites par le moyen des acteurs et des actrices auxquels elle a donné place dans ladite troupe (1); Sa Majesté a ordonné et ordonne qu'à l'avenir lesdites deux troupes de comédiens françois seront réunies pour n'en faire qu'une seule et même troupe, et sera composée des acteurs et actrices dont la liste est ci-dessus arrêtée par Sa Majesté; et pour leur donner moyen de se perfectionner de plus en plus, Sa Majesté veut que ladite seule troupe puisse représenter des comédies dans Paris, faisant défense à tous autres comédiens françois de s'établir dans ladite ville de Paris et faubourgs, sans ordre exprès de Sadite Majesté. Enjoint Sa Majesté au sieur de la Reynie, etc. Fait à Versailles, le 21 octobre 1680. Signe: Louis, et au bas COLBERT. »

<«< C'est ainsi, dit M. Régnier, qu'en bien peu d'années la troupe de Molière eut absorbé les deux théâtres qu'à son arrivée à Paris elle avait trouvés en possession de la faveur publique. >>

La troupe paya 800 livres aux comédiens italiens, qui allèrent s'établir à l'hôtel de Bourgogne, et elle eut seule la jouissance de son théâtre. Elle joua tous les jours. Un brevet du 24 août 1682 lui assura une pension annuelle de 12,000 livres.

A quelque temps de là, lorsqu'il s'agit d'ouvrir le collège Mazarin ou des Quatre-Nations, enfin terminé, l'Université exigea que la comédie fût éloignée du nouvel établissement; et le roi fit signifier aux comédiens, le 20 juillet 1687, de s'aller loger en un autre endroit.

Thalie et Melpomène errantes cherchèrent longtemps un asile. Racine écrivait à Boileau à la date du 8 août : « La nouvelle qui fait ici le plus de bruit, c'est l'embarras des comédiens, qui sont obligés de déloger de la rue Guénégaud, à cause que messieurs de Sorbonne, en acceptant le collège des Quatre-Nations, ont demandé pour première condition qu'on les éloignàt de ce collège. Ils ont déjà marchandé des places dans cinq ou six endroits; mais partout où ils vont, c'est mer

(1) Ce système d'amélioration ne parait pas avoir eu grand succès, au jugement de Louis XIV lui-même. On lit dans le Journal du marquis de Dangeau, sous la date du 9 octobre 1700: « Le roi, qui n'avoit paru à aucune comédie depuis lontgemps, vit, dans la tribune de la duchesse de Bourgogne, les trois premiers actes de l'Avare; mais il ne trouva pas que les comédiens la jouassent bien. Mme la duchesse de Bourgogne le pressa fort de rester jusqu'à la fin, mais il ne put s'y résoudre. »

veille d'entendre comme les curés crient. Le curé de Saint-Germainl'Auxerrois a déja obtenu qu'ils ne seroient point à l'hôtel de Sourdis, parce que de leur théâtre on auroit entendu tout à pleins les orgues, et de l'église on auroit entendu parfaitement les violons. Enfin ils en sont à la rue de Savoie, dans la paroisse de Saint-André. Le curé a été aussi au roi lui représenter qu'il n'y a tantôt plus dans sa paroisse que des auberges et des coquetiers; si les comédiens y viennent, que son église sera déserte. Les grands augustins ont été aussi au roi, et le père Lembrochons, provincial, a porté la parole; mais on dit que les comédiens ont dit à Sa Majesté que ces mêmes augustins, qui ne veulent pas les avoir pour voisins, sont fort assidus spectateurs de la comédie, et qu'ils ont même voulu vendre à la troupe des maisons qui leur appartiennent dans la rue d'Anjou, pour y bâtir un théâtre, et que le marché seroit déjà conclu si le lieu eût été plus commode. M. de Louvois a ordonné à M. de La Chapelle de lui envoyer le plan du lieu où ils veulent bâtir dans la rue de Savoie. Ainsi, on attend ce que M. de Louvois décidera. Cependant l'alarme est grande dans le quartier; tous les bourgeois qui sont gens de palais, trouvent fort étrange qu'on vienne embarrasser leurs rues. M. Billard (1) surtout, qui se trouvera vis-à-vis de la porte du parterre, crie fort haut; et quand on lui a voulu dire qu'il en auroit plus de commodité pour s'aller divertir quelquefois, il a répondu fort tragiquement: « Je ne veux point me divertir! »

La troupe de Guénégaud trouva enfin un refuge au jeu de paume de l'Étoile, situé dans la rue des Fossés-Saint-Germain-des-Prés (à présent rue de l'Ancienne-Comédie). Sur l'emplacement de ce jeu de paume et de deux maisons voisines, fut construite la salle qu'on inaugura, le 18 avril 1689, par Phedre et le Médecin malgré lui, et dans laquelle pendant près de cent ans la Comédie française eut sa résidence.

Les comédiens italiens, qui étaient demeurés en possession de l'hôtel de Bourgogne, furent expulsés en 1697. Les comédiens espagnols avaient quitté la France au printemps de l'année 1673. Nous avons dit (2) qu'au commencement du règne de Louis XIV, dans les années qui suivirent le retour de Molière à Paris, il y eut en cette ville jusqu'à six théâtres, dont quatre d'acteurs français et deux d'acteurs étrangers. A la fin du

(1) Avocat alors en renom.

(2) Page 140, note 1.

siècle, il n'en subsistait plus qu'un seul (à ne point compter l'Académie de musique). On voit combien le théâtre avait perdu de la faveur dont il avait joui sous le gouvernement des cardinaux ministres, et que si Molière pressentit dans un avenir peu éloigné un péril pour son art, il n'eut point tout à fait tort. Encore un peu d'années, et l'héritier présomptif de la couronne, le duc de Bourgogne, allait montrer des dispositions de plus en plus menaçantes : « L'on sait qu'il s'est répandu un bruit, mais bien fondé, l'année dernière (1711), que les comédiens, après la mort de Monseigneur, ayant demandé à notre prince l'honneur de sa protection, surtout pour obtenir du roi une seconde troupe, il leur répondit qu'ils ne doivent nullement compter sur sa protection; qu'il n'étoit pas en son pouvoir d'empêcher leurs exercices, mais ne pouvoit se dispenser de leur dire qu'il étoit indigne qu'ils les fissent, particulièrement fêtes et dimanches (1). » Cette question de la comédie lui tenait à cœur. Me de Maintenon, qui s'en préoccupait aussi, et qui n'aurait voulu, pour son compte, que des pièces saintes, des comédies de couvent, lui demandait un jour : « Mais vous, Monseigneur, que ferez-vous quand vous serez le maître? Défendrez-vous l'opéra, la comédie et les autres spectacles? Bien des gens, répondit le prince, prétendent que, s'il n'y en avoit point, il y auroit encore de plus grands désordres à Paris : j'examinerois, je pèserois mûrement le pour et le contre, et je m'en tiendrois au parti qui auroit le moins d'inconvénients. » Et son biographe ajoute que ce parti eût été sans doute celui de laisser subsister le théâtre, en le réformant sur le modèle des pièces composées pour Saint-Cyr.

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Terminons ce chapitre par quelques mots sur les migrations de la Comédie française, qui recommencèrent dans la seconde partie du XVIIIe siècle. Elle quitta la rue des Fossés-Saint-Germain en 1770 et s'établit, avec l'agrément du roi, dans la salle des Machines aux Tuileries, où elle demeura jusqu'au 9 avril 1782. A cette époque, elle se transporta au nouveau théâtre que les architectes Peyre et de Wailly lui avaient bâti sur l'emplacement de l'hôtel de Condé, et qui porte aujourd'hui le nom d'Odéon. Bouleversée par la loi de 1791 qui proclama la liberté des théâtres, déchirée par les haines politiques, la troupe fut

(1) Memoire des principaux actes de vertu qu'une personne de probité a remarqués en feu Monseigneur le Dauphin (1712).

emprisonnée pendant la Terreur. Rendue à la liberté, elle resta divisée. et se partagea entre la salle du faubourg Saint-Germain (Odéon), le théâtre Feydeau, et un nouveau théâtre, élevé rue Richelieu, qui portait le nom de théâtre de la République. Le gouvernement du Directoire parvint, par les soins de M. Mahérault, son commissaire, à rassembler rue Richelieu les débris épars de l'ancienne société, pour en reformer la Comédie française qui a subsisté jusqu'à nos jours. Celle-ci, malgré de nombreuses vicissitudes, est donc vraiment fille de Molière, et elle tire de cette origine non seulement une illustration et une noblesse dont elle a droit d'être fière, mais encore des obligations et des devoirs dont elle ne saurait s'affranchir.

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