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quelques jours, pour vous dérober aux recherches que je ferai moi même obligé de faire: voilà une lettre pour un Religieux de la maifon à qui vous pouvez vous confier. J'errai encore longtems autour du Château, je ne pouvois me réfoudre à m'en éloigner; mais le defir de savoir des nouvelles d'Adélaïde, me détermina enfin à prendre la route du Couvent.

J'y arrivai à la pointe du jour. Ce Religieux, après avoir lu la lettre de Dom Gabriel, m'emmena dans une chambre. Mon extrême abattement, & le fang qu'il apperçut fur mes habits, lui firent craindre que je ne fuffe bleffé. Il me le demandoit, quand il me vit tomber en foibleffe; un domeftique qu'il appella & lui, me mirent au lit. On fit venir le Chirurgien de la maison pour visiter ma playe; elle s'étoit extrêmement envenimée par le froid & par la fatigue que j'avois foufferts.

Quand je fus feul avec le Pere à qui j'étois adreffé, je le priai d'envoyer à une maifon du Village que je lui indiquai, pour s'informer de Saint-Laurent: j'avois jugé qu'il s'y feroit réfugié; je ne m'étois pas trompé, il vint avec l'homme que j'avois envoyé. La douleur de ce pauvre Garçon fut extrême, quand il fut que j'étois bleffé: il s'approcha de mon lit, pour s'informer de mes nouvelles. Si vous voulez me fauver la vie, lui dis-je,-il faut m'apprendre dans quel état eft Madame de Bénavidés: fachez ce qui fe paffe, ne perdez pas un moment pour m'en éclaircir; & fongez que ce que je fouffre, eft mille fois pire que la mort. Saint-Laurent me promit. de faire ce que je fouhaitois: il fortit dans l'inftant, pour prendre les mefures néceffaires.

Cependant, la fiévre me prit avec beaucoup de violence: ma playe parut dangereufe, on fut obligé de me faire de grandes incifions; mais les maux de l'efprit me laiffoient à peine sentir ceux du corps

Madame de Bénavidés, comme je l'avois vue en fortant de fa chambre fondant en larmes,

fé, ne me fortoit pas un moment de l'ée

fur le plancher auprès de fon Mari que j'avois blef

je re

paffois les malheurs de fa vie, je me trouvois partout; fon mariage, le choix de ce mari le plus jaloux, le plus bizarre de tous les hommes, s'étoit fait pour moi; & je venois de mettre le comble à tant d'infortunes, en expofant fa réputation. Je me rappellois enfuite la jaloufie que je lui avois marquée: quoiqu'elle n'eût duré qu'un moment, quoiqu'un feul mot l'eût fait ceffer, je ne pouvois me la pardonner. Adélaïde me devoit regarder com me indigne de fes bontés, elle devoit me haïr. Cette idée, fi accablante, je la foutenois par la rage dont j'étois animé contre moi-même.

Saint-Laurent revint au bout de huit jours: il me dit que Bénavidés étoit très mal de fa bleffure, que fa Femme paroiffoit inconfolable, que Dom Gabriel faifoit mine de nous faire chercher avec foin. Ces nouvelles n'étoient pas propres à me calmer: je ne favois ce que je devois defirer, tous les événemens étoient contre moi: je ne pouvois même fouhaiter la mort; il me fembloit que je me devois à la juftification de Madame de Bénavidés.

Le Religieux, qui me fervoit, prit pitié de moi: il m'entendoit foupirer continuellement, il me trouvoit presque toujours le vifage baigné de larmes. C'étoit un homme d'efprit, qui avoit été longtems dans le monde, & que divers accidens avoient conduit dans le Cloître. Il ne chercha point à me confoler par fes difcours, il me montra feulement de la fenfibilité pour mes peines: ce moyen lui réuffit, il gagna peu à peu ma confiance; peut-être auffi ne la dût il qu'au befoin que j'avois de parler & de me plaindre. Je m'attachois à lui à mesure que je lui contois mes malheurs: il me devint fi néceffaire au bout de quelques jours, que je ne pouvois

confentir à le perdre un moment. Je n'ai jamais vu dans perfonne plus de vraie bonté: je lui répétois mille fois les mêmes chofes, il m'écoutoit, il entroit dans mes fentimens.

C'étoit par fon moyen que je favois ce qui fe paffoit chez Bénavidés: fa bleffure le mit longtems dans un très-grand danger. Il guérit enfin. J'en appris la nouvelle par Dom Jérôme (c'étoit le nom de ce Religieux); il me dit enfuite, que tout paroiffoit tranquille dans le Château; que Madame de Bénavidés vivoit encore plus retirée qu'auparavant; que fa fanté étoit très-languiffante: il ajouta, qu'il faloit que je ne difpofaffe à m'éloigner auffi-tôt que je le pourrois; que mon féjour pouvoit être découvert, & caufer de nouvelles peines à Madame de Bénavidés.

Il s'en faloit bien que je ne fuffe en état de partir; j'avois toujours la fiévre, ma playe ne se refermoit point. J'étois dans cette maifon depuis deux mois, quand je m'apperçus un jour, que Dom Jérôme étoit trifte & rêveur: il détournoit les yeux, il n'ofoit me regarder, il répondoit avec peine à mes queftions: j'avois pris beaucoup d'amitié pour lui; d'ailleurs les malheureux font plus fenfibles que les autres. J'allois lui demander le fujet de fa mélancolie, lorfque Saint-Laurent, en entrant dans ma chambre, me dit que Dom Gabriel étoit dans la maifon, qu'il venoit de le rencontrer.

Dom Gabriel eft ici, dis-je en regardant Dom Jérômo, & vous ne m'en dites rien! pourquoi ce miftere? Vous me faites trembler! Que fait Madame de Bénavidés? par pitié, tirez-moi de la cruelle incertitude où je fuis. Je voudrois pouvoir vous y laiffer toujours, me dit enfin Dom Jérôme en m'embraffant. Ah! m'écriai-je, elle eft morte: Bénavidés l'a facrifiée à fa fureur. Vous ne me répondez point! Hélas! je n'ai donc plus d'espérance

Non, ce n'eft point Bénavidés, reprenois-je; c'eft moi qui lui ai plongé le poignard dans le fein: fans mon amour elle vivroit encore. Adélaïde eft mor

te, je ne la verrai plus, je l'ai perdue pour jamais! Elle eft morte, & je vis encore! que tardai-je à la fuivre! que tardai-je à la venger! mais non, ce seroit me faire grace que de me donner la mort: ce feroit me féparer de moi-même, qui me fais horreur, L'agitation violente dans laquelle j'étois, fit rou vrir ma playe, qui n'étoit pas encore bien fermée: je perdis tant de fang, que je tombai en foibleffe; elle fut fi longue, que l'on me crut mort: je revins enfin après plufieurs heures. Dom Jérôme craignit que je n'entrepriffe quelque chofe contre ma vie, il chargea Saint-Laurent de me garder à vue. Mon défefpoir prit alors une autre forme. Je reftai dans un morne filence. Je ne répandois pas une larme. Ce fut dans ce tems que je fis dessein d'aller dans quelque lieu où je puffe être en proye à toute ma douleur. J'imaginois prefque un plaisir à me rendre encore plus miférable que je ne l'étois.

Je fouhaitai de voir Dom Gabriel, parce que fa vue devoit encore augmenter ma peine; je priai Dom Jérôme de l'amener: ils vinrent enfemble dans na chambre le lendemain. Dom Gabriel s'aflit au près de mon lit: nous reftâmes tous deux affez longtems fans nous parler; il me regardoit avec des yeux pleins de larmes: je rompis enfin le filence. Vous êtes bien généreux, Monfieur, de voir un miférable pour qui vous devez avoir tant de haine. Vous êtes trop malheureux, me répondit-il, pour que je puiffe vous hair. Je vous fupplie, lui disje, de ne me laiffer ignorer aucune circonftance de mon malheur; l'éclairciffement que je vous demande, préviendra peut-être des événemens que vous avez intérêt d'empêcher. J'augmenterai mės peines & les vôtres, me répondit-il: n'importe, il faut vous fatisfaire, vous verrez dumoins dans le récit

que je vais vous faire, que vous n'êtes pas feul à plaindre; mais, je fuis obligé pour vous apprendre tout ce que vous voulez favoir, de vous dire un mot de ce qui me regarde.

Je n'avois jamais vu Madame de Bénavidés, quand elle devint, ma belle four: mon frere, que des affaires confidérables avoient attiré à Bourdeaux, en devint amoureux; & quoique fes Rivaux euffent autant de naissance & de bien, & lui fuffent préférables par beaucoup d'autres endroits, je ne fai par quelle raifon le choix de Madame de Bénavidés fut pour lui. Peu de tems après fon mariage, il l'amena dans fes terres; c'eft-là où je la vis pour la premiere fois: fi fa beauté me donna de l'admiration, je fus encore plus enchanté des graces de son efprit, & de fon extrême douceur, que mon frere mettoit tous les jours à de nouvelles épreuves. Cependant l'amour que j'avois alors pour une très-aimable perfonne, dont j'étois tendrement aimé, me faifoit croire que j'étois à l'abri de tant de charmes ; j'avois même deffein d'engager ma beile-four à me fervir auprès de fon Mari, pour le faire confentir à mon mariage. Le Pere de ma maîtreffe, offenfé des refus de mon frere, ne m'avoit donné qu'un tems très-court pour les faire ceffer, & m'avoit déclaré & à fa fille, que, ce tems expiré, il la marieroit à un autre.

L'amitié que Madame de Bénavidés me témoignoit, me mit bien-tôt en état de lui demander fon fecours j'allois fouvent dans fa chambre dans le deffein de lui en parler, & j'étois arrêté par le plus léger obftacle. Cependant le tems qui m'avoit été prefcrit, s'écouloit; j'avois reçu plufieurs lettres de ma Maitreffe, qui me preffoit d'agir: les réponses que je lui faifois, ne la fatisfirent pas, il s'y glif foit, fans que je m'en apperçuffe, une froideur qui m'attira des plaintes; elles me parurent injuftes, je lui en écrivis fur ce ton. Elle fe crut abandonnée;

&

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