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Fun & l'autre, & je revenois le cœur encore plus plein de tristeffe.

Il y avoit trois années que je menois cette vie, fans que mes peines euffent eu le moindre adouciffement, quand je fus appellé par le fon de la cloche pour affifter à la mort d'un Religieux: il étoit déja couché fur la cendre, & on alloit lui adminiftrer le dernier Sacrement, lorfqu'il demanda au Pere Abbé la permiffion de parler.

Ce que j'ai à dire, mon Pere, ajouta-t-il, animera d'une nouvelle ferveur ceux qui m'écoutent, pour celui qui par des voyes fi extraordinaires m'a tiré du profond abime où j'étois plongé, pour me conduire dans le port du falut. Il continua ainfi :

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Je fuis indigne de ce nom de Frere, dont ces faints Religieux m'ont honoré: vous voyez en moi une malheureufe Péchereffe, qu'un amour profane a conduit dans ces faints lieux. J'aimois, & j'étois aimée d'un jeune homme d'une condition égale à la mienne: la haine de nos Peres mit obstacle à notre mariage. Je fus même obligée, pour l'intérêt de mon Amant, d'en époufer un autre. Je cherchai, jufques dans le choix de mon Mari à lui donner des preuves de mon fol amour: celui qui ne pouvoit m'infpirer que de la haine, fut préféré, parce qu'il ne pouvoit lui donner de jaloufie. Dieu a permis qu'un mariage, contracté par des vues fi criminelles, ait été pour moi une fource de malheurs. Mon Mari & mon Amant fe blefferent à mes yeux; le chagrin que j'en conçus, me rendit malade. Je n'étois pas encore rétablie, quand mon Mari m'enferma dans une tour de fa maison, & me fit paffer pour morte. Je fus deux ans en ce lieu, fans autre confolation que celle que tâchoit de me donner celui qui étoit chargé de m'apporter ma nourriture. Mon Mari, non content des maux qu'il me faifoit fouffrir, avoit encore la cruauté d'infulter à ma mifere: mais, que dis-je,

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mon Dieu! j'ofe appeler cruauté l'inftrument dont vous vous ferviez pour me punir. Tant d'afflictions ne me firent point ouvrir les yeux fur mes égaremens bien loin de pleurer mes péchés, je ne pleurois que mon Amant. La mort de mon Mari me mit enfin en liberté: le même domeftique, feul inftruit de ma deftinée, vint m'ouvrir ma prifon, & m'apprit que j'avois paffé pour morte dès l'inftant qu'on m'avoit enfermée. La crainte des difcours que mon avanture feroit tenir de moi, me fit penfer à la retraite; & pour achever de m'y déterminer, j'appris qu'on ne favoit aucune nouvelle de la feule perfonne qui pouvoit me retenir dans le monde. Je pris un habit d'homme, pour fortir avec plus de facilité du Château. Le Couvent que j'avois choifi, & où j'avois été élevée, n'étoit qu'à quelques lieues d'ici: j'étois en chemin pour m'y rendre, quand un mouvement inconnu m'obligea d'entrer dans cette Eglife. peine y étois-je, que je diftinguai parmi ceux qui chantoient les louanges du Seigneur, une voix trop accoutumée à aller jufqu'à mon cœur: je crus ètre féduite par la force de mon imagination; je m'approchai, & malgré le changement que le tems & les auftérités avoient apporté fur fon vilage, je reconnus ce féducteur fi cher à mon fouvenir. Que devins-je, grand Dieu, à cette vue! De quel trouble ne fus-je point agitée! Loin de bénir le Seigneur de l'avoir mis dans la voye fainte, je blasphémai contre lui de me l'avoir ôté. Vous ne punîtes pas mes murmures impies, ô mon Dieu, & vous vous fervîtes de ma propre mifere pour m'attirer à vous! Je ne pus m'éloigner d'un lieu qui renfermoit ce que j'aimois; & pour ne m'en plus féparer, après avoir congédié mon conducteur, je me préfentai à vous, mon Pere. Vous fûtes trompé par l'empreffement que je montrois pour être admis dans votre maifon; vous m'y reçûtes. Quelle

étoit la difpofition que j'apportois à vos faints exercices? Un coeur plein de paffion, tout occupé de ce qu'il aimoit. Dieu, qui vouloit en m'abandonnant à moi-même me donner de plus en plus des raifons de m'humilier un jour devant lui, permettoit fans doute ces douceurs empoisonnées, que je goûtois à refpirer le même air, à être dans le même lieu. Je m'attachois à tous fes pas, je l'aidois dans fon travail autant que mes forces pouvoient me le permettre, & je me trouvois dans ces momens payée de tout ce que je fouffrois. Mon égarement n'alla pourtant pas jufqu'à me faire connoître mais quel fut le motif qui m'arrêta? la crainte de troubler le repos de celui qui m'avoit fait perdre le mien; fans cette crainte, j'aurois peut-être tout tenté pour arracher à Dieu une ame que je croyois qui étoit toute à lui.

Il y a deux mois que, pour obéir à la régle du faint Fondateur, qui a voulu par l'idée continuelle de la mort fanctifier la vie de ces Religieux, il leur fut ordonné à tous de fe creufer chacun leur tombeau. Je fuivois, comme à l'ordinaire, celui à qui j'étois liée par des chaînes fi honteufes : la vue de ce tombeau, l'ardeur avec laquelle il le creufoit, me pénétrerent d'une affliction fi vive, qu'il falut m'éloigner pour laiffer couler des larmes qui pouvoient me trahir. Il me fembloit depuis ce moment, que j'allois le perdre: cette idée ne m'abandonnoit plus, mon attachement en prit encore de nouvelles forces, je le fuivois par-tout; & fi j'étois quelques heures fans le voir, je croyois que je ne le verrois plus.

Voici le moment heureux que Dieu avoit préparé pour l'attirer à lui. Nous allions dans la forêt couper du bois pour l'ufage de la maison, quand je m'apperçus que mon compagnon m'avoit quittée; mon inquiétude m'obligea à le chercher. Après avoir parcouru plufieurs routes du bois, je

le vis dans un endroit écarté, occupé à regarder quelque chofe qu'il avoit tiré de fon fein. Sa rêverie étoit fi profonde, que j'allai à lui, & que j'eus le tems de confidérer ce qu'il tenoit, fans qu'il m'apperçût. Quel fut mon étonnement, quand je reconnus mon portrait! Je vis alors que, bien loin de jouir de ce repos, que j'avois tant craint de troubler, il étoit, comme moi, la malheureuse victime d'une paflion criminelle: je vis Dieu irrité appefantir fa main toute-puiffante fur lui. Je crus que cet amour, que je portois jufqu'aux pieds des autels, avoit attiré la vengeance célefte fur celui qui en étoit l'objet: pleine de cette pensée, je vins me profterner aux pieds de ces mêmes autels, je vins demander à Dieu ma converfion pour obtenir celle de mon Amant. Oui, mon Dieu, c'étoit pour lui que je vous priois, c'étoit pour lui que je verfois des larmes, c'étoit son intérêt qui m'amenoit à vous. Vous eûtes pitié de ma foibleffe: ma priere, toute infuffifante, toute profane qu'elle étoit encore, ne fut pas rejettée, votre grace fe fit fentir à mon cœur. Je goûtai dès ce moment la paix d'une ame qui eft avec vous, & qui ne cherche que vous. Vous voulûtes encore me purifier par des fouffrances, je tombai malade peu de jours après. Si le compagnon de mes égaremeus gémit encore fous le poids du péché, qu'il jette les yeux fur moi, qu'il confidere ce qu'il a fi follement aimé, qu'il penfe à ce moment redoutable où je touche & où il touchera bientôt, à ce jour où Dieu fera taire fa mifericorde, pour n'écouter que fa juftice. Mais je fens que le tems de mon dernier facrifice s'approche: j'implore le fecours des prieres de ces faints Religieux, je leur demande pardon du fcandale que je feur ai donné, & je me reconnois indigne de partager leur fépulture.

Le fon de voix d'Adélaïde, si préfent à mon fou

venir, me l'avoit fait reconnoître dès le premier mot qu'elle avoit prononcé. Quelle expreffion pourroit repréfenter ce qui fe paffoit alors dans mon cœur! Tout ce que l'amour le plus tendre, tout ce que la pitié, tout ce que le défespoir, peuvent faire fentir, je l'éprouvai dans ce moment.

J'étois profterné comme les autres Reiligieux. Tant qu'elle avoit parlé, la crainte de perdre une de fes paroles avoit retenu mes cris; mais, quand je compris qu'elle avoit expiré, j'en fis de fi douloureux, que les Religieux vinrent à moi & me releverent. Je me démêlai de leurs bras, je courus me jetter à genoux auprès du corps d'Adélaïde; je lui prenois les mains que j'arrofois de mes larmes. Je vous ai donc perdue une feconde fois, ma chere Adélaïde, m'écriai-je, & je vous ai perdue pour toujours! Quoi! vous avez été fi longtems auprès de moi, & mon cœur ingrat ne vous a pas reconnue! Nous ne nous féparerons du-moins jamais; la mort, moins barbare que mon Pere, ajoûtai-je en la ferrant entre mes bras, va nous unir malgré lui.

La véritable piété n'est point cruelle. Le Pere Abbé, attendri de ce fpectacle, tâcha par les exhortations les plus tendres & les plus chrétiennes, de me faire abandonner ce corps, que je tenois étroitement embraffé. Il fut enfin obligé d'y employer la force: on m'entraîna dans une cellule, où le Pere Abbé me fuivit: il paffa la nuit avec moi, fans pouvoir rien gagner fur mon efprit. Mon défefpoir fembloit s'accroitre par les confolations qu'on vouloit me donner. Rendez-moi, lui difois-je, Adélaïde: pourquoi m'en avez-vous féparé? Non, je ne puis plus vivre dans cette maifon, où je l'ai perdue, où elle a fouffert tant de maux. Par pitié, ajoûtai-je en me jettant à fes pieds, permettez-moi d'en fortir: que feriez-vous d'un miferable, dont le défespoir troubleroit votre

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