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qu'il y pût venir, parce qu'on me dit qu'il étoit à Verfailles.

Je vis paroître avec une extrême joie le jour qui devoit me donner tant de plaifir, & tant de confufion à ma Rivale. Le Préfident n'en eut gueres moins que moi; car il fe perfuada qu'il tireroit de grands avantages de cette partie. Il avoit donné ordre à fes Officiers d'aller l'attendre chez lui, & de nous aprêter à manger; mais je fis fi bien, qu'un de mes laquais les amufa en chemin; & me chargeant d'appaifer le Préfident s'il s'en mettoit en colere, j'allai prendre la Princeffe, à qui je dis que nous n'allions pas à Ruël, parce que la Ducheffe d'Aiguillon y étoit. Ele fe laiffa conduire où l'on voulut, car elle cft femme d'une facile défaite. Nous allâmes trouver le Profident, qui nous attendoit à la Porte Saint Antoine avec l'Abbé B***, & nous commençames notre voyage avec affez de gaieté; le Préfident, par des vaines cfpérances, la Princeffe, par l'envie de fe divertir, & moi, par la penfée de me venger pleinement de la Présidente & de mon periide Amant. L'Abbé B*** ne fut pas de fon côté fans plaifir, puifqu'il fe donna celui de réciter toute une Piéce de Théatre, qu'il avoit achevée depuis peu de jours. Ce pendant il me paffoit par l'efprit de malignes joies qui me faifoient faire des éclats de rire, dont il n'y avoit perfonne qui pût pénétrer la caufe. Nous découvrîmes enfin la maison, & nous y entràmes fans être apperçus; car ce voyage fe fit dans une faifon où tout le monde étoit occupé à la campagne. Les gens de la Présidente l'etoient auffi à lui préparer un léger repas.

De l'anti-cour nous paràmes à pied dans la cour d'honneur, où la Préfidente & ia Princeffe eurent le plaifir de voir les laquais du Prince & le caroffe de la Préfidente. Quelque furprife que cette vue leur caufât, elle ne fuffiioit pas pour me fa

tisfaire. Il falloit qu'ils en viffent davantage; & pour ne donner le tems à perfonne d'aller avertir nos Amans de la compagnie qui leur étoit arrivée, je pris les devans pendant que le Préfident interrogeoit un des laquais de fa Femme. La Princeffe me fuivit, & nous allâmes avec toute la diligence que l'on peut s'imaginer dans un appartement bas que nous trouvâmes ouvert. Nous traverfàmes une grande falle, & plufieurs chambres, fans y rencontrer perfonne. Je commençois à craindre que nous ne nous fuflions mépris; mais, enfin, j'ouvris la porte d'un cabinet, où la Princeffe, le Préfident, & moi, trouvâmes le Prince & la Préfidente tête-à-tête.

Elle n'en parut, ni émue, ni furprise, & me dit avec une hardieffe étonnante: Vous ne penfiez pas, Madame, rencontrer ici fi bonne compagnie. Je n'ai pas voulu, continua-t-elle, que vous priffiez la peine de venir dans une maifon où j'ai quelque part, fans m'y trouver pour en faire les honneurs. Je vous avoue, Madame, que, de la maniere "dont la Préfidence me parla, je penfai oublier que je n'y étois venue que pour la furprendre. Elle fontint l'avanture fans être déconcertée; & fon air ouvert, & qui n'avoit rien d'embarraffé, auroit confondu l'innocence même. Elle dit enfuite mille chofes extravagantes au Préfident, à la Prin. ceffe, & à moi, fans épargner même l'Abbé B***. Et quand le pauvre Mari lui demanda ce qui l'avoit empêchée d'aller à St. Cyr, & pourquoi elle étoit enfermée avec le Prince, elle repondit qu'elle vouloit fe defabufer de ma conduite, & voir ellemême que j'étois indigne de fon amitié. Pendant que la Préfidente & fon Epoux, fe difoient tout ce que l'effronterie & la jaloufie font capables d'infpirer à des gens qui font poffédés de l'une, & engagés à foutenir l'autre, la Princefle fe crut obligée d'entrer avec fon Mari en des raifonnemens de

même

nature; & fans aucun égard à la Principauté dont il l'avoit fi glorieufement revêtue, elle lui dit quantité de chofes qui obfcurciffoient un peu ce titre éclatant. Le dénouement n'auroit pas été dans les régles, ni ma vengeance parfaite, fi le Duc eût négligé de venir. Il avoit reçu mon billet en revenant de Verfailles, & il lui avoit été aifé de comprendre que je ne lui avois pas écrit, fans avoir deffein d'éclairer fes foupçons fur l'infidélité de la Présidente, qui depuis quelques jours lui faifoit entendre qu'un véritable remords la preffoit de rompre un commerce, qu'elle ne pouvoit accorder avec la piété.

Le Duc, ne la croyant pas dans ces fentimens, avoit fort envie de la convaincre. Ce fut pour cela qu'il prit feulement le tems de changer d'habit, & que montant à cheval avec un feul Page, il vint à toute bride où il étoit fûr de me trouver. Il ne pouvoit arriver plus à propos pour s'inftruire. Il n'eut qu'à donner un peu d'attention, on lui eut bientôt appris ce qu'il ignoroit.

Ce fut la Princeffe, qui prit le foin de l'en informer. Le Duc n'eft pas homme à pardonner aifément les fautes de cette nature; & s'il n'épargne pas les innocentes, on peut juger de ce qu'il fait contre les coupables. Il crut n'avoir point à balancer. Il s'abandonna au plaifir de la vengeance: & fans confidérer que l'Amant & le Mari l'écoutoient, il prit la parole de ce ton railleur qui lui eft naturel, auffi bien qu'à tous ceux qui font voifins de la Garonne. Madame, dit-il en s'adreffant à la Préfidente, je venois pour participer aux douceurs de vos méditations, vous demander quel fruit vous en avez tiré, & fi elles ont achevé de détruire l'amour que vous m'avez si souvent jurée: mais je vois bien, continua-t-il, que votre nou. veau Directeur a plus de part au changement de votre conduite, que les faintes réfolutions que vous

m'avez oppofées, & qu'il a tout-à-fait éteint des feux que j'avois, à mon avis, affez bien entretenus depuis un an. Je vous dirai même, que je vous voyois fans chagrin reprendre une route dont je croyois vous avoir tirée: mais je ferois coupable de tous les crimes de votre nouveau commerce, fi je ne vous exhortois à mon tour d'être plus fidèle à Monfieur le Préfident que vous ne l'avez été jufqu'ici; & fi je ne l'avertiffois de ne fe plus laiffer éblouir au faux-brillant d'une vertu imaginaire.

Pendant que le Duc parloit ainfi, ce malheureux Mari, fa Femme, & le Prince, gardoient un filence tout plein de confufion. Ce n'eft pas que les uns & les autres n'euffent affez de chofes à dire; mais on n'eft pas éloquent, lorfqu'on joue le rôle qu'ils jouoient tous trois.

La Princeffe, qui écoutoit le Duc avec un plaifir inconcevable, ne put s'empêcher de s'écrier quand il eut fini: Ah! que Monfieur le Duc a d'efprit! Il n'étoit pas néceffaire qu'elle l'excitât à recommencer un difcours fur lequel il avoit tant de matiere à s'étendre. Quoi! Monfieur le Préfident, reprit-il, êtes-vous infenfible à la conduite de Madame votre Femme, & n'ouvrirez-vous jamais les yeux fur les injuftices qu'elle vous fait? Ne favez-vous pas, que dans le tems que vous aviez un Procès de crime contre un homme de votre profeffion, avec lequel vous ne vouliez point d'acommodement, elle vivoit avec lui fans aucune querelle, & facrifioit votre gloire & la fienne à fa paffion déréglée? Avez-vous ignoré que le Marquis de Saint *** n'ait été fortement de fes Amis? Et comment ne vous êtes-vous point apperçu que je n'étois pas mal avec elle?

Vous voyez bien, Madame, que ce que le Duc venoit de dire, n'étoit que trop fuffifant pour don ner au Président de grandes lumieres de la fauffe

pruderie de fa Femme: mais comme il en auroit pu dire encore davantage, la Préfidente l'interrompit, pour répondre, difoit-elle, à fes impoftures; car elle appelloit ainfi la raillerie qu'il faifoit de fes intrigues. Le Prince m'en paroiffant irrité, j'eus peur qu'il ne querellât le Duc, & que je n'euffe à me reprocher d'avoir été caufe de leur différend. Je tirai ce dernier à part. Allons, lui dis-je, Monfieur le Duc, laiffons ces époux en paix; ils pourront fans nous terminer leurs démêlés.

En effet, je l'obligeai à fortir, & nous allâmes dans un très-beau Jardin, pendant que l'Abbé B*** entreprit de remettre la paix entre les Maris & les Femmes. Quoique le Duc fût bien qu'il entroit un peu de jaloufie dans mon procédé, & qu'il ne doutât point que je n'euffe véritablement aimé le Prince, il n'y fit point alors reflexion. Il me fit entendre qu'il étoit ravi de l'infidélité de la Préfidente; qu'elle avoit feulement prévenu de quelques jours le deffein qu'il avoit pris de la quitter, pour ne s'attacher qu'à moi; que tout ce qu'il venoit de lui dire, ne partoit point d'un véritable chagrin pour fon changement, mais d'une fecréte complaifance qu'il avoit pour tous mes fentimens.

Le Duc étoit bien fait, libéral, & magnifique; & je prévoyois bien, qu'après cet éclat, je perdrois tout enfemble, le Prince, le Préfident, & fa Femme. Enfin, Madame, il faut l'avouer, j'étois prévenue de la penfée que le mérite d'une jeune perfonne n'eft diftingué que par le nombre des Amans qu'elle fe fait; & que, pour paffer agréablement la vie, elle doit du-moins en avoir un. J'écoutai donc le Duc, fans répondre toutefois aux proteftations qu'il me faifoit de m'aimer jufqu'à la mort; mais je ne le rebutai pas affez, pour lui faire croire que fes proteftations me fuffent indifférentes.

J'avois une extrême envie de voir la Cour, où

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