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foit une pareille commiffion, il l'accepta, & Al. fonfe en fut averti.

Il fut moins faifi à cette nouvelle de l'horreur que lui devoit infpirer le deffein des conjurés, que de la compaffion que lui donna le fort d'une Reine expofée à un traitement fi indigne, & qui devoit la perdre fans reffource. Peut-être même fon amour fe réveilla-t-il alors, & qu'il eut de la peine à fouffrir qu'un autre que lui eût reçu une commiffion qui flattoit la violence de fes defirs; car, de quels fentimens n'eft-on point capable de fe laiffer furprendre, quand on fe laiffe aveugler par fa paffion.

Quoi qu'il en foit, il réfolut d'empêcher que Paciéco n'exécutât le deffein auquel il s'étoit engagé. Il en parla au Marquis de Villéna, qui lui dit qu'il étoit trop tard pour s'y oppofer, & qu'à l'heure qu'il lui parloit, Paciéco étoit entré chez la Reine.

Alfonfe ne garda plus de mefures, voyant les chofes à cette extrémité. Il courut à la maison où la Reine étoit enfermée, & il arriva au moment que Paciéco alloit fe la faire ouvrir. Il lui ordonna de fe retirer; & Paciéco lui difant à l'oreille que ce qu'il en faifoit, étoit du confentement & de l'ordre même du Marquis & de l'Infant, il lui répondit que l'un & l'autre avoit changé de deffein, & qu'ils l'avoient envoyé exprès pour le lui dire, & le faire retirer. Paciéco n'ofa repliquer, connoiffant le rang & la qualité d'Alfonfe; & il fe retira. Mais Alfonfe qui devoit fe contenter d'avoir détourné, ou du moins fufpendu le deffein qu'on formoit contre la Reine, ne put encore réfifter au defir de voir cette Princeffe; & ayant arraché à Paciéco l'ordre qu'il avoit pour fe faire ouvrir la prifon, il réfolut de s'en fervir pour lui-même. Paciéco l'observa; & avant vu qu'au-lieu de le fuive & de fe retire: avec lui, entroit & demandoit à voir la Reine, il vint

en rendre compte aux conjurés en des termes qui firent croire, qu'Alfonfe avoit voulu prendre pour lui la commiffion qu'il avoit otée à Paciéco.

Il importoit peu aux conjurés que ce fût Alfonfe, ou Paciéco, qui contribuât au deffein qu'ils avoient de décrier la Reine: & dès qu'on leur eut dit, qu'Alfonfe étoit chez cette Princeffe, ils répandirent le bruit que, toute prifonniere qu'elle étoit, elle avoit introduit Alfonfe dans fon appartement; ajoutant pour la mieux décrier, ce qu'ils imaginerent fur le champ, qu'il y avoit long-tems qu'elle avoit une intrigue avec lui.

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Catherine de Sandoval n'avoit rien fu, ni du deffein des conjurés, ni de la démarche d'Alfonfe; & apprenant qu'il étoit entré chez la Reine, elle fut la feule qui trouva de la vérité à l'intrigue dont les conjurés l'accufoient. Elle crut donc qu'Alfonfe n'étoit entré chez la Reine, que parce qu'en effet il avoit continué à l'aimer ; & voyant bien les extré mités, où le réduifoit une démarche qui faifoit tant de bruit, elle ne compta plus fur l'efperance de fon mariage, & elle fe crut trahie d'une maniere plus cruelle qu'elle ne l'avoit encore été.,, Quand il ne feroit entré chez la Reine, fe difoit-elle à elle,, même, que par un mouvement de compaffion, ,, on le regardera toujours comme un Amant qui a une intrigue avec elle; & je ne puis plus devenir l'épouse d'un homme foupçonné d'avoir ce commerce, & de qui on va répandre des bruits auffi injurieux à fa réputation qu'à celle de cette Princeffe. Cette réflexion lui ôta toute efperance d'être heureufe; & elle ne s'appliqua plus qu'à chercher les moyens de s'éloigner, & d'oublier, fi elle pouvoit, un Amant fi peu digne d'elle. Auffi bien, ajoûtoit-elle encore, n'a-t-il plus befoin de moi pour fa fortune, qui a été la feule confidération qui jufqu'ici a foutenu ma con

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,, paffion qui n'a fervi qu'à troubler le repos de ma vie: & il m'eft d'autant plus permis de la vaincre, que je fuis devenue inutile à l'Amant, ,, que j'ai trop aimé." Ce fut donc à ce moment que Catherine de Sandoval fe fentit plus maîtresse de fon cœur qu'elle ne l'avoit été: & on peut connoitre qu'elle n'avoit jamais eu que des fentimens héroïques, puifqu'elle aima Alfonfe tant qu'elle crut qu'il y avoit de la gloire à lui être fidéle, & qu'elle ceffa un peu de l'aimer, dès qu'elle vit qu'il n'y auroit plus que de la lâcheté ou du déréglement à fe piquer de conftance. Mais, en croyant ne plus devoir aimer Alfonfe, elle ne conçut point pour lui affez d'indifference & de mepris pour l'abandonner, quand elle crut qu'il avoit befoin d'elle.

C'est ici qu'on doit admirer la fatalité des événemens qui caufent dans le monde les changemens les plus imprévus.

Alfonfe avoit fait mille chofes plus coupables & plus folles que cette derniere action, fans que Catherine eût jamais changé pour lui: car, dans le fond il étoit excufable d'avoir été fenfible aux malheurs d'une Reine indignement traitée, d'avoir fuccombé au defir de la voir.

Cependant c'eft-là ce qui lui fit perdre alors le cœur de Catherine, & ce qui le perdit lui-même fans reffource; tant ce qui caufe la bonne ou la mauvaise fortune des hommes dépend des circonftances où ils fe trouvent.

Alfonfe ayant donc montré l'ordre qu'il avoit arraché à Paciéco, & s'étant par ce moyen fait ou vrir l'appartement où la Reine étoit gardée, il y entra, & il trouva cette Princeffe déjà fi changée qu'il ne put jetter les yeux fur elle fans être pénétré d'une douleur qui ne lui permit de s'exprimer que par fes larmes. La Reine en le voyant changea de visage; & la joie qu'elle fit paroître au milieu de

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l'affreufe trifteffe où elle étoit plongée, toucha encore plus Alfonfe, que n'avoit fait le changement de fa beauté. Il fe laiffa tomber à fes pieds, & lui pre. nant la main: Ah! Madame, lui dit-il après avoir ,, gardé long-tems le filence, eft-ce vous que je ,, vois, & fe peut-il faire que la vue d'Alfonfe vous donne quelque plaifir?" La Reine le regarda, & le voyant tout en larmes, elle pleura de fon côté; &, apre. avoir été long-tems en cet état : C'est bien moi, lui dit-elle, qui dois douter fi c'est vous que je vois; car, enfin, par quel hazard êtes-vous ici?"

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Alfonfe ne lui cacha rien, ni des deffeins des conjurés, ni de la commiffion de Paciéco, ni de tous les malheurs dont elle étoit menacée; &, après avoir long-tems délibéré ensemble fur les moyens de la tirer de l'extrémité où elle étoit réduite, ils n'en trouverent point d'autre que d'agir auprès du Marquis de Villéna pour la laiffer fe fauver & s'en. fuir en Portugal: & Alfonfe, oubliant les termes où il étoit avec Catherine de Sandoval, promit à la Reine d'agir auprès du Marquis, & de fe charger du foin de la délivrer & de la conduire hors du Royaume. I la quitta dans cette réfolution, & il vint la communiquer au Marquis de Villéna.

La premiere chofe qu'il apprit en entrant chez lui, c'eft que tout le monde étoit perfuadé, & difoit hautement qu'il n'avoit pris la commiffion de Paciéco, que parce qu'il étoit amoureux de la Reine, & qu'il en étoit aimé. Ce bruit ne fervit qu'à le déterminer encore plus qu'il n'étoit, à tâcher de perfuader au Marquis de laiffer fauver la Reine.

Le Marquis l'ayant écouté, & voyant combien Alfonfe pienoit d'intérêt au fort de la Reine, crut qu'il ne pouvoit mieux faire que de confentir à fon évafion, & de lui en donner le foin. Car par ce moyen, d'un côté il fe délivroit, dans la perfonne d'Alfonse, d'un homme qu'il prévoy

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oit bien, qui non feulement ne ferviroit jamais les conjurés, mais qui au contraire pouvoit nuire beaucoup à leurs deffeins; & de l'autre, en laiffant Alfonfe s'enfuir avec la Reine, il donnoit encore plus d'atteinte qu'on n'avoit donné jufques-là à la réputation de cette Princeffe. 11 dit donc à Alfonfe qu'il approuvoit fon deffein, & ils prirent enfemble des mefures pour le faire réußlir.

Alfonfe, charmé de ce confentement, en voulut rendre compte à Catherine de Sandoval; mais elle refufa de le voir, & ce refus penfa lui faire oublier ce qu'il avoit promis à la Reine, & les mefu. res qu'il avoit prifes avec le Marquis.

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Son cœur toujours également partagé entre l'amour de la Reine, & celui de Catherine, put digérer le changement de celle-ci; & peu s'en falut que pour regagner fon efprit, il ne laiffat-là tout ce qu'il avoit projetté en faveur de la Reine; car c'eft à de pareils retours que l'on eft toujours expofé, quand on eft partagé entre deux

amours.

Il écrivit à Catherine: il paffa des heures entiéres à la porte de fa chambre, obftiné à ne point fe retirer qu'on ne lui ouvrît. Il tâcha d'efcalader les fenêtres; & il fit tout ce que peut faire un Amant défefpéré, fans que Catherine en fût touchée, & fans qu'elle daignât lui répondre un mot.

Il n'auroit point quitté prife fi le Marquis ne l'eût fait avertir qu'il commençoit à être fufpect aux conjurés, & qu'on le feroit arrêter s'il différoit plus long-tems d'exécuter le deffein dont ils étoient convenus.

Il vit bien qu'il n'y avoit point d'autre reffource; & il aima mieux encore être utile à la Reine, s'il avoit à périr, que de périr inutilement.

Il prit tout ce qui étoit néceffaire pour la faire fauver; & il n'eut pas même la confolation en s'engageant dans une entreprife qui alloit le perdre,

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