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d'y porter un cœur content; car il avoit un chagrin mortel du changement de Catherine, & il ne connut jamais mieux qu'il l'avoit aimée, que quand il crut qu'il n'en étoit plus aimé.

Ayant difpofé toutes chofes, il alla au milieu de la nuit dans la prifon de la Reine; & l'ayant faite déguifer en femme du peuple, il la mit dans un brancard avec la petite Princeffe fa fille, & une femme pour les fervir, & il monta à cheval suivi feulement de deux valets auffi à cheval. En cet état ils fortirent de Madrid pour prendre la route de Portugal: trifte fpectacle, qui put faire voir a lors à quoi font expofées les places les plus élevées.

Dès que le Marquis de Villéna les crut à une journée de Madrid, & affez loin pour n'être pas pourfuivis, il prit foin de répandre par-tout qu'Alfonfe avoit enlevé la Reine; & cette nouvelle confirma tous les bruits injurieux qu'on avoit fait courir touchant la conduite de cette Princeffe.

On apprit cette fuite à l'armée du Roi; & l'amour que Bertrand de la Cuéva avoit toujours eu pour la Reine, lui faifant voir avec chagrin qu'Alfonfe étoit maître de cette Princeffe, il remontra au Roi qu'il devoit tout faire pour empêcher que le Portugal e fervit d'afile à une Reine, qui, aidée des confeils d'Alfonfe, pourroit donner de nouveaux prétextes à la guerre civile.

Le Roi, entierement gouverné par la Cuéva, & qui d'ailleurs avoit autant de joie de pouvoir retirer fa Femme des mains des rebelles, que de l'empêcher d'aller en Portugal, & qui à toutes ces confidérations joignoit un defir fecret de se venger d'Alfonfe, approuva ce que la Cuéva lui dit, & il lui donna des troupes pour fe mettre à la fuite des fugitifs, & pour tâcher de leur couper chemin.

On n'eut pas de peine à y réuffir, puifqu'à me fure qu'Alfonfe & la Reine s'éloignoient de Madrid, ils approchoient de l'armée du Roi, ne

pouvant prendre par ailleurs la route de Portugal fans s'expofer à des longueurs infinies; & d'ailleurs leur déguisement les raffuroit dans l'efperance de n'être pas reconnus.

Cependant ils le furent. La Cuéva, averti par des espions de la route qu'ils avoient prife, fe cacha dans un Bois avec la troupe qui l'accompagnoit; & Alfonfe, qui ne fe défioit de rien, alla donner dans fon embufcade.

Il voulut résister, mais il fut bientôt entouré & contraint de fe rendre. On le garrota fur un cheval; & il eut le chagrin de voir que c'étoit la Cuéva qui conduifoit ce parti, & qui s'étant fait voir à la Reine, la conjura avec beaucoup de respect de fouffrir qu'on l'arrachât à fes raviffeurs pour la rendre au Roi fon Epoux.

Jamais état ne fut plus affreux que celui où fe trouva Alfonfe. Il voyoit fa perte affurée: mais ce qui le touchoit le plus, c'étoit de voir Bertrand de la Cuéva qu'il haiffoit comme fon Rival, devenu maître de la Reine; & peut-être craignoit-il que cette Princeffe n'eût pas toujours la force de réfister aux pourfuites d'un homme d'autant plus en-. treprenant, que fon amour étoit autorifé par le Roi-même.

Cependant la Reine ayant répondu à la Cueva, qu'elle étoit prête d'aller par tout où il lui plairoit de la conduire, le conjura d'avoir affez de générofité pour rendre la liberté à Alfonfe. La Cuéva, qui vouloit plaire à cette Princeffe, & qui ne prévoyoit pas qu'Alfonfe pût jamais devenir un Rival redoutable, & qui peut-être eut affez de générofité pour faire une belle action, ordonna qu'on le déliât. Alfonfe trouva quelque chofe de plus affreux encore à avoir cette obligation à son Rival, qu'il n'en trouvoit à fe voir entre fes mains : Non, Madame, dit il à la Reine, en voyant qu'on le délioit, n'obligez point la Cuéva à me rendre la

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liberté; & fi vous avez quelque pouvoir fur fon ,, efprit, employez-le à obtenir qu'il me donne la ,, mort." Puis, adreffant la parole à la Cuéva:,, Com. ,, te, lui dit-il, tu ferois une bien plus belle ac,, tion, fi au- lieu de remettre la Reine entre les mains de fon Tiran, tu voulois avoir la gloire ,, que j'ai recherchée de la conduire en un Royau

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me où l'on faura rendre juftice à fon mérite." La Cuéva, au- lieu de répondre, fit marcher le brancard de la Reine du côté du camp, & laiffa Alfonfe libre, & les deux hommes qu'il avoit à fa fuite.

Alfonfe fuivit long tems des yeux le brancard; & l'ayant vu difparoître, il alla fe cacher dans le premier bourg qu'il trouva, & il y paffa la nuit, incertain du parti qu'il devoit prendre.

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Ce fut alors qu'il fit reflexion aux malheurs où l'avoient expofé tant d'infidélités qu'il avoit faites à Catherine de Sandoval; il comprit qu'il ne pou voit plus efperer de voir la Reine: &, quoiqu'il trouvât également du danger à retourner à Madrid, il aima mieux prendre ce parti, que de fe jetter dans l'Armée du Roi. Je ne puis plus vi,, vre, fe difoit-il à lui-même; mais au- moins, ,, puifqu'il faut que je périffe, je dois choifir, ,, pour le lieu de ma mort, celui où je pourrai voir encore une perfonne dont la haine m'eft in,, fupportable." Dans ces penfées, il prit la route de Madrid, où les chofes avoient bien changé de face depuis le peu de tems qu'il en étoit forti.

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Le vieux Marquis de Villéna s'y étoit déclaré amoureux de Catherine de Sandoval, foit qu'il eût diffimulé cet amour tant qu'il avoit cru que Cathe. rine aimoit Alphonfe, foit qu'il l'eût aimée par une de ces impreffions foudaines qu'on reçoit quelquefois lorfqu'on y penfe le moins. Il n'avoit pas tardé à lui déclarer fon amour, & à lui faire en même tems la propofition de l'époufer. Catherine avoit

demandé du tems, à deffein d'éviter un mariage, qui, quelque avantageux qu'il lui fût, ne s'accordoit pas avec la réfolution qu'elle avoit prise de se retirer du monde, & de s'enfermer à Toléde dans un Monaftere de Religieufes.

L'Infant Dom Alfonfe mourut prefque en même tems & Catherine, ayant appris que la Reine avoit été enlevée, & ne doutant point qu'Alphonfe ne fût entre les mains du Roi, & qu'il ne pouvoit éviter de périr, elle changea tout d'un coup la réfolution qu'elle avoit prife de fe retirer, & elle dit au Marquis de Villéna, qu'elle étoit prête à l'époufer, pourvu qu'il voulût écouter les propofitions d'un accommodement avec le Roi, & mettre entre les conditions de l'accommodement, qu'on affureroit la vie & la liberté d'Alphonfe.

Le Marquis auroit peut-être eu de la peine à confentir à ces propofitions, fi la mort de l'Infant ne lui eût fait voir que c'étoit pour lui une néceffité de faire fon accommodement avec le Roi. Il promit à Catherine tout ce qu'elle lui demanda, & Catherine l'affura qu'elle étoit prête à l'époufer.

Alphonfe arriva à Madrid fur ces entrefaites; &, apprenant que Catherine alloit époufer le Marquis de Villéna, & qu'elle n'avoit confenti à ce mariage que pour lui fauver la vie, il eut d'abord tant d'admiration pour cette illuftre fille, qu'il ne crut pas devoir paroître, de peur que fa préfence ne lui fît manquer un établiffement qui lui étoit fi avantageux. Il fe trouva donc affez généreux, pour vouloir faire en cette occafion en faveur de fa Maîtreffe, ce que fa Maîtreffe avoit déjà fait tant de fois pour lui. Mais il n'avoit pas le cœur affez ferme pour foûtenir longtems une réfolution fi oppofée à fon caractere. Il fit d'autres réflexions, qui combattirent fa générofité. Il vit bien que fi le Marquis époufoit Catherine, il falloit qu'il s'attendit à no la jamais voir. Cette féparation lui parut infup

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portable: &, fans fçavoir précisément ce qu'il vou. loit, il alla chez le Marquis, & il apprit par-là à tout le monde qu'il étoit revenu, & que la Cuéva lui avoit rendu la liberté. ,, Je viens, dit-il au Marquis, vous trouver, Seigneur, pour vous ap prendre que fi vous n'avez promis d'époufer Catherine de Sandoval que pour affurer ma vie, vous êtes quitte de votre promeffe, puifque vous me voyez, & que rien ne vous oblige maintenant d'achever ce mariage. Il prononça ces paroles avec tant d'aigreur, que le Marquis les ,, prit pour une infulte, & répondant fur le même ton: Non, non, dit-il, vos intérêts n'ont point de part au deffein que j'ai pris: j'époufe Cathe,, rine, parce que je veux l'époufer, & je ne rends ,, compte à perfonne du motif de mon mariage: ,, mais, comme vous avez été toute votre vie un ,, efprit inquiet, il eft bon qu'on s'affure de vous, & qu'on vous faffe recevoir ici les traitemens que vous méritez." En difant ces paroles, il ordonna qu'on fe faifit d'Alphonfe, & qu'on le gardât fûrement: mais, un moment après, changeant de penfée, il le fit revenir; &, après lui avoir reproché fon ingratitude, puifque c'étoit lui qui avoit empêché qu'on ne l'exécutât dans la prifon d'où il l'avoit retiré, & fes infidélités pour Catherine dont il avoit été plus aimé & plus eftimé que ne le méritoit un homme qui avoit eu la làcheté de lui préférer une Princeffe auffi décriée que la Reine: Mais pour vous marquer, pourfuivit il, que je ne veux point ici me fervir de mon autorité, je vais faire prier Catherine de Sandoval de décider elle-même fur le mariage qui vous allarme; car ,, je ne ferai à cet égard que ce qu'il lui plaira que ,, je faffe." En achevant ces paroles, il envoya prier Catherine de vouloir bien fe rendre auprès de lui. Elle avoit déjà été inftruite du retour d'Alphonfe, & elle fut fort inquiéte du fujet pour le

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