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D'IRIS

PAR MR. POISSON.

NOUVELLE.

IL y avoit peu que le Jardin des Tuilleries étoit ache

vé, quand il prit envie à la Comteffe de Marignan d'y aller prendre l'air. Après qu'elle y eut fait quelques tours, elle s'affit fur un banc, où elle trouva une femme, dont il lui fembla que le vifage ne lui étoit pas inconnu. Quelque idée qu'elle en eût confervée, elle n'en pouvoit convenir avec elle-même: toutefois, aprés avoir longtems confidéré cette Dame, qui de fon côté regardoit attentivement la Comteffe de Marignan, elles fe reconnurent, & fe firent toutes les careffes que fe peuvent faire deux perfonnes qui fe font beaucoup aimées, & qui après une longue abfence ont le plaifir de fe retrou ver. Ces deux Dames avoient eu enfemble de fort grandes liaifons avant qu'elles fuffent mariées; & elles s'étoient longtems parlé fous les noms d'Iris & de Climéne. Ce fut pour cette raifon que la Comteffe, prenant la parole: ah! ma chére Iris,. lui dit-elle, que j'ai de joie de vous revoir, & qu'en même tems je me plains de vous, d'avoir at tendu que le hazard ait pris foin de nous rejoindre! Mes malheurs font tels, repondit Iris, qu'ils ne m'ont point laiffé d'amis à l'épreuve de la calomnie & de l'éloignement. Ainfi, Madame, je n'ai ofé me flatter que vous vouluffiez me faire grace, quand tout le monde me faisoit tant d'injus

tice. J'ai toujours cru, reprit la Comteffe, que vos ennemis avoient plus de part que vous aux bruits qui ont couru de votre conduite. Je vous affure, Madame, repartit Iris, que je n'ai jamais péché effentiellement contre la véritable gloire; mais je dois vous avouër que j'ai fouvent hazardé les apparences. Le même afcendant qui difpofoit les hommes à me vouloir quelque bien, faifoit que j'étois bien-aife de m'en voir aimée. Je vous avouerai encore que je n'oubliois rien pour leur plaîre, & que l'envie de leur donner de l'amour faifoit l'u• nique application de ma vie. Une foule d'Adorateurs me paroiffoit le plus grand de tous les biens, & je ne connoiffois point de mérite que celui d'en être environnée. Enfin, Madame, j'étois ce que l'on appelle une Coquete achevée. C'eft le caractere de toutes les femmes, répondit la Comteffe de Marignan, pour peu qu'elles foient affez bien faites pour fe le faire dire. Les plus aimables & les plus jeunes, font fouvent les moins coupables: leur vanité eft plus générale, elles ne veulent que faire des Amans; & leurs conquêtes fe fuivent de fi près, qu'elles ne fe donnent pas le loifir de prendre un fincere attachement. Celles qui ont plus d'âge & moins de charmes, s'engagent prefque toujours fur les apparences d'une feinte paffion, & pouffent quelquefois l'avanture jufqu'au crime. Il eft toujours dangereux, repliqua Iris, de fuivre ce penchant; car il eft rare que le défordre du cœur n'en apporte dans la conduite, & n'attire une infinité de malheurs. Je voudrois bien, dit alors la Comteffe, que vous vouluffiez me dire ce qui vous eft arrivé; car je ne l'ai fu qu'imparfaitement. Quand on ne fait point les chofes d'origine, on ne les fait jamais comme elles fe font paffées. Je puis demeurer dans ce Jardin autant que je le voudrai, perfonne ne m'engage à me retirer fi-tôt. Je vous conjure donc de me faire confiden

ce de vos avantures. Iris, fans fe faire beaucoup prier, dit qu'elle y confentoit, & commença ainsi fon récit.

HISTOIRE D'IRIS.

VOUS

OUS favez, Madame, avec quelle contrainte ma Mere m'a élevée, & comme elle ne me donnoit qu'à-peine la liberté de ménager l'amitié que vous aviez pour moi. Il est vrai auffi que depuis que vous fûtes mariée, & que Monfieur votre Mari vous eut menée en Province, je n'eus plus aucun commerce avec le monde. La vie ennuyeufe que je menois, me fit imaginer de fort grands plaifirs à n'être plus fujette aux fàcheufes reprimandes de ma Mere, & à des volontés fi oppofées à mes inclinations. Je crus follement, que quand je ferois mariée, je ferois maîtreffe de mes actions. C'est ce qui m'obligea d'accepter la premiere propofition que ma Mere me fit de prendre un Mari; & fans examiner fi mon cœur confentoit au choix de ma famille, j'époufai le Vicomte de***.

Cependant ma Mere, qui vouloit que fa févérité me fuivit par-tout, donna de grandes leçons à mon Mari fur les chofes qu'il me devoit défendre, ou preferire. Il en eft peu qui ne s'accommodent de ces fortes de maximes. Ainfi, après les premiers jours de notre mariage, il me fit entendre fes intentions, qui me parurent bien différentes de ce que je m'étois propofé. Il fallut borner mes visites dans ma famille, ou chez quelques Dévotes des amies de mna Mere. On me marquoit les heures que je devois employer à la piété, mais on ne m'en laiffoit aucune pour le plaifir.

***

Admirez, Madame, s'il vous plait, comme les chofes arrivent. Mon Mari me dit un jour que la Préfidente de*** lui avoit demandé de mes nouvelles, en le priant de fouffrir que j'allaffe la visiter. Elle paffoit dans le monde pour avoir une vertu incommode: & comme ce caractere n'étoit pas à mon ufage, je n'eus pas d'empreffement à aller chez elle; mais on me l'ordonna fi précifément, que je fus contrainte d'obeïr. Je m'en étois formé une idée fi defagréable, que j'aurois eu peine à la détruire, fi je n'avois trouvé dans cette maison la compagnie fort grande, & la converfation très-libre. La Préfidente me reçut avec mille honnêtetés, me donna force louanges, & me dit de la maniere du monde la plus obligéante, qu'elle vouloit que je fuffe de fes amies, & que je la viffe fouvent. Son Mari s'attacha beaucoup à me regarder; & comme je me difpofois à fortir, le Prince de *** & le Duc de entrerent. Le premier venoit propofer à la Préfidente d'aller voir une Revue générale de la Maifon du Roi, qui fe faifoit ce jour-là à Vincennes. Elle en fit d'abord quelque difficulté; mais enfin elle fe rendit, à condition que je ferois de la partie. Nous en trâmes dans fon caroffe; car le Duc eut fes raifons pour aller ailleurs. Le Préfident avoit une mine grave & férieufe, & une contrainte dans toutes fes actions, qui n'étoit point de mon goût. Ce n'eft pas que l'on pût dire qu'il manquât d'ef prit; mais fes manieres me parurent fi oppofées à celles des gens de la Cour qui étoient chez lui, qu'encore que je n'euffe aucune expérience du monde, je ne laiffai pas de mettre entre eux une grande différence. Je vous avouerai même, Madame, que dès cette premiere vifite, je trouvai le Prince fort aimable. Il avoit l'air libre, l'efprit enjoué, penfoit les chofes délicatement, & les exprimoit avec jufteffe. Je remarquai auffi que je ne

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