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adoucit extrêmement fon efprit, & j'eus plus lieu de le plaindre que d'appréhender fon reffentiment. J'entrai donc en juftification fur tout ce qu'on lui avoit dit de moi. Je fuivis pied à pied les chofes dont on m'avoit accufée; mais ce qui le furprit davantage, ce fut lor que je lui demandai juftice fur fon feint affaffinat. Je lui avouai ingénûment que j'avois écouté avec trop de facilité la galanterie du Prince, du Préfident, & du Duc; mais, quand je lui eus dit de quelle maniere la Préfidente m'avoit engagée dans tout ce commerce, & enfin les chofes comme elles étoient, il fe repentit de m'avoir laiflée à la merci de la fauffe vertu de la Femme, & de l'amour du Mari. Il rejetta toutes les fautes de ma jeuneffe fur la trop févere régularité qu'il m'avoit preferite, & fur l'obftination qu'il avoit eue à vouloir que je viffe la Préfidente avec affiduité.

J'oubliois à vous dire, Madame, que Spichetti n'avoit pu foutenir l'éclairciflement où il prévoyoit bien que j'entrerois avec mon Mari fur fes perfécutions; & le perfide avoit encore des raifons plus fortes, pour ne pas l'accompagner à Mézelon: mais, lorfque pour achever de me juftifier, je lui découvris le procédé de l'Italien, & que je lui fis attefter ce qu'il avoit ofé contre moi, & par l'Hermite qui avoit appris fes emportemens, & par mes gens qui avoient été témoins de fes violences, il parut extrêmement troublé, & il me refta peu de chofes à lui dire pour obtenir qu'il oubliat mes égaremens.

Cet entretien, qui ne devoit être que le prélude de notre réconciliation, la fit prefque toute entiére. Je me repentis de bonne foi de toutes mes imprudences; & je me difpofois à paffer mes jours avec mon Mari d'une maniere qui pût effacer la méchante impreffion qu'on avoit prife de moi, quand il tomba dans une foibleffe qu'on attribua à

fentimens, lorfqu'en étant revenu il fentit des douleurs inconcevables. Il retomba tant de fois dans le premier accident, qu'enfin il mourut, après avoir fouffert pendant deux jours tout ce que l'on peut fouffrir.

Il fit un Teftament, par lequel il me justifia de toutes les chofes dont il m'avoit accufée. Il me donna même tout ce que la Loi lui permettoit de me donner, à condition que j'épouferois Mézelon. Il avoit appris avec combien de fidélité Bernard & ma Femme-de-chambre m'avoient fervie; & il prit foin de les en récompenfer.

Plus on examinoit fon mal, plus on avoit lieu de croire qu'il avoit été empoisonné: il en dit même quelque chofe à celui qu'on appella pour recevoir fes derniers foupirs. On le fit ouvrir, & l'on trouva les effets vifibles de poifon que le traitre Spichetti lui avoit donné. J'envoyai à Avignon pour le faire prendre, mais le Ciel n'avoit pas attendu jufques-là à le punir, Celui que j'y envoyai, nous rapporta que la réputation où il étoit d'avoir beaucoup d'argent & de pierreries, avoit tenté un de fes domeftiques, qui l'ayant tué, avoit pris la fuite avec fon butin.

Je donnai des larmes finceres à la mort de mon Mari; mais le tems, & les confolations que je re cevois de tous côtés, calmerent enfin mon affliction. Je ne voulus pas pourtant me marier, que le Teftament qu'il avoit fait, n'eût été exécuté; & quoi que pût faire Mézelon, je ne l'époufai qu'après un an entier de veuvage. Ce fut avec une très-grande joie du côté de fa Mere & de fa fœur. Depuis ce tems-là je n'ai point eu d'autre soin que de plaire à mon Mari, & de m'établir par-là une vie auffi douce qu'innocente. J'ai quelques affaires, que je fuis venue régler ici, & fi-tôt qu'elles feront terminées, j'irai le rejoindre, dans l'efpérance de ne m'en plus féparer.

FIN.

DU COMTE DE

COMMING E.

Je n'ai d'autre deffein, en écrivant les Mémoires

E

ma Vie, que de rappeller les plus petites circonfrances de mes malheurs, & de les graver encore, s'il eft poffible, plus profondément dans mon fouvenir.

La maifon de Comminge, dont je fors, eft une des plus illuftres du Royaume. Mon Bifayeul, qui avoit deux garçons, donna au cadet des Terres confidérables au préjudice de l'aîné, & lui fic prendre le nom de Marquis de Luffan. L'amitié des deux freres n'en fut point altérée, ils voulurent même que leurs enfans fuffent élevés enfemble: mais cette éducation commune, dont l'objet étoit de les unir, les rendit au- contraire ennemis prefque en naiffant.

Mon Pere, qui étoit toujours furpaffé dans fes exercices par le Marquis de Luffan, en conçut une jaloufie qui devint bientôt de la haine : ils avoient fouvent des difputes; & comme mon Pere étoit toujours l'aggreffeur, c'étoit lui qu'on puniffoit. Un jour qu'il s'en plaignoit à l'Intendant de notre maison, je vous donnerai, lui dit cet homme, les moyens d'abaiffer l'orgueil de Mr. de Luffan: tous les biens qu'il pofféde vous appartiennent par une fubftitution, & votre Grand-pere n'a pu en difpofer. Quand vous ferez le maître, ajouta -t-il, il vous fera aifé de faire valoir vos droits.

Ce difcours augmenta encore l'éloignement de mon Pere pour fon coufin; leurs difputes devenoient fi vives, qu'on fut obligé de les féparer. Ils pafferent plufieurs années fans fe voir, pendant lefquelles ils furent tous deux mariés. Le Marquis

de Luffan n'eut qu'une fille de fon mariage, & mon Pere n'eut auffi que moi.

A peine fut-il en poffeffion des biens de la maifon par la mort de mon Grand-pere, qu'il voulut faire ufage des avis qu'on lui avoit donnés: il chercha tout ce qui pouvoit établir fes droits; il rejetta plufieurs propofitions d'accommodement; il intenta un procès, qui n'alloit pas à moins qu'à dépouiller le Marquis de Luffan de tout fon bien. Une malheureufe rencontre, qu'ils eurent un jour à la chaffe, acheva de les rendre irréconciliables. Mon Pere, toujours vif & plein de fa haine, lui dit des chofes piquantes fur l'état où il prétendoit le réduire; le Marquis, quoique naturellement d'un caractere doux, ne put s'empêcher de répondre; ils mirent l'épée à la main. La fortune fe déclara pour Mr. de Luffan: il defarma mon Pere, & voulut l'obliger à demander la vie. Elle me feroit odieufe, li je te la devois, lui dit mon Pere. Tu me la devras malgré toi, répondit M. de Luffan, en lui jettant fon épée, & en s'éloignant.

Cette action de générofité ne toucha point mon Pere: il fembla, au contraire, que fa haine étoit augmentée par la double victoire que fon ennemi avoit remportée fur lui; auffi continua-t-il avec plus de vivacité que jamais les pourfuites qu'il avoit commencées.

Les chofes étoient en cet état, quand je revins des voyages qu'on m'avoit fait faire après mes études.

Peu de jours après mon arrivée, l'Abbé de R*** parent de ma Mere, donna avis à mon Pere que les titres d'où dépendoit le gain de fon procès, étoient dans les Archives de l'Abbaye de R***, où une partie des papiers de notre maifon avoit été transportée pendant les guerres civiles.

Mon Pere étoit prié de garder un grand fecret. de venir lui-même chercher fes papiers, ou d'en

voyer une perfonne de confiance à qui on pût les

remettre.

Sa fanté, qui étoit alors mauvaise, l'obligea à me charger de cette commiffion, après m'en avoir exagéré l'importance. Vous allez, me dit-il, travailler pour vous plus que pour moi: ces biens vous appartiendront; mais, quand vous n'y auriez nul intérêt, je vous crois affez bien né pour partager mon reffentiment, & pour m'aider à tirer vengeance des injures que j'ai reçues.

Je n'avois aucune raifon de m'oppofer à ce que mon Pere défiroit de moi: auffi l'aflurai-je de mon obéiffance.

Après m'avoir donné toutes les inftructions qu'il erut néceffaires, nous convinmes que je prendrois le nom de Marquis de Longaunois, pour ne donner aucun foupçon dans l'Abbaye où Madame de Luffan avoit plufieurs parens: je partis accompagné d'un vieux domeftique de mon Pere, & de mon valet-de-chambre. Je pris le chemin de l'Abbaye de R***, mon voyage fut heureux. Je trouvai dans les Archives les titres qui établiffoient inconteftablement la fubftitution dans notre maison: je l'écrivis à mon Pere; & comme j'étois près de Bagnieres, je lui demandai la permiffion d'y aller paffer le tems des eaux. L'heureux fuccès de mon voyage lui donna tant de joie, qu'il y confentit.

J'y parus encore fous le nom de Marquis de Longaunois; il auroit fallu plus d'équipage que je n'en avois, pour foutenir la vanité de celui de Comminge. Je fus mené le lendemain de mon arrivée à la Fontaine. Il regne dans ces lieux-là une gaieté & une liberté qui difpenfe de tout le céré-, monial. Dès le premier jour je fus admis dans toutes les parties de plaifir: on me mena dîner chez le Marquis de la Vallette, qui donnoit une fête aux Dames. Il y en avoit déjà quelques-unes d'arrivées, que j'avois vues à la Fontaine, & à

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