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canons que le Pape adressa à tous les évêqués, le clergé et le peuple, leur en ordonHant l'exécution. Ils regardent principalement la simonie, et sont les mêmes presque mot pour mot du concile tenu à Rome en 1059 par le Pape Nicolas II. Le plus remarquable. est le quatrième, qui établit l'institution des chanoines réguliers. Il est ainsi conçu : Nous ordonnons que les prêtres et les diacres, qui obéissent à nos prédécesseurs, gardent la continence, mangent et dorment ensemble près des églises, pour lesquelles ils sont ordonnés, comme doivent faire des clercs religieux, et qu'ils aient en commun tout ce qui leur vient de l'Eglise, et nous les exhortons à faire tout leur possible pour parvenir à la vie commune apostolique.

Vers ce temps, le Pape Alexandre réunit les deux Eglises de Dioclée et d'Antibari en Epire. La bulle donnée à ce sujet est datée du 18 mars 1063. Il avait envoyé en France Pierre Damien dont la légation s'étendait à tout ce pays comme on le voit par la lettre du Pape adressée aux cinq archevêques de Reims, de Sens, de Tours, de Bourges et de Bordeaux. Alexandre leur ordonne de recevoir Pierre comme lui-même et d'obéir à ses jugements sous peine d'encourir la disgrâce du Saint-Siége. Par une autre lettre à l'archevêque de Reims en particulier, il pa raft que Adéric, évêque d'Orléans, avait été accusé de simonie au concile de Châlons, et, pour couvrir son crime, avait trompé Pierre Damien par un faux serment. I refusa ensuite d'obéir aux lettres par lesquelles le Pape l'appelait pour en rendre compte. C'est pourquoi le Pape ordonna à l'archevêque de Sens de l'excommunier, exhortant l'archevêque de Reims à l'aider dans cette affaire. Il le remercie en même temps d'avoir concouru à chasser du siége de Chartres un usurpateur intrus par simonie et d'avoir conseillé au roi Philippe de mettre à sa place un sujet digne. Dans une autre lettre il lui recommande d'anathématiser Reynaud qui avait envahi par simonie l'abbaye de Saint-Médard et avait été condamné en concile par Pierre Damien et par lui.

En 1065 Alexandre tint à Rome, au palais de Latran, un concile auquel il appela, outre les évêques et les clercs, des légistes de diverses provinces. Ce concile régla les degrés de parenté formant empêchement au mariage.

Depuis longtemps l'Eglise de Milan était plongée dans la plus affreuse anarchie à l'occasion des luttes soulevées par les prêtres simoniaques et incontinents. Pour faire cesser ces troubles, Alexandre y envoya deux légats qui publièrent des constitutions datées du i" août 1067, et dont voici la substance: Nous défendons suivant les anciennes règles, que dans tout ce diocèse, aucun abbé reçoive un moine pour un prix dont il soit convenu el qu'aucun chanoine soit reçu autrement que gratuitement; que, dans aucune ordination des personnes ecclésiastiques, dans les consécrations des églises, où la distribution du saint chrême, il intervienne aucune récom

pense convenue. Ce décret frappe ensuite les clercs incontinents ou concubinaires, et règle tout ce qui les concerne. Il poursuit : Défense aussi à tout laïque de rien exiger d'un clerc, pour le faire promouvoir à quelque ordre que ce soit. L'archevêque irá une fois ou deux, s'il le peut, par toutes les paroisses, pour confirmer et faire sa visite selon les canons, sans qu'aucun laïque ou clerc lui résiste; au contraire, ils lui obéiront et le serviront en ce qui regarde la religion. Il aura aussi une entière puissance de juger el punir, selon les canons, tout son clergé, tant dans la ville que dehors.

Quant aux clercs et aux laïques qui ont juré contre les simoniaques et les clercs incontinents, de s'employer de bonne foi a réprimer ces désordres, et, sous ce prétexte, ont brûlé, pillé, répandu du sang et commis plusieurs violences, nous leur défendons d'une manière absolue d'en user ainsi à l'avenir: mais qu'ils se contentent de bien vivre et de dénoncer les coupables à l'archevêque, aux chanoines de cette église et aux évêques suffragants. Qu'il n'y ait aucune poursuite pour les dommages et les injures reçues à cette occasion, et qu'on n'en garde aucun ressentiment, mais que la paix de Jésus-Christ règne dans vos cœurs. Le Pape ajoute ensuite aux peines spirituelles des amendes prélevées au profit de l'église métropolitaine. Déjà précédemment Ariald, le grand défenseur de la sainteté de l'Eglise à Milan, s'était rendu à Rome avec Herlemhald son compagnon, qui ne voulait recevoir sa mission que des mains du Souverain Pontife. « Alexandre, »dit saint André, « se jeta plein de joie aux bras de co chevalier; il montra à Ariald les anciens sentiments que les amis parvenus au faîte du pouvoir oublient si souvent. Il remit à Herlembald un drapeau à l'effigie de saint Pierre, l'exhortant à rester en union avec Ariald contre les ennemis de Jésus-Christ, au prix de tout leur sang, et d'élever courageusement ce drapeau pour repousser leurs efforts, toutes les fois que la fureur des hérétiques viendrait à s'élever contre eux.»

En 1071, le célèbre Lanfranc, archevêque de Cantorbéry, qui avait été abbé de l'abbaye du Bec, vint à Rome pour demander le pallium. Le Pape Alexandre le reçut avec grand honneur, jusqu'à se lever devant lui, et dit: Je ne l'ai pas fait parce qu'il est archevêque de Cantorbéry, mais parce que j'ai été son disciple au Bec. Ce qui montre combien cette école était célèbre. Le Pape chargea Lanfranc d'une lettre pour le roi d'Angleterre, où, après avoir loué son zèle pour la religion, il l'exhorte à suivre les conseils de Lanfranc pour l'exécution de ses bons desseins, déclarant qu'il l'a établi légat pour tout le royaume d'Angleterre.

La même année 1071, Alexandre II fit la dédicace de la nouvelle église du mont Cassin. I tira de ce monastère plusieurs moines remplis de science et de vertu, soit pour les appeler auprès de lui au service de l'Eglise romaine, soit pour en faire des évêques et des abbés.

Cette cérémonie était l'investiture du pontificat. Alexandre résistait et s'enfuyait, protestant de son indignité, mais enfin il fut revêtu de la chape par le premier des diacres. En même temps Octavien, un des trois cardinaux qui n'avaient point consenti à l'élection d'Alexandre, et que les deux autres avaient nommé Pape, arracha la chape des épaules d'Alexandre, et la voulut emporter; mais un sénateur qui était présent, indigné de cette violence, la lui ôta des mains. Octavien tourna les yeux avec furie vers son chapelain, lui faisant signe de lui donner la chape rouge qu'il avait apportée. Puis ayant ôté son bonnet, il s'en revêtit avec tant de précipitation, que, ne pouvant trouver le capuce, il mit le devant derrière, ce qui fit rire tous les assistants, et fit dire à ses adversaires qu'il était élu à rebours. Aussitôt on ouvrit les portes de l'Eglise, que les sénateurs avaient fermées, et des troupes de gens armés entrèrent avec grand bruit, l'épée à la main, pour prêter main forte à Octavien, que son parti nommait Victor III.

Alexandre envoya à Constantinople, pour légat, Pierre, évêque d'Anagnia, célèbre par sa vertu et par sa doctrine. Pierre y demeura un an, c'est-à-dire, tout le reste de la durée du pontificat d'Alexandre. Depuis longtemps déjà Henri IV, empereur d'Allemagne, avait exercé de telles violences, de tels attentats contre l'Eglise, que le Pape s'était trouvé dans la nécessité de recourir aux derniers moyens. Henri avait vendu à Godefroi l'archevêché de Milan, et il trafiquait publiquement de toutes les dignités ecclésiastiques. De leur côté, les clercs dissolus ou irrégulièrement promus, s'abritaient incessamment sous le sceptre impérial. Tous les efforts faits jusque-là, pour mettre un terme à ces affreux désordres, ne pouvaient produire quelques fruits qu'en enlevant aux coupables ce refuge, et dès lors il devenait inévitable que l'Eglise entrât en lutte avec l'Empire. Reconnaissant cette nécessité absolue, Alexandre avait excommunié les conseillers de Henri IV, et le cita lui-même à Rome, pour qu'il y donnât satisfaction de toutes ses entreprises simoniaques, et se soumit aux prescriptions de l'Eglise. Mais la Providence avait déjà fait choix d'un autre champion pour soutenir cette grande lutte. Après un pontificat de onze ans et six mois, Alexandre II mourut le 21 avril 1074, et fut enterré à Saint-Pierre. On raconte deux miracles qu'il fit vers la fin de sa vie ; l'un d'un démoniaque délivré au mont Cassin, l'autre d'une fenime hoiteuse à Aquin, à qui il fit donner de l'eau dont il avait lavé ses mains après la Messe, et qui fut guérie aussitôt après l'avoir bue. Il nous reste de ce Pape quarante-cinq lettres qui témoignent de son zèle pour le rétablissement de la discipline. Nous citerons en particulier une décrétale adressée aux évêques de Dalmatie, pour leur notifier les peines canoniques prononcées récemment contre les mariages des clercs, ce qui montre que cette province était soumise à la discipline de Eglise latine, et une lettre où il loue la conduite des évêques de France, qui avaient protégé les Juifs et empêché qu'ils ne fussent tués par les Chrétiens qui allaient en Espagne combattre le Sarrasins. On voit aussi dans ces lettres plusieurs exemples de pénitences canoniques. Alexandre II eut pour successeur saint Grégoire VII.

ALEXANDRE III, successeur d'Adrien IV et cent soixante-huitième Pape, fut contemporain de l'empereur Frédéric et de Louis VII, roi de France. Les cardinaux s'étant assemblés après la mort d'Adrien, et ayant délibéré trois jours, s'accordèrent tous, à l'ex ception de trois, à choisir Roland, cardinal et chancelier de l'Eglise romaine, qu'ils élurent le 7 septembre 1159. Il était de Sienne, et fut d'abord chanoine de Pise, d'où le Pape Eugène, sur sa réputation, le fit venir à Rome, l'ordonna prêtre du titre de Saint-Marc, et le fit enfin chancelier. Il avait beaucoup d'élo-, quence et d'érudition. Son élection fut approuvée par le clergé et le peuple de Rome, et on le nomma Alexandre III. Ceux qui l'avaient élu, le revêtirent aussitôt de la chape d'écarlate.

Le Pape Alexandre et les cardinaux qui l'avaient élu, craignant la violence, se relirèrent dans la forteresse de Saint-Pierre, où ils demeurèrent neuf jours renfermés et gardés jour et nuit par des gens armés, et du consentement de quelques sénaleurs gagnés par Octavien; mais le peuple, par ses cris, obligea les sénateurs de les mettre en liberté. Alexandre et les cardinaux qui lui étaient attachés traversèrent la ville au milieu des acclamations de joie et au son de toutes les cloches; et ils allèrent à quatre lieues de Rome, en un lieu nommé les Nymphes. Alexandre y fut sacré par l'évêque d'Ostie, assisté de cinq évêques, de plusieurs cardinaux et abbés. Octavien fut de même sacré par l'évêque de Tusculum, accompagné de deux autres évêques.

Il suffit d'avoir mis sous les yeux ces deux élections pour faire toucher du doigt le crime de celle d'Octavien. Comment une manœuvre aussi dépourvue de couleurs plausibles pouvait-elle faire la moindre illusion à l'empereur d'Allemagne? Aussi ne concevrait-on pas qu'elle et eu pour protecteur Frédéric, si l'on n'était habitué à voir depuis longtemps les rois de Germanie remplir ce rôle scandaleux et se jouer de la religion. Mais Frédéric haïssait le Pape Adrien, et conservait un ressentiment personnel contre Alexandre. C'est pourquoi il se déclara d'abord pour l'antipape, reçut fort mal les nonces que lui envoya le Pape légitime, et ne fit point de réponse à ses lettres. Elles lui apprenaient cependant tout ce qui s'était passé, avec un détail facile à vérifier, si près du lieu de la scène. On n'avait pas manqué de marquer que l'antipape avait été frappé des anathèmes de l'Eglise. Les cardinaux avaient écrit de leur côté, et s'étaient prononés au nombre de vingt-deux pour Alexandre, c'est-à dire tout ce qu'il y en avait alors, à l'exception de deux qui avaient élu Octavien, et de deux qui l'avaient reconnu depuis.

Octavien et ses sectateurs. Il envoya des légats en diverses provinces, et il fut reconnu pour vrai Pape en France et en Angleterre. Les plus savants prélats de ce siècle, tels qu'Arnoul, évêque de Lisieux, Jean de Salisbury, Philippe, abbé de l'Aumôme et d'autres, écrivirent des lettres circulaires en faveur d'Alexandre, et prouvèrent, par des raisons convaincantes, qu'il avait été élu légitimement.

Le Pape Alexandre et les vingt-deux cardinaux qui lui étaient attachés écrivirent de leur côté à l'empereur Frédéric pour l'exhor ter à réprimer les schismatiques; mais ce prince ne fit aucune réponse. Il s'arrogea le droit de convoquer un concile général, et d'y citer les deux prétendants pour faire examiner leur cause, et décider la contestation par un jugement ecclésiastique. Il adressa done une lettre circulaire à tous les évêques non-seulement de l'Allemagne, mais des auIres royaumes, pour les appeler à un concile, avec défense de prendre parti, jusquelà, entre les deux Papes. Il envoya en même temps deux évêques au Pape Alexandre, avec une lettre, pour lui ordonner, de la part de Dieu et de toute l'Eglise, de se présenter à ce concile avec les cardinaux de son parti. Les deux évêques, admis auprès du Pape, ne rendirent aucun respect à sa dignité, qu'ils ne voulaient point reconnaître, et après avoir remis la lettre de l'empereur, ils demandèrent une réponse. Les cardinaux, prévoyant bien tout ce qu'on avait à craindre des violences de ce prince, n'en résolurent pas moins de braver tous les périls pour demeurer fermes dans l'obéissance d'Alexandre; et le Pape, de son côté, répondit qu'il était surpris de la prétention inouïe qu'avait l'empereur de lui donner des ordres et de convoquer un concile sans sa participation; que l'Eglise romaine avait reçu de Jésus-Christ, par saint Pierre, le privilége de juger toutes les autres Eglises, et de n'être soumise au jugement de personne, et qu'il était bien résolu de tout souffrir plutôt que d'autoriser, par sa faiblesse, une telle entreprise contre la liberté de l'Eglise et les droits du Saint-Siége.

Cependant le concile convoqué par l'empereur se tint à Pavie au mois de février 1160. On y proclama Octavien, et on écrivit une lettre circulaire aux évêques pour leur notifier cette décision. L'empereur, de son côté, envoya dans le même but des ambassadeurs aux rois de France, d'Angleterre et aux autres princes, et publia un édit dans tous ses Etats pour ordonner à tous les évêques de reconnaître l'antipape Victor, sous peine de bannissement perpétuel. Le Pape Alexandre avait envoyé aussi partout des légats pour prémunir les princes et les évêques contre les menées des schismatiques, et son autorité fut bientôt reconnue dans la plupart des royaumes chrétiens. Deux cardinaux, Henri et Odon, répondirent à la lettre synodale du concile de Pavie par un écrit adressé à tous les fidèles..

Malgré l'édit, par lequel Frédéric ordonnait à tous les évêques de reconnaître l'antipape Victor sous peine de bannissement perpétuel, plusieurs choisirent l'exil plutôt que de participer au schisme, et on mit à leur place, par violence, des partisans de l'antipape; ce qui causa un grand trouble dans l'Eglise. Alexandre, de son côté, excommunia l'empereur à Agnani, le jeudi saint, et déclara tous les sujets de ce prince déliés du serment de fidélité. Il excommunia aussi DICTIONN. DES PAPES.

Les évêques d'Angleterre s assemblèrent à deux partis et entendu les témoins, ils ne Londres, et après avoir lu les pièces des balancèrent pas à se prononcer pour le Pape Alexandre. Ils envoyèrent leur avis au roi, et l'archevêque de Cantorbéry ayant reçu celte réponse, adressa un mandement à tous obéissance au Pape Alexandre reconnu pour les évêques pour leur ordonner de rendre légitime par l'Eglise d'Angleterre et par celle de France. En effet, un concile venait de se réunir à Beauvais, en juillet 1160, et les évêques, les seigneurs de France, avaient reconnu Alexandre et rejeté Octavien. En outre, les rois de France et d'Angleterre, pour reconnaître plus solennellement encore cile à Toulouse, où ils assistèrent euxle nouveau Pape, réunirent en 1161 un conmêmes avec plusieurs seigneurs, et des end'Espagne. On y entendit les députés des voyés de l'empereur Frédéric et du roi deux partis, et il fut prouvé par toutes les dépositions et par les aveux mêmes des après s'être revêtu lui-même de la chape, schismatiques, que l'antipape Octavien, avait été intronisé par le secours des laïques qu'au contraire, Alexandre avait été élu et sacré par des évêques excommuniés ; canoniquement par la presque totalité des cardinaux, et qu'entin au concile de Pavie plus de la moitié des évêques s'étaient retirés avant la décision et que les autres n'avaient cédé qu'à l'autorité de l'empereur. En conséquence de ces dispositions, les deux rois et le concile, d'un avis unanime, proclamèrent leur adhésion au Pape Alexandre.

Alexandre avait été aussi reconnu par le roi de Jérusalem et par tous les évêques de la Palestine, où l'on tint, l'an 1160, un concile à Nazareth, tant pour ce sujet que pour délibérer sur la réception d'un légat envoyé depuis longtemps par le Pape Innocent. Le patriarche Amoris lui écrivit en son nom et au nom de ses suffragants une lettre où il dit: Ayant reconnu que votre élection a été faite par la volonté unanime des évêques el des cardinaux avec le consentement du clergé et du peuple, nous l'avons louée et approuvée; nous avons excommunié les schismatiques, Octavien avec les deux cardinaux Jean el Gui et leurs fauteurs, et nous vous avons élu et reçu unanimement pour seigneur temporel et père spirituel. » Par ce titre de seigneur temporel donné au Pape on voit que le royaume de Jérusalem était soumis à la suzeraineté du Saint-Siége. Ce titre est d'autant plus remarquable que lo

roi de Jérusalem et les seigneurs étaient présents à ce concile.

Cependant l'antipape tint, le 19 juin 1161, un concile à Lody, qui confirma l'élection d'Octavien, excommunia l'archevêque de Milan et plusieurs autres Catholiques. Alexandre était venu à Rome, mais les schismatiques ne l'y laissèrent pas longtemps en repos, car la famille d'Octavien y était puissante. Comme les Allemands occupaient la plus grande partie du patrimoine de SaintPierre, il résolut de passer en France. S'étant embarqué à Terracine, il arriva à Gênes, où il fut reçu et traité avec honneur, malgré la défense de l'empereur. De là, il arriva à Maguelonne le 11 avril 1162, et passa à Montpellier, ville voisine, et dès lors trèspeuplée. I y entra sur un cheval blanc, revêtu des ornements pontificaux, et tout le peuple s'empressa à lui baiser les pieds. Le seigneur de Montpellier vint au-devant avec les barons du pays, et lui servit d'écuyer pendant mille pas. Le Pape entra dans la ville en procession. Quatre archevêques et six évêques se trouvèrent à Montpellier, et le Pape y tint un concile qui réitéra l'excommunication contre Octavien et ses complices.

Le roi Louis le Jeune ayant appris l'arrivée du Pape en France, lui envoya Thibaut, abbé de Saint-Germain des Prés, pour le complimenter. A la fin de juin il partit de cette ville et vint à Clermont en Auvergne, et de là à l'abbaye de Bourg-Dieu. Il y fut visité par Henri, roi d'Angleterre, qui, après lui avoir baisé les pieds, lui offrit des présents d'or. Il refusa même le fauteuil qu'on Jui avait préparé et s'assit à terre aux pieds du Pape avec ses barons. Il s'en retourna trois jours après. Le Pape étant venu ensuite à Couci-sur-Loire, le même prince et le roi de France s'y trouvèrent et le reçurent avec de grands honneurs. Ils le conduisirent à sa tente, marchant à pied à côté de lui et tenant à droite et à gauche la bride de son cheval. Dans le Carême de l'année suivante, il vint à Paris. Le roi Louis alla audevant de lui avec ses barons et ses chevaliers, et courut lui tenir l'étrier et lui baiser les pieds, après quoi ils s'embrassèrent. Ils entrèrent dans la ville, marchant ensemble, et ils allèrent à l'église cathédrale, précédés du clergé qui était venu au-devant. Il célébra à Paris la fête de Pâques, après quoi il retourna à Tours pour y célébrer le concile qu'il avait convoqué pour l'octave de la Pentecôte et qui s'ouvrit en effet ce jour, 19 nai 1163. Il s'y trouva dix-sept cardinaux et cent vingt-quatre évêques, quatre cent quatorze abbés et une grande multitude d'autres personnes. Arnoul, évêque de Lisieux fit un sermon pour l'ouverture du concile, où il exhorta les évêques à combattre courageusement pour l'unité de l'Eglise contre les schismatiques et pour sa liberté contre les tyrans qui la pillaient et qui l'opprimaieut. On s'y proposait d'imposer au schisme toute la flétrissure qu'il mé ritait. On déclara nulles les ordinations

faites par Octavien et les schismatiques entre lesquels deux sont taxés d'hérétiques, le cardinal Gui de Créme et Jean abbé de Strume. Ils justifièrent par la suite cette sévérité en se faisant l'un et l'autre antipapes. On y fit plusieurs canons contre la simonie et d'autres abus. Entin le concile tenta d'arrêter les progrès des manichéens qui remplissaient le Languedoc et qui furent nommés depuis Albigeois. Ces hérétiques si nombreux et si adroits avaient agi longtemps en secret et remué tout le midi de la France. Le nombre de leurs prosélytes s'était considérablement augmenté. Les évêques étaient restés dans une inaction presque complète, soit parce qu'ile ne comprenaient pas encore le danger de l'hérésie, soit parce qu'ils n'avaient pas la conscience ou le courage de leur devoir.

Déjà le Pape Alexandre leur avait donné l'impulsion. Il s'était appliqué à la fois à éteindre le schisme et à extirper l'hérésie. Pour cela il alla dans le midi de la France, et tint un nombreux concile à Toulouse et à Montpellier. Nous n'avons plus les Actes de ces conciles; mais nous savons par quelques fragments historiques que le Pape s'occupa spécialement de l'unité de l'Eglise : unité dans son chef, unité dans sa doctrine. Un décret du concile de Montpellier nous montre quelle était la véritable situation du Midi. Les hérétiques y étaient très-nombreux et leur audace ne pouvait plus être réprimée que par l'autorité civile, mais le clergé n'était pas secondé par la puissance séculière. Celle-ci, au contraire, tolérait et protégeait les hérétiques, malgré les plaintes et les avertissements des évêques. C'est pourquoi le Pape Alexandre déclara excommunié, ipso facto, tout prince qui, averti par l'Eglise, n'emploierait pas son pouvoir temporel contre les hérétiques.

Ce décret, qui est de 1162, et par conséquent treize ou quatorze ans après la mission de saint Bernard, est fort remarquable. Le Pape voyant que les hérétiques méprisaient l'au1orité ecclésiastique, recourt à l'autorité civile il veut que celle-ci appuie les décisions du clergé et maintienne l'unité catholique. En cela, il ne demande que l'accomplissement d'un devoir qui était imposé à tous les princes, même aux souverains, et qui les obligeait à maintenir dans leurs Etats l'intégrité de la foi catholique. C'est l'obligation que contractaient tous les chevaliers, tous les comtes et tous les souverains, en prenant possession de leur dignité. C'était une des conditions du pacte social que signaient les princes et les souverains; c'était, si je puis m'exprimer ainsi, le premier article de la charte du moyen âge. Ensuite le Pape ne demande pas qu'on extermine ces hérétiques, il veut seulement que, suivant les lois, il les éloigne de la société, et qu'on les mette en lieu de sûreté, pour qu'ils ne puissent pas répandre leurs doctrines. C'est ce qui est expliqué par un canon du concile de Tours, qui se tint l'année suivante, 1163, et qui fut présidé par le Pape. Voici ce décret

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DES PAPES.

porté par le Pape en présence de dix-sept cardinaux, cent vingt-quatre évêques, quatre cent quatorze abbés, et d'un nombre infini d'ecclésiastiques de tous les pays de l'Occident. Il y a déjà longtemps, dit le concile, qu'une hérésie détestable, qui a pris son origine dans Toulouse, gagne, comme un cancer, les villes voisines, et infecte un grand nombre de fidèles dans la Gascogne et les provinces voisines; elle se cache comme un serpent qui se replie sur soi-même, et plus elle a d'artifice à se glisser en secret, plus elle en impose aux simples. On voit que le Pontife a bien étudié la marche de cette hérésie. Il indique le lieu de son origine en France, et dépeint ses ruses sous l'image d'un serpent. Le Pape continue Nous ordonnons donc aux évêques et aux prêtres qui sont dans ces provinces, d'y veiller avec soin, et nous défendons, sous peine d'excommunication, de donner retraite et secours à ceux qu'on saura soutenir cette hérésie. Nous recommandons aussi de cesser tout commerce avec eux, soit pour vendre, soit pour acheter, afin que la privation de toute consolation humaine les force à sortir de leur mauvaise voie. Si quelqu'un ose contrevenir à ces ordres, qu'on l'excommunie; que les princes chrétiens fassent emprisonner que les hérétiques et confisquent leurs biens; qu'on fasse une recherche exacte des lieux où ils tiennent leurs assemblées, et qu'on les empêche de s'y altrouper.

Ce décret est de 1163. On voit que le Pape ne veut pas la mort des hérétiques; il ordonne seulement qu'on les sépare de la société, d'après le principe admis au moyen âge, qui déclarait non citoyen celui qui n'était pas Chrétien. Mais observez la marche prudente et progressive de la papauté: Eugène 111, au concile de Paris, en 1148, défend aux princes, sous peine d'excommunication, de protéger ou de favoriser l'hérésie. Alexandre III va plus loin: il leur ordonne, sous la même peine, de prêter à l'Eglise le secours de leur autorité temporelle. Le concile de Tours explique quel est ce secours c'est de priver les hérétiques de tout commerce, de les emprisonner au besoin, et de confisquer leurs biens; dispositions puisées dans le droit romain. Le Pape parle avec autorité: la législation du moyen âge lui en donnait le droit.

Mais le décret du concile de Tours resta sans effet. Le Pape ne put en poursuivre l'exécution, parce qu'il fut absorbé par d'autres affaires non moins graves et plus pressantes. Le schisme, soutenu par la puissance impériale, continua et ne s'éteignit pas même à la mort de l'antipape Victor III. On lui substitua un second puis un troisième, pereur, excommunié de nouveau, bouJeversa toute la haute Italie, et vint mettre le siége devant Rome. Au milieu de ces graves événements, arrive l'affaire de Thomas Becket, qui, rappelé d'un long exil, est assassiné cruellement dans son église par des serviteurs de son souverain. De là de nom. breux conciles et d'inextricables embarras

ALE

pour la papauté. A la faveur de ces troubles,
les manichéens gagnent plus de treize ans
sans qu'on puisse s'occuper d'eux.

Quand le concile de Tours fut terminé, les
deux rois de France et d'Angleterre firent
inviter le Pape Alexandre à établir sa rési-
dence dans leurs royaumes, lui offrant pour
son séjour le lieu qu'il trouverait le plus
convenable. Il choisit la ville de Sens, la plus
distinguée alors dans l'ordre hiérarchique,
comme métropole de la capitale 'de France;
il s'établit au commencement d'octobre, et y
demeura environ un an et demi, et y expé-
dia les affaires de toute l'Eglise, comme s'il
eût été à Rome.

L'antipape Octavien étant tombé malade à Lucques, vers la fête de Pâques, il mourut le 22 avril 1164. Les chanoines de la cathédrale et ceux de Saint-Fridgin refusèrent de l'enterrer chez eux, et il fut inhumé dans un monastère hors de la ville. Il n'y avait de son parti que les deux cardinaux Jean de Saint-Martin et Guy de Crème. Ayant appelé quelques schismatiques d'Italie et d'Allemagne, ils élurent pour Pape Guy de Crême, sous le nom de Pascal III, et envovèrent aussitôt à l'empereur d'Allemagne pour lui et Pascal, sacré le 26 avril, porta le nom de faire confirmer l'élection. L'empereur le fit. Pape trois ans.

A Rome, le cardinal Jules, vicaire du Pape Alexandre, mourut, et on mit à sa place Jean, prêtre-cardinal, du titre de Saint-Jean et Saint-Paul. Il fit tant, par ses exhortations, qu'il ramena à l'obédience d'Alexandre la plupart du peuple romain. Ceux-ci promirent avec serment de reconnaître Alexandre. Ils établirent un nouveau sénat qui lui était dévoué; ils remirent entre les mains de son vicaire les lieux jusqu'alors occupés par les schismatiques. Alors le cardinal-vicaire, de concert avec le peuple de Rome, lui envoya en France une députation pour le prier de revenir en cette ville. Le Pape en ayant délibéré avec les évêques et les cardinaux qui étaient auprès de lui, à Sens, promit de revenir, dans l'espérance que son rétablissement à Rome mettrait fin au schisme. Mais il ne put partir que l'anuée suivante. Pendant son séjour en France, Alexandre ordonna, dans un concile tenu à Reims, une collecte pour venir au secours de la Terre-Sainte, avec obligation aux laïques, comme au clergé, d'y contribuer pendant cinq ans. Il s'embar qua ensuite à Montpellier, au mois d'août 1165, pour retourner en Italie; et, après une navigation dangereuse, il aborda à Messine en Sicile. Le roi Guillaume le fit conduire à Rome, où il le fit accompagner par plusieurs seigneurs. Le Pape y entra vers

fin de novembre, et y fut reçu avec une grande solennité; mais l'empereur Frédéric ne l'y laissa pas tranquille. Il revint en Italie l'année suivante, pour rétablir à Rome l'antipape Pascal. Il se rendit maître de toutes les villes voisines, et attaqua Rome par force. Les Romains voyant qu'ils ne pouvaient plus tenir contre l'empereur, résolurent de traiter avec lui, et promirent de

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