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crètes: ce qui suffirait pour votre instruction. On voit ici comment les évêques apprenaient la pratique des sacrements, par l'ex mple et la tradition vivante.

Venant au fait particulier, le Pape décide que l'on ne doit donner la paix qu'après la consécration des mystères, pour montrer que Je peuple y a consenti, et que l'action est achevée; que l'on ne doit réciter les noms de ceux qui ont fait des offrandes, qu'après que le prêtre les a recommandés à Dieu par sa prière, ce qu'il faut entendre du Memento dans le canon; que l'on ne doit point envoyer le serment aux Eglises de la campagne. On eroit que ce serment était une partie de Eucharistie que l'on gardait après le saerifice, pour le mêler au sacrifice suivant, comme un levain sacré, et une marque sensible que c'est toujours la même oblation du même corps de Jésus-Christ. Le Pape l'envoyait le dimanche par les titres de Rome, c'est-à-dire dans les Eglises de la ville, dont les prêtres ne pouvaient pas s'assembler ce jour-là avec lui, à cause du peuple qui leur était confié. Ils recevaient donc, par des acolytes, le serment consacré par le Pape, en signe de communion; mais on ne l'envoyait pas aux prêtres des cimetières éloignés, pour ne pas porter trop loin les sacrements, et ces prêtres des cimetières avaient droit de les consacrer. Toutes nos Eglises, dit le Pape, sont dans la ville, c'està-dire qu'elle était tout son diocèse; aussi voyons-nous des évêques dans les petites villes les plus proches de Rome, comme Ostie, Prénestre, Tibur. On doit jeûner le samedi de chaque semaine, comme le vendredi et ces deux jours on ne célèbre point les mystères, en mémoire de la tristesse dans laquelle les apôtres les passèrent. C'était la coutume de l'Eglise romaine. Les autres ne jeûnaient que le samedi saint, de tous les samedis de l'année. Ceux qui, après le baptême, deviennent possédés du démon, peuvent recevoir l'imposition des mains d'un prêtre ou d'un autre clerc, mais seulement par ordre de l'évêque. Les pénitents ne doivent recevoir l'absolution que le jeudi saint, hors le cas de nécessité. Il n'y avait que l'évêque qui pât donner aux enfants le sceau sacré, c'est-à-dire le sacrement de confirination. Nous l'apprenons, dit ce Pape, nonseulement par la coutume des Eglises, mais encore par l Ecriture sainte, dans les Actes, en la personne de saint Pierre et de saint Jean. Les prêtres peuvent bien faire aux baptisés l'onction du même, pourvu qu'il soit consacré par l'évêque; mais ils n'en peuvent pas marquer le front; cela n'est permis qu'aux évêques, quand ils donnent le Saint-Esprit. L'onction des malades peut être faite par les prêtres, suivant l'épitre de l'apôire saint Jacques, et la raison en est, que les autres occupations des éréques ne leur permettent pas d'aller à tous les malades: mais l'huile de cette onction doit étre sacrée par l'évêque. On ne la donne point aur pénitents, parce que c'est un sacrement. Voilà les deux sacrements de confirmation et dextrême-onction bien établis dans cette

décrétale sur la tradition et l'Ecriture. Le Pape ajoute à la fin: Quand vous viendrez ici, je pourrai vous dire le reste, qu'il n'était pas permis d'écrire. Il avait déjà dit, en parlant du saint sacrifice: Après toutes les choses que je ne dois pas découvrir et, en parlant de la confirmation: Je ne puis dire les paroles, de peur que je ne semble plutôt trahir les mystères que répondre à une consultation. Tel était encore alors le secret inviolable des mystères

Cette décrétale est datée du 19 de mars 416. Il y a plusieurs autres décrétales da Pape saint Innocent à divers évêques d'Italie, dont on ne sait pas le temps; une à Félix, évêque de Nocera, touchant les ordinations, où il déclare que la mutilation d'un doigt ou de quelque autre partie du corps, ne rend irrégulier que quand elle est volontaire, et non quand elle est arrivée par accident, comme en travaillant à la campagne; qu'entre les laïques, ceux-là étaient irréguguliers, qui, depuis leur baptême, avaient porté des armes ou plaidé des causes, ou servi en quelque administration publique; et ceux que l'on appelait curiales, de peur qu'on ne les rappelât au service des villes ; ceux qui auraient entretenu une concubine; les bigames, entre lesquels sont compris ceux qui ont épousé des veuves.

Dans deux autres lettres,. l'une à Maxime et Sévère, évêque dans la province des Brutiens, qui est la Calabre; l'autre à Agapet, Macédonius et Marien, évêques dans la Pouille, le Pape ordonne à ces évêques de faire venir devant eux des clercs qui lui ont été dénoncés par quelques particuliers, et de les déposer si les reproches sont véritables. Mais Florentius, évêque de Tibur, étant accusé d'entreprendre sur le territoire de son voisin, le Pape l'invite à venir à Rome après Pâques pour y faire juger ses prétentions; c'est-à-dire qu'il cite à son concile cet évêque voisin, et renvoie les cleres plus éloignés aux évêques des lieux. Dans une autre décrétale, il décide qu'un second mariage, contracté pendant la captivité de la première femme, doit être déclaré nul, quand elle revient. Il y a trois décrétales adressées aux évêques de Macédoine, à l'occasion des ordinations faites par Bonose, condamné sous le Pape Sirice vers l'an 390. Le Pape saint Innocent reçut une lettre synodale de plus de vingt-trois évêques de Macédoine, dont les premiers étaient Rufus et Eusèbe, qui le consultaient sur divers points de discipline, touchant les ordinations, particulièrement celles des hérétiques. Le Pape saint Innocent, dans sa réponse, établit d'abord pour maxime que les ordinations des hérétiques sont nulles, c'est-à-dire qu'elles doivent être sans effet; et ceux qu'ils ont ordonnés, revenant à l'Eglise, ne doivent être comptés que pour laiques, comme tous les autres pécheurs publics, parce que l'ordination n'efface pas les crimes. Il prouve la maxime par la conduite d'Anysius de Thessalonique, et deux évêques de son temps, qui n'avaient requ ceux que Bnose avait ordonnés que

par dispense et pour éviter le scandale; ce qui prouve que l'ancienne règle apostolique y était contraire.

On prétendait que Bonose en avait ordonné plusieurs malgré eux. A quoi le Pape répond qu'on peut le croire de ceux qui après cette ordination se sont retirés aussitôt de sa communion, pour revenir à l'Eglise. Mais qu'à l'égard de ceux qui ne sont revenus qu'au bout d'un an ou d'un mois, on peut juger que, se sentant indignes de recevoir l'ordination légitime, ils se sont adressés à celui qui la donnait à tous venants, espérant conserver leur place dans l'Eglise catholique. Encore faut-il distinguer ceux qui n'ont fait aucune fonction, de ceux qui ont consacré et distribué les mystères, et célébré les Messes selon la coutume. Le Pape conclut, que ce qui a été accordé à la nécessité du temps, ne doit point tirer à conséquence pour la paix de l'Eglise, et établit cette maxime importante, que, quand un peuple entier a péché, on passe beaucoup de choses, parce qu'on ne peut punir tous les coupables. Cette décrétale est datée du 13 décembre 414. Le Pape saint Innocent étant à Ravenne pour les affaires du peuple romain, reçut une députation de quelques-uns, qui prétendaient avoir été ordonnés par Bonose avant sa condamnation; et il écrivit à Marcien, évêque de Naïse, de les recevoir si leur exposé était véritable. Mais pour les sectateurs de Bonose, nommés aussi photiniens, parce qu'ils niaient comme lui la divinité de Jésus-Christ, le Pape saint Innocent écrivit à Laurent, évêque de Segma, de les chasser, comme on avait chassé de Rome leur chef nommé Marc, et d'empêcher qu'ils ne séduisissent les simples et les paysans.

L'an 416, le 2 juin, le Pape saint Innocent écrivit à Aurélius, évêque de Carthage, une lettre sévère touchant les ordinations. Il se plaint que l'Eglise est traitée indignement en Afrique, et que l'on choisit les évêques si négligemment, que les plaintes en sont publiques même dans les lettres des gouverneurs; que l'on rejette les clercs nourris dans la science et le service de l'Eglise, pour élever tout d'un coup au sacerdoce des hont hommes embarrassés d'affaires, et dont les mœurs sont toutes séculières. Il prie Aurélius de faire lire sa lettre par toutes les Eglises d'Afrique, et d'y joindre celles des préfets, qu'il lui envoie. Ce désordre pouvait venir de la rareté des clercs, dont nous avons vu qu'Aurélius se plaignait lui-même en plein concile. Le Pape saint Innocent ayant reçu les lettres synodales du concile de Milève, et la lettre familière des cinq évêques, y fit réponse par des lettres séparées, toutes trois de la même date, savoir, du 27 janvier 417; et l'évêque Jules, qui avait apporté les lettres des Africains, fut le porteur des réponses. Les deux premières, qui répondent aux deux lettres synodales, sont à peu près semblables. Le Pape y loue d'abord des évêques d'Afrique de ce que, suivant l'ancienne coutume, ils ont consulté le Saint-Siége, dont ils relèvent l'autorité et la dignité. Il établit som

mairement la doctrine catholique sur la grâce, et condamine Pélage, Célestius, et leurs sectateurs, les déclarant séparés de la communion de l'Eglise, à la charge de les y recevoir s'ils renoncent à leurs erreurs.

Dans la troisième lettre, qui est la réponse aux cinq évêques, le Pape saint Innocent dit qu'il ne peut ni assurer, ni nier, qu'il y ait des pélagiens à Rome; parce que, s'il y en a, ils se cachent et ne sont pas aisés à découvrir dans une si grande multitude. H ajoute, parlant de Pélage: Nous ne pouvons croire qu'il ait été justifié, quoique quelques laïques nous aient apporté des actes par lesquels il prétend avoir été absous. Mais nous doutons de la vérité de ces actes, parce qu'ils ne nous ont point été envoyés de la part du concile, et que nous n'avons reçu aucune lettre de ceux qui y ont assisté. Car si Pélage avait pu s'assurer de sa justification, il n'aurait pas manqué d'obliger ses juges à nous en faire part. Et dans ces actes mêmes il ne s'est point justifié nettement, et n'a cherché qu'à esquiver ou embrouiller. C'est pourquoi nous ne pouvons ni blâmer ni approuver ce jugement. Que si Pélage prétend n'avoir rien à craindre, ce n'est pas à nous à l'appeler, c'est à lui plutôt à se presser de venir se faire absoudre. Car s'il est encore dans les mêmes sentiments, quelques lettres qu'il reçoire, il ne s'exposera jamais à notre jugement. Que s'il devait être appelé, ce serait plutôt par ceux qui sont les plus proches. Nous avons lu entièrement le livre qu'on dit étre de lui, et que yous nous avez envoyé. Nous y avons trouvé beaucoup de propositions contre la grâce de Dieu, beaucoup de blasphèmes, rien qui nous ait plu, et presque rien qui ne nous déplút, et qui ne doive être rejeté de tout le monde. Tel est le jugement du Pape saint Innocent sur la doctrine de Pélage.

Ce saint Pape mourut peu de temps après, le 12 mars de la même année 417, agé de cinquante sept ans, après avoir tenu le SaintSiége environ quinze ans. Il dédia une église au nom de saint Gervais et de saint Protais, bâtie en vertu du testament et par la libéralité d'une femme illustre, nommée Vestine, par les soins des prêtres Ursicin et Léopard, et du diacre Libien. Saint Innocent 1", qui eut pour successeur dans la chaire de saint Pierre, saint Zozime, est honoré le 28 juillet.

INNOCENT II. Le jour même de la mort d'Honorius II, les cardinaux qui avaient eu le plus de part à la familiarité de ce Pape, voulant prévenir les troubles qui pouvaient arriver à l'élection d'un successeur, élurent Grégoire, cardinal de SaintAnge, le nommèrent Innocent II, et le revêtirent des ornements pontificaux. Quelque bonne que fût leur intention, ils devaient prévoir et craindre les suites d'une précipitation si contraire aux règles. Les autres cardinaux, ayant su la mort du Pape, s'assemblèrent à Saint-Marc, et élurent Pierre de Léon, prêtre-cardinal, et le nommèrent Anaclet II. Ainsi il y eut un schisme.

Grégoire avait été moine à Saint-Jean de Latran, puis abbé d'un monastère de Saint

Nicolas. Il fut fait cardinal-diacre par e pape Urbain II, et envoyé légat en France avec Pierre de Léon. En devenant cardinal, le commerce du grand monde et la faveur des Souverains Pontifes ne lui avaient rien fait perdre de sa piété, de son détachement, ni de sa modestie. Quoique sa pénétration et sa prudence l'eussent fait juger digne du pontificat longtemps avant qu'il y fût élevé, il s'opposa de tout son pouvoir à son élévation, déchira la chape quand on la lui présenta, et tenta tous les moyens imaginables de s'enfuir. Il fallut le retenir de force: on n'obtint son consentement qu'en le menaçant d'excommunication, s'il le refusait plus longtemps.

Pierre était fils de Pierre Léon, qui avait acquis dans Rome beaucoup d'autorité et de réputation. Il avait servi si utilement l'Eglise romaine dans la querelle des investitures, par ses armes et par ses conseils, qu'il fut fait gouverneur du château Saint-Ange, et il amassa de grands biens et des dignités. Pierre, son fils, ayant été destiné aux lettres, vint en France, étudia à Paris, et, étant allé à Cluny, y prit l'habit. Le pape Pascal II le rappela à Rome, le fit cardinal, et, du temps du pape Calixte, il fut envoyé en France avec Grégoire. Tels étaient les deux concurrents

Du côté d'Innocent, on comptait dix-neuf cardinaux qui lui rendirent tout l'honneur qu'ils purent, selon la circonstance du temps. Mais Anaclet avait de grandes richesses, tant celles que son père avait laissées, que celles qu'il avait acquises dans ses légations. 1 gagna donc par ses largesses le peuple de Rome et la plupart des grands. Innocent et ceux de son parti, voyant qu'Anaclet était le plus fort à Rome, se retirèrent dans les maisons fortifiées des Frangipane, où ils se défendirent quelque temps. Cependant l'évêque de Porto, chef des cardinaux d'Anaclet, écrivit à ceux d'Innocent une lettre dans laquelle il leur représentait que ce n'était pas dans un coin et dans le secret qu'on élisait un Pape, et qu'on ne devait compter pour rien ce qu'ils avaient fait. Anaclet lui-même écrivit aussi de tous côtés pour se faire reconnaître Pape. Il envoya un légat en France, et un à Constantinople. Il fut reconnu en Italie par Roger, duc de Calabre; mais il fut excommunié par saint Hugues, évêque de Grenoble. Le roi de France, Louis le Gros, ayant appris ce qui se passait à Rome, indiqua un concile à Etampes pour examiner lequel de ces deux Papes avait été élu canoniquement. Saint Bernard fut appelé à ce concile; il y vint en tremblant, connaissant l'importance de cette affaire. Le roi et les seigneurs convinrent de s'en rapporter à son avis, sur la haute idée qu'ils avaient de ses lumières et de sa sainteté. Le serviteur de Dieu, après avoir examiné avec grand soin la forme de l'élection, le mérite des électeurs, la vie et la réputation de celui qui avait été élu le premier. déclara qu'Innocent devait être re

connu Pape, et toute l'assemblée y applaudit.

Vers le même temps, Innocent, qui etait parti de Rome avec les cardinaux de son parti, arriva en France, et vint à Cluny, où les moines le retinrent onze jours. L'honorable réception qu'on lui fit dans ce célèbre monastère lui donna une grande autorité dans tout l'Occident. L'empereur Lothaire s'attacha aussi à Innocent, de même que les rois d'Espagne et de Jérusalem. Saint Bernard allait de tous côtés pour éteindre le schisme, et détacher d'Anaclet ceux qui lui étaient favorables. C'est, disait-il, une maxime constante dans l'Eglise, qu'après une première élection, il ne peut y en avoir une seconde. Supposé donc qu'il eût manqué quelque formalité à la preinière, fallait-il procéder à une autre élection, sans avoir auparavant examiné la première, et l'avoir cassée juridiquement? Bien plus, ce jugement a été approuvé par les évêques les plus respectables de l'Eglise, par les hommes qui sont morts au monde, et par les plus saintes communautés.

Au reste, Innocent fut reçu dans les monastères de France, avec la plus grande vénération. Lorsqu'il arriva à Saint-Denis, le célèbre abbé Suger alla au-devant de lui en procession avec la communauté. Ce Pape y fit une entrée magnifique. Ceux de sa suite s'habillèrent à la romaine, et allaient à cheval deux à deux, avec des manteaux. Le Pape était monté sur un cheval blanc, orué d'une riche housse. Il avait sur la tête une tiare en broderie, avec un cercle d'or. Les barons, vassaux de l'abbaye, marchaient à pied, et servaient d'écuyers au Pape, menant son cheval par la bride. Les nobles venaient au-devant, suivis d'une multitude de peuple. Les Juifs mêmes étaient venus de Paris pour prendre part à cette cérémonie. Ils présentèrent au Pape le livre de la loi en rouleau et couvert d'un riche voile. Plaise au ToutPuissant, leur dit le Pape, d'ôter le voile de vos cœurs! Etant arrivé dans l'église, il célébra solennellement la Messe; il alla ensuite, avec tout son cortége, dîner dans le cloître qui était tapissé. Ils mangèrent d'abord un agneau, étant couchés comme les anciens; le reste du repas se fit selon l'usage du temps. Le Pape continua de visiter les Eglises de France, qui suppléèrent à ses besoins, parce qu'il ne pouvait rien tirer des Etats du Saint-Siége; ce qui leur fut une grande charge, car il menait avec lui une multitude de Romains. Sa réception à Clairvaux fut différente de celle qu'on lui avait faite à Saint-Denis.

On lui témoigna une affection singulière, mais avec une simplicité digne des habitants de cette sainte vallée. Les moines étaient vêtus pauvrement, portant une croix de bois et chantant modestement. Les évêques et le Pape lui-même ne purent retenir leurs larmes. Au milieu d'une affluence si capable de causer quelque dissipation, tous ces saints religieux avaient les yeux fixés à tere, sans que la curiosité les leur fit lever

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ailleurs en sorte que tout le monde admirait la gravité de cette communauté. Les Romains ne virent rien, dans cette église, qui excitât leur cupidité il n'y avait que les murailles toutes nues, et ces admirables religieux ne présentaient rien de désirable que l'imitation de leurs vertus. Le repas qu'ils offrirent fit connaitre l'austérité de our vie on servit à manger du pain noir, des herbes, des légumes, et il ne se trouva pour le Pape que quelques petits poissons. Déjà le concile du Puy s'était solennellement déclaré en faveur d'Innocent 11, qui alla tenir un concile à Clermont, où il excommunia l'antipape. Saint Bernard, saint Hugues de Grenoble, et tout ce que l'Eglise comptait de plus auguste, s'était prononcé pour lui. On convoqua à Reims un concile de toutes les nations, afin de confirmer d'un commun accord l'élection d'Innocent. Ce concile s'ouvrit le 19 octobre 1131. Il s'y trouva treize archevêques, deux cent soixantetrois évêques, une infinité d'abbés, de clercs et de moines français, allemands, espagnols et anglais. Le plus éminent de ces prélats était saint Bernard, qui ne se séparait plus du Pape, et qui assistait, avec les cardinaux, à toutes les délibérations publiques. L'élection d'Innocent fut unanimement ratifiée, et Pierre de Léon excommunié, s'il ne venait à résipiscence; après quoi on publia dix-sept canons de discipline.

Innocent, étant ensuite retourné en Italie, vint à Pise; il y appela les Génois, et les réconcilia avec les Pisans, leur faisant prêter serment de part et d'autre qu'ils s'en tiendraient à son jugement, touchant la guerre qu'ils se faisaient entre eux; et il leur ordonna de vivre désormais en paix. Saint Bernard, qui avait suivi le Pape dans ce voyage, fut le médiateur de cette paix. Ensuite, le roi Lothaire étant venu à Pise joindre le Pape, comme ils en étaient convenus, ils marchèrent vers Rome, et y entrèrent le 1 mai. Innocent couronna empereur ce prince, avec la reine Richilde, son épouse, dans l'église du Sauveur, à Latran, et non à Saint-Pierre, parce que l'antipape Anaclet en était le maître. Il se tenait à couvert sur les hauteurs, d'où il incommodait avec ses machines l'armée de Lothaire, qui n'était que de deux mille chevaliers. Cet empereur, voyant qu'il n'avait pas assez de forces pour prendre le château Saint-Ange, et encore moins pour attaquer Roger, roi de Sicile, qui protégeait Anaclet, se retira en Allemagne. Le Pape Innocent, ne se trouvant plus en sûreté dans Rome, revint à Pise. Il y convoqua un concile, et il y appela saint Bernard. Ce saint assista à toutes les délibérations; et comme il était vénéré de tout le monde, on s'en rapportait à ses avis. On y excommunia de nouveau Pierre de Léon, dit Anaclet.

Cet antipape mourut au commencement de l'année 1138, après avoir porté le nom de Pape pendant près de huit ans. Les cardinaux de son parti élurent, pour tenir sa place, Grégoire, prêtre-cardinal, qu'ils nom

mèrent Victor; mais deux mois après il alla se jeter aux pieds du Pape Innocent, et les clercs schismatiques suivirent son exemple. Alors Innocent reprit l'autorité tout entière à Rome; il rétablit le service des églises, en répara les ruines, rappela les exilés et repeupla les colonies désertes. L'année suivante, il fit tenir le concile général qu'il avait indiqué à Rome, dans le palais de Latran. Il s'y trouva environ mille évêques, et on le compte pour le dixième général. Le Pape y fit un discours qui tendait principalement à la réunion de l'Eglise, après le schisme; car c'était le principal objet du concile. On y fit trente canons; ensuite le Pape appela par leur nom chacun des évêques ordonnés pendant le schisme; et, après leur avoir reproché leur faute, il leur attacha leur crosse, leur anneau et leur pallium.

Le roi Roger de Sicile, sachant qu'il avait été excommunié dans ce concile, vint à Salerne avec son armée, et parcourut la Pouille, dont toutes les villes se rendirent à lui. Le Pape, à cette nouvelle, sortit de Rome avec les troupes qu'il put rassembler, et s'avança jusqu'au pied du mont Cassin. On envoya de part et d'autre des députés pour négocier la paix; mais, dans cet intervalle, le fils du roi Roger, à la tête de mille chevaux, attaqua par derrière le Pape en marche, le prit et l'amena à son père. Aussitôt le roi envoya des députés au Pape, son prisonnier, dans les termies les plus soumis; et le Pape, se voyant abandonné, sans forces et sans armes, consentit à la paix. Les principaux articles du traité furent que le Pape accorderait à Roger le royaume de Sicile; à un de ses fils, le duché de Pouille, et à l'autre, la principauté de Capoue. Après quoi, le roi et ses deux fils vinrent en présence du Pape, et, se jetant à ses pieds, lui demandérent pardon, lui promirent obéissance et lui jurèrent fidélité. Innocent retourna à Rome, où il était très-impatiemment attendu.

L'an 1140, Albéric, archevêque de Bourges, étant mort, le Pape mit à sa place Pierre de la Châtre, d'une famille noble du pays, et l'envoya prendre possession. Le roi de France, Louis le Jeune, se tint offensé qu'il eût été élu sans son consentement, jura que, lui vivant, Pierre ne serait jamais archevêque de Bourges, et empêcha qu'il ne fût reçu dans la ville. Pierre alla à Rome, et fut sacré par le Pape, qui dit qu'il fallait instruire ce jeune prince, et empêcher qu'il ne s'accoutumât à de telles entreprises; et parce que le roi avait défendu à Pierre l'entrée des terres de son obéissance, le Pape les mit toutes en interdit, défendant d'y célébrer l'Office divin. Thibault, comte de Champagne, qui avait de grandes terres dans le Berri, prit sous sa protection l'archevêque Pierre en sorte que toutes les Eglises lui obéissaient. Le roi, irrité, assembla ses vassaux, porta la guerre en Champagne, et la ville de Vitri fut brûlée, avec une grande multitude de peuple de tout sexe et de tout åge. Saint Bernard, prévoyant les suites funestes de l'interdit que le Pape avait jelé

sura France, à cause de l'archevêque de Bourges, écrivit aux cardinaux de la cour de Rome, les chargeant de demander pardon pour le roi, attendu qu'il le demandait luimême, et leur représentant la dignité du roi et celle du royaume de France.

D'un autre côté, les Tiburtins, qui avaient été excommuniés par Innocent, voyant leur ville assiégée, se rendirent à des conditions raisonnables; mais les Romains, qui vouJaient que le Pape ne leur pardonnât qu'à condition d'abattre leurs murailles, irrités de ce qu'il ne leur imposait point cette condition, recommencèrent la guerre. Le Pape s'opposa à leur dessein de son mieux, et ne pouvant s'en rendre maître, parce que le peuple était le plus fort, il tomba malade, et mourut le 24 septembre 1143, après treize ans et sept mois de pontificat.

INNOCENT III. Parmi les plus grands hommes qui ont occupé la chaire de saint Pierre, Innocent brille au premier rang, soit que nous contemplions son habileté, ou l'étendue de ses connaissances, son infatigable activité, ou la pureté de sa vie, son attitude digne en parlant au nom de sa charge, qui est celle de Dieu même, ou enfin son humilité, lorsque sa propre personne s'offre seule aux regards. Aussi pourrait-on dire de ce qu'il voulut, prépara, entreprit et termina Innocent mit au grand jour ce que Grégoire VII montra dans l'ombre, et les germes déposés par ce dernier acquirent sous le premier leur entier développement. Pendant la durée d'un pontificat extraordinairement long pour un chef de l'Eglise, Alexandre III avait souffert et lutté avec une constance romaine pour atteindre le grand but dont son illustre successeur profita moins en combattant que par l'autorité que donne la victoire; et dans un long enchaînement de prédécesseurs et de successeurs, tous plus ou moins animés d'une même et unique idée, Innocent III en présente la plus claire expression, l'application la plus immédiate.

Que l'on songe au torrent d'événements divers qui se pressent dans un espace de dixhuit années, et dont il y eut à peine un seul où Innocent ne jouât un rôle actif; que l'on contemple le théâtre sur lequel son œil toujours vigilant observait tout, était présent partout pour coordonner, régler, diriger depuis l'Irlande jusqu'à l'Euphrate, des montagnes de la Palestine aux rivages de la Scandinavie. Au dedans de Rome le pouvoir temporel à rétablir et à défendre contre les machinations des grands obstinés à attaquer l'autorité séculière de l'Eglise; au dehors la Sicile à protéger et à conserver avec énergie: en Allemagne des dissensions de dix années à clore; puis, à peine le calme est-il revenu que de nouveaux déchirements y éclatent dans la collision du pouvoir impérial avec celni du Pape. En France, vient la longue affaire du divorce de Philippe Auguste avec Ingeburge, où il s'agissait de maintenir les Jois de l'Eglise contre le caprice royal; au midi du même royaume, l'hérésie à com

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battre dans ses progrès; ensuite l'agrandissement de la couronne par la conquête de la Normandie et la brillante victoire de Bonvines. De l'autre côté du détroit, l'Angleterre gouvernée par un prince perfide, l'étonnante élection de l'archevêque de Cantorbéry el la folie toujours croissante d'un indigne monarque qui, d'un état libre, fait un fief de Saint-Siége; enfin en Espagne une foule de choses qui réclamaient l'intervention du Pontife et devenaient pour lui une source de consolation, sans compter l'éclatante victoire de las Navas de Toloza, coup mortel porté à la puissance des Maures. Que d'affaires de toute nature en Norwége, en Danemarck, en Suède, en Pologne, en Hongrie, qui attendaient de Rome des conseils, des soins, une direction et même des ordres ! L'Arménie, la Bulgarie et la Servie (la dernière du moins pour un temps), se réunissent à l'Eglise romaine de là des négociations, des dispositions à prendre, des règlements à établir. Plus haut le christianisme fondé dans l'Esthonie, se propageant dans la Prusse, se fortifiant dans la Livonie, lie ces pays au grand centre de la vie spirituelle et les joint irrévocablement au grand faisceau ehrétien. Et les croisades, ce premier et dernier but de toute l'activité, de tous les efforts d'Innocent dans l'Europe entière; cette soif du voyage d'outremer se réveillant de nouveau dans les peuples, mais qui, soudain, prenant une direction extraordinaire par la conquête de la vieille Byzance, fonde un empire latin où régnait naguère un Grec, et réunit par un lien passager et ne s'appuyant point sur le peuple une Eglise si longtemps séparée de la romaine! Que si vous ajoutez à tout cela des affa res ecclésiastiques en plus grand nombre et plus importantes que dans un autre temps; les unes traînant depuis longues années et heureusement terminées, les autres ranimées de languissantes qu'elles étaient; puis encore tout ce qu'en Europe ce Pape approfondit, décida, régla, en lui donnant le cachet indélébile de son génie, et, pour en finir, un concile général avec la fondation de deux ordres religieux qui, en s'étendant, acquirent une telle influence que, soit ensemble, soit séparément, ils imprimèrent souvent une direction à l'Eglise elle-même et formèrent plus tard une partie essentielle de son histoire : vous avouerez, je crois, au moment de rassembler les parties de cet immense tableau, qu'il exigeait bien une toile aussi grande.

Au moyen âge, la famille des Conti fut longtemps regardée comme une des plus illustres d'Italie. Elle portait originairement le nom de Trasmondo et faisait remonter sa généalogie jusqu'au vir siècle, quand Grimoald, roi des Lombards, donna le duché de Spolète à un Trasmondo qui était déjà comte de Capoue. La faveur impériale sous Othon le Grand, des alliances distinguées, des acquisitions importantes, des fonctions élevées et d'autres circonstances augmentèrent encore la grandeur de cette maison dans le cours des siècles, en sorte qu'au xm' la

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