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vinces. Ce fut à cette époque, que Jean-Casimir, dernier roi de Pologne, de la maison de Wasa, prédit à la république le sort qui la menaçait 1. Jean Sobieski, qui régna de 1674 à 1696, rétablit la réputation militaire de ses compatriotes; mais il ne put remédier aux maux invétérés. Après lui, la corruption fit des progrès rapides parmi ceux qui étaient placés à la tête du gouvernement; la nation dégénéra de plus en plus, et le moment approcha où la prédiction de JeanCasimir devait être accomplie.

A une époque où, dans la plupart des états destinés à jouer un rôle sur le théâtre de l'Europe, l'aristocratie des nobles avait fait place à la monarchie, seul gouvernement qui puisse convenir à un grand peuple; dans un temps où l'établissement d'un ordre de succession héréditaire avait consolidé les trônes, les Polonais rendirent le leur électif, et changèrent une monarchie en une hideuse aristocratie, tyrannisant le roi et opprimant le peuple. Les élections qui offraient un vaste champ à l'esprit de parti et à l'intrigue, fournissaient aux puissances étrangères une occasion pour se mêler des affaires intérieures de cette république, dont les membres se vendaient au plus offrant.

La constitution même de la république leur en donnait un moyen. La diète réunissait l'exercice de tous les pouvoirs suprêmes, et néanmoins il était libre au dernier gentilhomme de paralyser ses résolu

Voy. vol. XXXIV, p. 322. LUNIGII Orat, procerum Europa. Lips., 1713, p. II, p. 243.

tions, en leur refusant son suffrage. Ce droit absurde, destructif de tout ordre social, s'appelait le liberum veto. Pour en corriger l'abus, on avait imaginé les confédérations, remède presque pire que le mal, puisqu'il légalisait l'insurrection. Toutes les fois qu'un certain nombre de nobles se proposaient un but déterminé, ils se formaient en corps, et réunissaient leurs efforts pour atteindre ce but. A ces associations particulières, accédaient successivement les nobles de tout un cercle, d'un palatinat, d'une province; enfin ces confédérations particulières se changeaient en coufédération générale, qui, paraissant, à ce titre, à la diète, s'en arrogeait l'autorité. Chaque confédération, à l'instar d'un corps souverain, se donnait des lois et une constitution particulière; mais un caractère qui était propre à toutes, c'est qu'elles formaient leurs décrets à la pluralité des voix, tandis qu'aux diètes ordinaires, qu'on appelait libres, rien ne pouvait se faire sans que les suffrages fussent unanimes. Ainsi les confédérations remédiaient à un des plus grands vices de la constitution polonaise; mais le remède était dangereux, parce qu'une confédération formée donnait le prétexte et le droit de lui en opposer une autre, de diviser ainsi l'état en plusieurs partis, et d'organiser une guerre civile.

Enfin, pour achever le tableau politique de la Pologne, nous dirons, avec un écrivain célèbre : « Demeurés seuls, sans subordination, sans armée régulière, sans Tiers-État, sans finances, sans commerce, sans artillerie respectable et sans forteresse, les Polo

Affaire des dissidens.

nais ne pouvaient opposer à leurs voisins qu'une valeur inutile et le souvenir de leurs anciennes vic

toires 1. >>

La différence des religions dans les derniers siècles devint une nouvelle occasion de troubles et de discorde. Les provinces de la Lithuanie, qui anciennement avaient fait partie de l'empire de Russie, renfermaient une foule de Chrétiens orientaux non soumis

à l'Église latine, qu'on appelle Grecs. Tout le zèle du clergé catholique, et principalement des Jésuites, pour les réconcilier au saint-siège, avait échoué contre l'ardeur religieuse de ces schismatiques. Dans le seizième siècle, la réformation vint augmenter en Pologne la discordance en fait de religion. Le protestantisme qui récuse toute autorité humaine en matière de croyance, et surtout le calvinisme dont le régime ecclésiastique est essentiellement républicain, eonvenaient surtout à des nobles turbulens et avides de nouveautés: : nous disons à des nobles, parce que,

le

dans

gouvernement féodal, le peuple, attaché à la glèbe, n'est compté et ne peut être compté pour rien. La doctrine des réformateurs fit de grands progrès, et, vers la fin du seizième siècle, on comptait en Pologne près d'un million de Protestans.

Ce fut à l'occasion d'une confédération qui eut lieu en 1575, qu'on employa pour la première fois le mot de dissidens. « Nous nous engageons, c'est ainsi que s'exprime l'acte de cette confédération, à conserver la paix entre nous, qui sommes dissidens en fait

'M. de SÉGUR, Tableau hist. et polit. de l'Europe, vol. I, p. 165.

de religion. » On voit que cette phrase, qui ne dit autre chose sinon que les signataires ne partagent pas tous les mêmes opinions religieuses, comprend les Catholiques aussi bien que les Grecs et les Évangéliques. L'acte de 1573 était conforme d'ailleurs à une constitution décrétée, en 1563, sous Sigismond II ou Auguste I", et qui confirmait aux nobles grecs et protestans la jouissance de tous les droits politiques, et les reconnut habiles à exercer tout emploi, et à parvenir à toute dignité.

Ce fut sous le règne de Sigismond III qu'on commença à user de rigueur envers les non-catholiques et ce fut alors qu'on appliqua le nom de dissidens exclusivement à ceux qui ne reconnaissaient pas l'autorité du pape. Ce nom devint ainsi un nom de parti. On rendit contre les dissidens, dans ce sens, diverses lois tendant à limiter soit leurs droits politiques, soit l'exercice de leur religion. Nous avons déjà eu l'occasion de parler de cette persécution et des démarches que les puissances voisines firent pour y mettre fin 1. Elle prit un caractère plus méthodique dans le dix-huitième siècle, et principalement après la fuite de Charles XII, car ce prince avait montré un zèle indiscret pour le protestantisme qu'il voulait rendre cuite dominant en Pologne. La diète de 1717 ordonna la destruction des églises dissidentes bâties depuis l'occupation suédoise, et interdit l'exercice du culte protestant dans les lieux où il n'avait pas existé avant cette époque. A la diète de 1718, on refusa aux Voy. vol. XXXIV, p. 319, 355, 395.

Convention du 25 avril 1767.

dissidens l'entrée de la chambre des nonces. En 1724, l'intolérance des Jésuites attira, aux habitans protestans de Thorn, une persécution sanglante qui faillit à impliquer la république dans une guerre avec les garans de la paix d'Oliva '. La diète de convocation, de 1735, exclut les dissidens de toutes les places, dignités et fonctions, commissions, missions et starosties ayant jurisdiction; tous ces décrets furent confirmés par la diète de 1756.

Les dissidens profitèrent de l'élection de StanislasAuguste, qui était l'ouvrage de la Russie, pour réclamer la protection de l'impératrice Catherine. Cette souveraine, charmée de trouver un prétexte de plus pour se mêler des affaires intérieures de la Pologne, accorda aux dissidens sa protection et son appui, et intercéda en leur faveur, en invoquant l'art. 9 de la paix de Moscou. Elle demanda, le 14 septembre 1764 2, qu'on accordât aux dissidens le libre exercice de leur religion, et qu'ils pussent posséder des charges à l'égal des catholiques. Loin de se prêter aux vues de l'impératrice, la diète assemblée sur la fin de 1765, dans un mouvement d'enthousiasme, exalté par l'opposition, confirma les constitutions dont les dissidens avaient le plus à se plaindre.

Quelques armemens que l'Autriche faisait à cette époque, donnèrent lieu à une convention secrète entre la Russie et la Prusse; elle fut conclue le 23

'Il en sera question au chap. XXVII de ce livre.

• Une note semblable fut remise le même jour par le résident du roi de Prusse.

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