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soit entièrement en notre pouvoir que nos pensées; au moins en prenant le mot de pensées comme je fais, pour toutes les opérations de l'âme; en sorte que, non seulement les méditations et les volontés, mais même les fonctions de voir, d'ouïr, de se déterminer à un mouvement plutôt qu'à un autre, etc., en tant qu'elles dépendent d'elles (des opérations de l'àme), sont des pensées. Et il n'y a rien du tout que les choses qui sont comprises sous ce mot qu'on attribue proprement à l'homme en langue de philosophe : car pour les fonctions qui appartiennent au corps seul, on dit qu'elles se font dans l'homme et non par l'homme. Outre que par le mot entièrement et par ce qui suit, à savoir que, lorsque nous avons fait notre mieux touchant les choses extérieures, tout ce qui manque de nous réussir est au regard de nous absolument impossible, je témoigne assez que je n'ai point voulu dire pour cela que les choses extérieures ne fussent point du tout en notre pouvoir, mais seulement qu'elles n'y sont qu'en tant qu'elles peuvent suivre de nos pensées, et non pas absolument ni entièrement à cause qu'il y a d'autres puissances hors de nous qui peuvent empêcher les effets de nos desseins. Même, pour m'exprimer mieux, j'ai joint ensemble ces deux mots au regard de nous et absolument, que les critiques pourraient reprendre comme se contredisant l'un à l'autre, n'était que l'intelligence du sens les accorde. Or, nonobstant qu'il soit très vrai qu'aucune chose extérieure n'est en notre pouvoir qu'en tant qu'elle dépend de la direction de notre âme, et que rien n'y est absolument que nos pensées, et qu'il n'y a, ce me semble, personne qui puisse faire difficulté de l'accorder lorsqu'il y pensera expressément, j'ai dit néanmoins qu'il faut s'accoutumer à le croire, et même qu'il est besoin à cet effet d'un long exercice et d'une méditation souvent réitérée, dont la raison est que nos appétits et nos passions nous dictent continuellement le contraire, et que nous avons tant de fois éprouvé dès notre enfance qu'en pleurant ou commandant, etc., nous nous sommes fait obéir par nos nourrices, et avons obtenu les choses que nous désirions, que nous nous sommes insensiblement persuadés que le monde n'était fait que pour nous, et que toutes choses nous étaient dues: en quoi ceux qui sont nés grands et heureux ont le plus d'occasion de se tromper, et l'on voit aussi que ce sont ordinairement eux qui supportent le plus impatiemment les disgrâces de la fortune. Mais il n'y a point, ce me semble, de plus digne occupation pour un philosophe, que de s'accoutumer à croire ce que lui dicte la vraie raison, et à se garder des fausses opinions que ses appétits naturels lui persuadent. (vп, 394) b Ce que vous me mandez de saint Augustin et de saint Ambroise, que notre cœur et nos pensées ne sont pas en notre pouvoir, et que mentem confundunt alioque trahunt, etc., ne s'entend que de la partie sensitive de l'âme, qui reçoit les impressious des objets, soit extérieurs, soit intérieurs, comme les tentations, etc. Et en ceci je suis bien d'accord avec eux, et je n'ai jamais dit que toutes nos pensées fussent en notre pouvoir; mais seulement, que s'il y a quelque chose absolument en notre pouvoir, ce sont nos pensées, à savoir celles qui viennent de la volonté et du libre arbitre, en quoi ils ne me contredisent aucunement; et ce qui m'a fait écrire cela, n'a été que pour faire entendre que la juridiction de notre libre arbitre n'était point absolue sur aucune chose corporelle, ce qui est vrai sans contredit. (vi, 409)

c Ainsi je crois que la vraie générosité, qui fait qu'un homme s'estime au plus haut point qu'il se peut légitimement estimer, consiste seulement partie en ce qu'il connaît qu'il n'y a rien qui véritable

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ment lui appartienne que cette libre disposition de ses volontés, ni pourquoi il doive être loué ou blåmé, sinon pour ce qu'il en use bien ou mal; et partie en ce qu'il sent en soi-même une ferme et constante résolution d'en bien user, c'est-à-dire de ne manquer jamais de volonté pour entreprendre et exécuter toutes les choses qu'il jugera être les meilleures: ce qui est suivre parfaitement la vertu. (v, 166)

d ÉPICTÈTE: Mais que dit Jupiter ?... Je t'ai accordé certaines parties de moi-même, la faculté d'agir et de ne pas agir, de désirer et d'avoir de l'aversion; en un mot la faculté de faire usage des pensées. Si tu cultives cette faculté précieuse et que tu y rapportes tout ce qui est à toi, tu ne seras pas entravé, tu n'éprouveras point d'obstacles, tu ne gémiras point, tu ne blâmeras ni ne flatteras personne. (5)

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En quoi donc consiste le progrès ? S'il se trouve parmi vous quelqu'un qui, après avoir écarté les choses extérieures, a porté toute son attention sur sa propre volonté, de manière à la rendre conforme à la nature, élevée, libre, indépendante, pleine de fidélité et de pudeur. (20)

f Si tu me demandes en quoi consiste le bien de l'homme, je ne puis te répondre autre chose, sinon que c'est dans une certaine direction de nos pensées. (39)

g Que ne rends-tu grâces aux dieux de t'avoir rendu supérieur aux choses qu'ils n'ont pas fait dépendre de toi et de t'avoir rendu responsable seulement de celles qui sont en ton pouvoir? Ils t'ont dégagé de toute responsabilité pour ce qui regarde tes parents, tes frères, ton corps, tes possessions, ta vie et ta mort. Et de quoi t'ont-ils donc rendu responsable? De ce qui seul est en ton pouvoir, du bon usage de tes pensées. Pourquoi te mets-tu donc en peine de ce dont tu n'es pas responsable? C'est là se créer des embarras à soi-même. (60)

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Voir le renvoi 36 e.

Ni la richesse, ni la santé, ni la gloire, ni aucune autre chose de ce genre, n'est en notre pouvoir, excepté le bon usage de nos pensées. C'est là seulement ce qui de sa nature ne peut être entravé ni empêché. (225)

j En effet, notre volonté, lorsqu'elle est bien réglée, rend vertueux l'homme même qui ne l'est pas; est-elle pervertie, il devient un scélérat. C'est elle seule qui nous rend heureux ou malheureux, nous porte à blâmer ou approuver les autres; en un mot, c'est elle qui, cultivée avec soin, fait le bonheur de l'homme, et son malheur lorsqu'elle est négligée. (252)

k Il faut avoir ces deux maximes présentes à l'esprit: que hors notre volonté il n'y a ni bien ni mal, et qu'on ne doit point devancer les choses, mais les suivre. (309)

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DE BALZAC : Tout pouvoir humain est composé de patience et de temps. Les gens puissants veulent et veillent. (Eug. Grandet, 111) m_TAINE: ...Nous n'avons en propre que notre volonté de bien faire et nous devons nous estimer heureux quand nous avons pu achever la moitié d'une œuvre utile; alors l'œuvre dure et avec elle le souvenir de l'ouvrier. (Derniers essais, 186)

Et ceci seul me sembloit être suffisant pour m'empêcher de rien désirer à l'avenir que je n'acquisse, et ainsi pour me rendre con

tent: car notre volonté ne se portant naturellement à désirer que les choses que notre entendement lui représente en quelque façon comme possibles, il est certain que si nous considérons tous les biens qui sont hors de nous comme également éloignés de notre pouvoir, nous n'aurons pas plus de regret de manquer de ceux qui semblent être dus à notre naissance, lorsque nous en serons privés sans notre faute, que nous avons de ne posséder pas les royaumes de la Chine ou du Mexique; et que faisant, comme on dit, de nécessité vertu, nous ne désirerons pas davantage d'être sains étant malades, ou d'être libres étant en prison, que nous faisons maintenant d'avoir des corps d'une matière aussi peu corruptible que les diamants, ou des ailes pour voler comme les oiseaux. (61)

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a ÉPICTÈTE: Je ne pourrai donc pas me livrer à l'étude ? Pourquoi est-ce que tu étudies?... n'est-ce pas, pour acquérir une vie heureuse, la fermeté d'âme ?... Qui empêche qu'on conserve son âme dans une telle situation quand on a la fièvre ? C'est ici que la chose se manifeste, c'est là qu'est l'épreuve du philosophe; car la fièvre est une partie de la vie, comme la promenade, la navigation, les voyages. Est-ce pendant la promenade que tu lis? Non : il en est de même pendant la fièvre. En te promenant de la manière convenable, tu atteins le but de la promenade. Si tu supportes la fièvre avec fermeté, tu recueilles les avantages d'un pareil état. (307)

b La santé n'est-elle pas un bien, la maladie un mal? — Non mon cher, user bien de la santé est un bien, en abuser est un mal: il n'est pas jusqu'à la maladie même dont on ne puisse tirer quelque utilité; et, j'en atteste la divinité, n'en peut-on pas aussi tirer de la mort? (330)

C MARC-AURÈLE: Es-tu fàché de ne peser que tant de livres, et de ne pas en peser trois cents? Ne sois donc pas fàché non plus de ne vivre que tant d'années et de n'en pouvoir vivre davantage; car tu ne dois pas être moins satisfait du temps qui t'est assigné, que de la quantité de matière qui t'a été donnée. (Réfl. V, xLv)

d JOUFFROY : Nous ne voyons pas l'humanité se révolter contre les barrières qui limitent de toutes parts sa puissance. Devant les orages du ciel, les tempêtes de l'océan, les convulsions de la nature, l'étroite prison de ce monde, les maladies, la mort, elle reconnaît son infirmité et se résigne; et pourquoi? Parce que cette infirmité est démontrée et que la révolte serait inutile. Quoiqu'infiniment moins restreinte que son pouvoir, l'intelligence de l'homme a aussi ses bornes, bornes fatales qu'elle essayerait en vain de franchir. Les faits que nous pouvons observer étant limités, les inductions que nous pouvons tirer de ces faits le sont également; la science a donc son horizon au-delà duquel elle ne saurait voir: il lui appartient de le déterminer peu à peu, à mesure qu'elle le rencontre. (349)

Mais j'avoue qu'il est besoin d'un long exercice et d'une méditation souvent réitérée pour s'accoutumer à regarder de ce

biais toutes les choses et je crois que c'est principalement en ceci que consistoit le secret de ces philosophes qui ont pu autrefois se soustraire à l'empire de la fortune, et, malgré les douleurs et la pauvreté, disputer de la félicité avec leurs dieux. Car, s'occupant sans cesse à considérer les bornes qui leur étoient prescrites par la nature, ils se persuadoient si parfaitement que rien n'étoit en leur pouvoir que leurs pensées, que cela seul étoit suffisant pour les empêcher d'avoir aucune affection pour d'autres choses; et ils disposoient d'elles si absolument qu'ils avoient en cela quelque raison de s'estimer plus riches et plus puissants, et plus libres et plus heureux qu'aucun des autres hommes, qui, n'ayant point cette philosophie, tant favorisés de la nature et de la fortune qu'ils puissent être, ne disposent jamais ainsi de tout ce qu'ils veulent. (62)

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DESCARTES : Je sais bien que je n'écris rien ici que Votre Altesse ne sache mieux que moi, et que ce n'est pas tant la théorie que la pratique qui est difficile en ceci; mais la faveur extrême qu'elle me fait de témoigner qu'elle n'a pas désagréable d'entendre mes sentiments me fait prendre la liberté de les écrire tels qu'ils sont, et me donne encore celle d'ajouter ici, que j'ai expérimenté en moi-même qu'un mal presque semblable, et même plus dangereux, s'est guéri par le remède que je viens de dire, car étant né d'une mère qui mourut peu de jours après ma naissance d'un mal de poumon causé par quelques déplaisirs, j'avais hérité d'elle une toux sèche et une couleur pâle, que j'ai gardées jusqu'à l'âge de plus de vingt ans, et qui faisaient que tous les médecins qui m'ont vu avant ce temps-là me condamnaient à mourir jeune; mais je crois que l'inclination que j'ai toujours eue à regarder les choses qui se présentaient du biais qui me les pouvait rendre le plus agréables, et à faire que mon principal contentement ne dépendît que de moi seul, est cause que cette indisposition, qui m'était comme naturelle, s'est peu à peu entièrement passée. (ix, 203)

b Il n'y a point d'événements si funestes, ni si absolument mauvais au jugement du peuple, qu'une personne d'esprit ne les puisse regarder de quelque biais qui fera qu'ils lui paraîtront favorables. Et votre altesse peut tirer cette consolation générale des disgrâces de la fortune, qu'elles ont peut-être beaucoup contribué à lui faire cultiver son esprit au point qu'elle a fait : c'est un bien qu'elle doit estimer plus qu'un empire. Les grandes prospérités éblouissent et enivrent souvent, de telle sorte qu'elles possèdent plutôt ceux qui les ont, qu'elles ne sont possédées par eux; et bien que cela n'arrive pas aux esprits de la trempe du vôtre, elles leur fournissent toujours moins d'occasions de s'exercer que ne font les adversités; et je crois que comme il n'y a aucun bien au monde, excepté le bon sens, qu'on puisse absolument nommer bien, il n'y a aussi aucun mal dont on ne puisse tirer quelque avantage, ayant le bon sens. (x, 206)

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Les vertus de votre altesse me font souhaiter de la voir aussi heureuse et aussi contente qu'elle mérite; je n'ai point d'autre sujet pour vous entretenir, que de parler des moyens que la philosophie nous enseigne pour obtenir cette souveraine félicité, que

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les âmes vulgaires attendent en vain de la fortune, et que nous ne saurions avoir que de nous-mêmes. (1x, 209) (Voir renvoi 4, c)

d Je souhaite à Votre Altesse un voyage parfaitement heureux, comme sans doute il le sera si elle se résout de pratiquer ces maximes qui enseignent que la félicité d'un chacun dépend de lui-même, et qu'il faut tellement se tenir hors de l'empire de la fortune, que, bien qu'on ne perde pas les occasions de retenir les avantages qu'elle peut donner, on ne pense pas toutefois être malheureux lorsqu'elle les refuse, et pour ce qu'en toutes les affaires du monde il y a quantité de raisons pour et contre, qu'on s'arrête principalement à considérer celles qui servent à faire qu'on approuve les choses qu'on voit arriver. (ix, 395)

e Je dis aussi que la haine n'est jamais sans tristesse, à cause que le mal n'étant qu'une privation, il ne peut être conçu sans quelque sujet réel dans lequel il soit; et il n'y a rien de réel qui n'ait en soi quelque bonté, de façon que la haine qui nous éloigne de quelque mal, nous éloigne par même moyen du bien auquel il est joint, et la privation de ce bien étant représentée à notre âme comme un défaut qui lui appartient excite en elle la tristesse: par exemple, la haine qui nous éloigne des mauvaises mœurs de quelqu'un, nous éloigne par même moyen de sa conversation, en laquelle nous pourrions sans cela trouver quelque bien, duquel nous sommes fâchés d'être privés. (iv, 152) ·

ƒ PYTHAGORE: Tu connaîtras que les hommes sont eux-mêmes les artisans de leurs malheurs. Infortunés! ils ne savent pas voir les biens qui sont sous leurs yeux; leurs oreilles se ferment à la vérité qui leur parle. Combien peu connaissent les vrais remèdes de leurs maux! (269)

g PLATON: Le vieux mot: rien de trop, semble bien être un mot excellent; et véritablement on ne saurait mieux dire. Celui qui ne cherche qu'en soi-même les moyens d'arriver au bonheur ou d'en approcher, qui ne fait pas dépendre son sort des autres hommes, de leur bonne ou mauvaise fortune, celui-là dispose excellemment sa vie, il est sage, courageux et prudent... (11, 204)

h ÉPICTÈTE: Qu'est-ce donc que s'instruire? C'est apprendre à appliquer à chaque chose les notions conformes à leur nature et enfin à savoir distinguer parmi les choses existantes celles qui dépendent de nous et celles qui n'en dépendent pas. (89)

i Voir le renvoi 59, p.

j

Ta principale occupation, dans cette vie, est celle-ci : distingue les choses, mets-les à part et dis: Les choses extérieures ne m'appartiennent pas, ma volonté seule est à moi; où chercherai-je le bien et le mal? En dedans de moi-même, dans les choses qui m'appartiennent. Mais quant à celles qui dépendent d'autrui, ne les appelle jamais ni un bien, ni un mal, ni un profit, ni un dommage, ni rien de pareil. (144)

k Celui qui a fait des progrès dans la vertu est celui qui a appris des philosophes qu'il faut désirer le bien et avoir de l'aversion pour le mal. Il a appris aussi que la tranquillité et la paix de l'âme ne peuvent, en aucune façon, exister pour l'homme, s'il manque le but qu'il désire d'atteindre, et s'il tombe dans le mal qu'il veut éviter. Il a donc écarté et banni de son âme tout désir, et il se sert de son aversion seulement pour les choses qui dépendent de sa volonté. (17)

Ceux qui n'ont pas encore obtenu certaines dignités s'imaginent que, lorsqu'ils les auront, tous les biens leur arriveront à la fois; ils

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