Images de page
PDF
ePub

Je 'partis de Milan le 4 pour me rendre à Lodi; je ne laissai à Milan que les troupes nécessaires au blocus du château. Je sortis de cette ville comme j'y étais entré, au milieu des applaudissements et de l'allégresse de tout un peuple réuni. J'étais bien loin de penser que cette allégresse était feinte, que déjà les trames étaient ourdies, et une làche trahison sur le point d'éclater.

J'étais à peine arrivé à Lodi que le général Despinoy, commandant à Milan, m'apprit que, trois heures après mon départ, on avait sonné le tocsin dans une partie de la Lombardie; que l'on avait publié que Nice était pris par les Anglais; que l'armée de Condé était arrivée par la Suisse sur les confins du Milanais, et que Beaulieu, renforcé de soixante mille hommes, marchait sur Milan. Les prêtres, les moines, le poignard et le crucifix à la main, excitaient à la révolte et provoquaient l'assassinat. De tous côtés, et par tous les moyens, l'on sollicitait le peuple à s'armer contre nous. Les nobles avaient renvoyé leurs domestiques, disant que l'égalité ne permettait pas d'en avoir. Tous les affidés de la maison d'Autriche, ses sbires, les agents des douanes, se montrèrent au premier rang.

Le peuple de Pavic, renforcé de cinq à six mille paysans, investit les trois cents hommes que j'avais laissés dans le château. A Milan, l'on essaye d'abattre l'arbre de la liberté; l'on déchire et foule aux pieds la cocarde tricolore. Le général Despinoy, commandant de la place, monte à cheval; quelques patrouilles mettent en fuite cette populace, aussi làche qu'effrénée. Cependant la porte qui conduit à Pavie est encore occupée par les rebelles, qui attendent à chaque instant les paysans pour les y introduire. Il fallut, pour les y soumettre, battre le terrible pas de charge; mais à la vue de la mort, tout rentre dans l'ordre.

A peine instruit de ce mouvement, je rebroussai chemin avec trois cents chevaux et un bataillon de grenadiers. Je fis arrêter à Milau une grande quantité d'otages; j'ordonnai que l'on fusillat ceux qui avaient été pris les armes à la main; je déclarai à l'archevêque, au chapitre, aux moines et aux nobles, qu'ils me répondraient de la tranquillité publique.

La municipalité taxa à trois livres d'amende par domestique qui avait été licencié. La tranquillité consolidée à Milan, je continuai mon chemin sur Pavie. Le chef de brigade Lannes, commandant la colonne mobile, attaqua Binasco, où sept à huit cents paysans armés paraissaient vouloir se défendre; il les chargea, en tua une centaine, et éparpilla le reste. Je fis sur-le-champ mettre le feu au village.

Quoique nécessaire, ce spectacle n'en était pas moins horrible; j'en fus douloureusement affecté. Mais je prévoyais que des malheurs plus grands menaçaient encore la ville de Pavie. Je fis appeler l'archevêque de Milan, et je l'envoyai, de ma part, porter au peuple insensé de Pavie la proclamation ci-jointe', mais en vain.

Je me portai à la pointe du jour sur Pavie; les avant-postes des rebelles furent culbutés. La ville paraissait garnie de beaucoup de monde, et en état de défense; le château avait été pris, et nos troupes prisonnières. Je fis avancer l'artillerie, et après quelques coups de canon, je sommai les misérables de poser les armes, et d'avoir recours à la générosité françaisé. Ils répondirent que, tant que Pavie aurait des murailles, ils ne se rendraient pas. Le général Dommartin fit placer de suite le 6o bataillon de grenadiers en colonne serrée, la hache à la main, avec deux pièces de 8 en tête. Les portes furent enfoncées; cette foule immense se dispersa, se réfugia dans les caves et sur les toits, essayant en vain, en jetant des tuiles, de nous disputer l'entrée des rues. Trois fois l'ordre de mettre le feu à la ville expira sur mes lèvres, lorsque je vis arriver la garnison du château, qui avait brisé ses fers, et venait, avec des cris d'allégresse, embrasser ses libérateurs. Je fis faire l'appel, il se trouva qu'il n'en manquait aucun. Si le sang d'un seul Français eût été versé, je voulais faire élever, des ruines de Pavie, une colonne sur laquelle j'aurais fait écrire Ici était la ville de Pavie. J'ai fait fusiller la municipalité, arrêter deux cents otages, que j'ai fait passer en France. Tout est aujourd'hui parfaitement tranquille, et je ne doute pas que cette leçon ne serve de règle aux peuples de l'Italie.

Je vous demande le grade de chef d'escadron d'artillerie légère pour le citoyen Rosey, capitaine, qui s'est particulièrement distingué dans cette journée.

[merged small][merged small][merged small][ocr errors]

Quartier général, Peschiera, 13 prairial an IV (1er juin 1796).

Après la bataille de Lodi, Beaulieu passa l'Oglio et le Mincio; il appuya sa droite au lac de Garda, sa gauche sur la ville de Mantoue, et plaça des batteries sur tous les points de cette ligne, afin de défendre le passage du Mincio.

Le quartier général arriva le 9 à Brescia. J'ordonnai au général 1 Voir la pièce no 493.

de division Kilmaine de se rendre, avee 1,500 hommes de cavalerie et six bataillons de grenadiers, à Desenzano.

J'ordonnai au général Rusca de se rendre, avec une demi-brigade d'infanterie légère, à Salo. Il s'agissait de faire croire au général Beaulieu que je voulais le tourner par le haut du lac, pour lui couper le chemin du Tyrol en passant par Riva.

Je tins toutes les divisions de l'armée en arrière; de sorte que la droite, par où je voulais véritablement attaquer, se trouvait à un jour et demi de marche de l'ennemi. Je la plaçai derrière la rivière de Chiese, où elle avait l'air d'ètre sur la défensive, tandis que le général Kilmaine allait aux portes de Peschiera, et avait tous les jours des escarmouches avec les avant-postes ennemis, dans l'une desquelles fut tué le général autrichien Liptay.

Le 10, la division du général Augereau remplaca à Desenzano celle du général Kilmaine, qui rétrograda à Lonato et arriva la nuit à Castiglione. Le général Masséna se trouvait à Montechiaro, et le général Serurier à Mezzane. A deux heures après minuit, toutes les divisions se mirent en mouvement, toutes dirigeant leur marche sur Borghetto, où j'avais résolu de passer le Mincio. L'avant-garde ennemie, forte de 3 à 4,000 hommes et de 1,800 chevaux, défendait l'approche de Borghetto. Notre cavalerie, flanquée par nos carabiniers et nos grenadiers, qui, rangés en bataille, la suivaient au petit trot, chargea avec beaucoup de bravoure, mit en déroute la cavalerie ennemie et lui enleva une pièce de canon.

L'ennemi s'empressa de passer le pont et d'en couper une arche. L'artillerie légère engagea aussitôt la canonnade. L'on raccommodait avec peine le pont sous le feu des batteries de l'ennemi, lorsqu'une cinquantaine de grenadiers, impatients, se jettent à l'eau, tenant leurs fusils sur leur tête et ayant de l'eau jusqu'au menton. Le général Gardanne, grenadier pour la taille comme pour le courage, était à leur tête. Les soldats ennemis croient revoir la terrible colonne du pont de Lodi; les plus avancés làchent pied. On raccommode alors le pont avec facilité, et nos grenadiers, dans un seul instant, passent le Mincio et s'emparent de Valeggio, quartier général de Beaulieu, qui venait seulement d'en partir. Cependant les ennemis, ébranlés, en partie en déroute, étaient rangés en bataille entre Valeggio et Villafranca; nous nous gardons bien de les suivre; ils paraissent se rallier et prendre confiance, et déjà leurs batteries se multiplient et se rapprochent de nous c'était justement ce que je voulais j'avais peine à contenir l'impatience, ou, pour mieux dire, la fureur des grenadiers.

Le général Augereau passa, sur ces entrefaites, avec sa division; il avait ordre de se porter, en suivant le Mincio, droit sur Peschiera, d'envelopper cette place et de couper aux ennemis les gorges du Tyrol. Beaulieu et les débris de son armée se seraient trouvés sans retraite.

Pour empêcher les ennemis de s'apercevoir du mouvement du général Augereau, je les fis vivement canonner du village de Valeggio; mais les ennemis, instruits par leurs patrouilles de cavalerie du mouvement du général Augereau, se mirent aussitôt en route pour gagner le chemin de Castelnovo; un renfort de cavalerie, qui leur arriva, les mit à même de protéger leur retraite.

Notre cavalerie, commandée par le général Murat, fit des prodiges de valeur. Ce général dégagea lui-même plusieurs chasseurs que l'ennemi était sur le point de faire prisonniers. Le chef de brigade du 10 régiment de chasseurs, Leclerc, s'est également distingué. Le général Augereau, arrivé à Peschiera, trouva la place évacuée par l'ennemi.

Le 12, à la pointe du jour, nous nous portàmes à Rivoli; mais déjà l'ennemi avait passé l'Adige et enlevé presque tous ses ponts, dont nous ne pùmes prendre qu'une partie.

L'on évalue la perte de l'ennemi, dans cette journée, à 1,500 hommes et 500 chevaux, tant tués que prisonniers; parmi ces derniers se trouve le prince de Cuto, lieutenant général des armées du roi de Naples, commandant en chef la cavalerie napolitaine. Nous avons pris également cinq pièces de canon, dont deux de 12 et trois de 6, avec sept à huit caissons chargés de munitions de guerre. Nous avons trouvé, à Castelnovo, des magasins dont une partie était déjà consumée par les flammes. Le général Kilmaine a eu un cheval blessé sous lui.

Voilà donc les Autrichiens entièrement expulsés de l'Italie! Nos avant-postes sont sur les montagnes de l'Allemagne. Je ne vous citerai pas les hommes qui se sont distingués par des traits de bravoure, il faudrait nommer tous les grenadiers et carabiniers de l'avant-garde. Ils jouent et rient avec la mort; ils sont aujourd'hui parfaitement accoutumés avec la cavalerie, dont ils se moquent. Rien n'égale leur intrépidité, si ce n'est la gaieté avec laquelle ils font les marches les plus forcées; ils chantent tour à tour la patrie et l'amour. Vous croiriez qu'arrivés à leurs bivouacs ils doivent au moins dormir; point du tout, chacun fait son conte ou son plan de l'opération du lendemain, et souvent on en rencontre qui voient très-juste. L'autre jour, je voyais défiler une demi-brigade; un chasseur s'approcha de mon

cheval Général, me dit-il, il faut faire cela. - Malheureux, lui

:

[ocr errors]

dis-je, veux-tu bien te taire! il disparait à l'instant; je l'ai fait en vain chercher c'était justement ce que j'avais ordonné que l'on fit.

:

Dépôt de la guerre.

BONAPARTE.

538.

AU DIRECTOIRE EXÉCUTIF.

Quartier général, Peschiera, 13 prairial an IV (1er juin 1796).

Je vous fais passer, Citoyens Directeurs, un exemplaire du manifeste que j'ai publié en entrant sur le territoire vénitien '.

Je me suis fort brouillé avec M. le provéditeur général sur ce que la République a laissé occuper par les Impériaux Peschiera, qui est une place forte; mais, grâce à la victoire de Borghetto, nous nous en sommes emparés, et je vous écris aujourd'hui de cette ville. Le général Masséna occupe, avec sa division, Vérone, qui a trois ponts sur l'Adige.

Dépôt de la guerre.

BONAPARTE.

539. AU DIRECTOIRE EXÉCUTIF.

Quartier général, Peschiera, 13 prairial an IV (1er juin 1796). Deux millions en or sont en route, en poste, pour se rendre à Paris; donnez des ordres pour leur escorte depuis Lyon. Le ministre des finances peut tirer des lettres de change, pour quatre ou cinq millions, qui seront exactement soldées.

Il part demain, de Milan, cent chevaux de voiture, les plus beaux qu'on ait pu trouver dans la Lombardie; ils remplaceront les chevaux médiocres qui attellent vos voitures.

Dépôt de la guerre,

1 Voir la pièce no 514.

BONAPARTE.

« PrécédentContinuer »