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J'ai dit que dans le premier cas elle eft formée. par une certaine diftribution des trois pouvoirs: mais, dans le fecond, il faut la confidérer fous une autre idée. Elle confifte dans la sûreté, on dans l'opinion que l'on a de fa sûreté.

&

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pourra

arriver

que

la conftitution fera libre, que le citoyen ne le fera point. Le citoyen pourra être libre, & la conftitution ne l'être pas. Dans ces cas, la conftitution fera libre de droit, & non de fait; le citoyen fera libre de fait, & non pas de droit.

Il n'y a que la difpofition des loix, & même des loix fondamentales, qui forme la liberté dans fon rapport avec la conftitution. Mais, dans le rapport avec le citoyen, des moeurs, des manières, des exemples reçus peuvent la faire naître; & de certaines loix civiles la favo rifer; comme nous allons voir dans ce livre-ci.

De plus, dans la plupart des états, la liberté étant plus gênée, choquée ou abattue, que leur conftitution ne le demande; il eft bon de parler des loix particulières, qui, dans chaque conftitution, peuvent aider ou choquer le principe de la liberté dont chacun d'eux peut être fuf ceptible.

CHAPITRE II.

De la liberté du citoyen.

LA liberté philofophique confifte dans l'exer

cice de fa volonté, ou du moins (s'il faut parler dans tous les fyftêmes) dans l'opinion où l'on eft que l'on exerce fa volonté. La liberté politique confifte dans la sûreté, ou du moins dans l'opinion que l'on a de fa sûreté.

Cette sûreté n'eft jamais plus attaquée que dans les accufations publiques ou privées. C'eft donc de la bonté des loix criminelles, que dépend principalement la liberté du citoyen.

Les loix criminelles n'ont pas été perfectionnées tout d'un coup. Dans les lieux mêmes où l'on a le plus cherché la liberté, on ne l'a pas toujours trouvée. Ariftote nous dit qu'à Cumes, les parens de l'accufateur pouvoient être témoins. Sous les rois de Rome, la loi étoit fi imparfaite, que Servius Tullius prononça la fentence contre les enfans d'Ancus Martius, accufé d'avoir aflaffiné le roi fon beau-père. Sous les premiers rois des Francs, Clotaire fit une loi, pour qu'un accufé ne pût être condamné fans être oui; ce qui prouve une pratique contraire dans quelque cas particulier, ou chez quelque peuple barbare. Ce fut Charondas qui introduifit les jugemens

contre les faux témoignages. Quand l'innocense des citoyens n'eft pas affurée, la liberté ne l'eft pas non plus.

Les connoiffances que l'on a acquifes dans quelque pays, & que l'on acquerra dans d'autres, fur les règles les plus sûres que l'on puiffe tenir dans les jugemens criminels, intéreffent le genre humain plus qu'aucune chofe qu'il y ait au monde.

Ce n'eft que fur la pratique de ces connoiffances, que la liberté peut être fondée; & dans un état qui auroit là-deffus les meilleures loix poffibles, un homme à qui on feroit fon procès, & qui devroit être pendu le lendemain, feroit plus libre qu'un bacha ne l'eft en Turquie.

CHAPITRE I I I. Continuation du même fujet.

LES

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Es loix qui font périr un homme fur la dépofition d'un feul témoin, font fatales à la liberté. La raifon en exige deux; parce qu'un témoin qui affirme, & un accufé qui nie, font un partage; & il faut un tiers pour le vuider. Les Grecs & les Romains exigeoient une voix de plus pour condamner, Nos loix françoifes

en demandent deux. Les Grecs prétendoient que leur ufage avoit été établi par les dieux; mais c'eft le nôtre.

C:

CHAPITRE IV.

Que la liberté eft favorisée par la nature des peines, & leur proportion.

C'EST le triomphe de la liberté, lorsque les

loix criminelles tirent chaque peine de la nature particulière du crime. Tout l'arbitraire ceffe; la peine ne defcend point du caprice du légiflateur, mais de la nature de la chofe; & ce n'eft point l'homme qui fait violence à l'homme.

Il y a quatre fortes de crimes. Ceux de la première efpèce choquent la religion; ceux de la feconde, les moeurs; ceux de la troifième, la tranquillité; ceux de la quatrième, la sûreté des citoyens. Les peines, que l'on inflige, doivent dériver de la nature de chacune de ces espèces.

Je ne mets dans la claffe des crimes qui inté reffent la religion, que ceux qui l'attaquent directement, comme font tous les facrilèges fimples. Car les crimes qui en troublent l'exercice, font de la nature de ceux qui choquent

la tranquillité des citoyens ou leur sûreté, & doivent être renvoyés à ces claffes.

Pour que la peine des facrilèges fimples foir tirée de la nature de la chofe, elle doit confifter dans la privation de tous les avantages que donne la religion; l'expulfion hors des temples; la privation de la fociété des fidèles, pour un tems ou pour toujours; la fuite de leur préfence, les exécrations, les déteftations, les conjurations.

Dans les chofes qui troublent la tranquillité ou la sûreté de l'état, les actions cachées font du reffort de la juftice humaine. Mais, dans celles qui bleffent la divinité, là où il n'y a point d'action publique, il n'y a point de matière de crime: tout s'y paffe entre l'homme & Dieu, qui fait la mesure & le tems de fes vengeances. Que fi, confondant les chofes, le magiftrat recherche auffi le facrilège caché, il porte une inquifition fur un genre d'action où elle n'eft point néceffaire: il détruit la liberté des citoyens, en armant contr'eux le zèle des confciences timides, & celui des confciences hardies.

Le mal eft venu de cette idée, qu'il faut venger la divinité. Mais il faut faire honorer la divinité, & ne la venger jamais. En effet, fi l'on fe conduifoit par cette dernière idée, quelle feroit la fin des fupplices? Si les loix des hommes ont à venger un être infini, elles fe régleront fur fon infinité, & non pas fur

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