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les foibleffes, fur les ignorances, fur les caprices de la nature humaine.

Un hiftorien de Provence rapporte un fait qui nous peint très-bien ce que peut produire fur des efprits foibles cette idée de venger la divinité. Un Juif, accufé d'avoir blafphémé contre la fainte Vierge, fut condamné à être écorché. Des chevaliers mafqués, le couteau à la main, montèrent fur l'échafaud, & en chafsè rent l'exécuteur, pour venger eux-mêmes l'honneur de la fainte Vierge.... Je ne veux point prévenir les réflexions du lecteur.

La féconde claffe eft des crimes qui font contre les moeurs. Telles font la violation de la continence publique ou particulière : c'est-àdire, de la police fur la manière dont on doit jouir des plaifirs attachés à l'ufage des fens &

l'union des corps. Les peines de ces crimes doivent encore être tirées de la nature de la chofe la privation des avantages que la fociété a attachés à la pureté des moeurs, les amendes, ta honte, la contrainte de fe cacher, l'infamie publique, l'expulfion hors de la ville & de la fociété; enfin toutes les peines qui font de la jurifdiction correctionnelle fuffifent pour réprimer la témérité des deux fexes. En effet, ces chofes font moins fondées fur la méchanceté, que fur l'oubli ou le mépris de foi-même.

Il n'eft ici queftion que des crimes qui intéreffent uniquement les mœurs, non de ceux

qui choquent auffi la sûreté publique, tels que l'enlèvement & le viol, qui font de la quatrième espèce.

Les crimes de la troisième claffe, font ceux qui choquent la tranquillité des citoyens : & les peines en doivent être tirées de la nature de la chofe, & fe rapporter à cette tranquillité, comme la privation, l'exil, les corrections, & autres peines qui ramènent les efprits inquiets, & les font rentrer dans l'ordre établi.

Je reftreins les crimes contre la tranquillité, aux chofes qui contiennent une fimple léfion de police : car celles qui, troublant la tranquillité, attaquent en même tems la sûreté, doivent être mifes dans la quatrième claffe.

Les peines de ces derniers crimes, font ce qu'on appelle des fupplices. C'est une espèce de talion, qui fait que la fociété refufe la sûreté à un citoyen qui en a privé, ou qui a voulu en priver un autre. Cette peine eft tirée de la nature de la chofe, puifée dans la raison & dans les fources du bien & du mal. Un citoyen mérite la mort, lorfqu'il a violé la sûreté au point qu'il a ôté la vie, ou qu'il a entrepris de l'ôter. Cette peine de mort eft comme le remède de la fociété malade. Lorsqu'on viole Ja sûreté à l'égard des biens, il peut y avoir des raifons pour que la peine foit capitale : mais il vaudroit peut-être mieux, & il feroit plus de la nature, que la peine des crimes contre

la sûreté des biens, fût punie par la perte des biens; & cela devroit être ainfi, fi les fortunes étoient communes ou égales. Mais, comme ce font ceux qui n'ont point de biens qui attaquent plus volontiers celui des autres, il a fallu que la peine corporelle fuppléât à la pécuniaire.

Tout ce que je dis eft puifé dans la nature, & eft très-favorable à la liberté du citoyen.

CHAPITRE V.

De certaines accufations qui ont particuliérement befoin de modération & de prudence.

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AXIME importante: il faut être trèscirconfpect dans la pourfuite de la magie & de Phéréfie. L'accufation de ces deux crimes peut extrêmement choquer la liberté, & être la fource d'une infinité de tyrannies, fi le législateur ne fait la borner. Car, comme elle ne porte pas directement fur les actions d'un citoyen, mais plutôt fur l'idée que l'on s'eft faite de fon caractère, elle devient dangereufe à proportion de l'ignorance du peuple; & pour lors un citoyen eft toujours en danger, parce que la meilleure conduite du monde, la morale la plus pure, la A S

pratique de tous les devoirs, ne font pas des garans contre les foupçons de ces crimes.

Sous Manuel Comnène, le proteftator fut accufé d'avoir confpiré contre l'empereur, & de s'être fervi pour cela de certains fecrets qui rendent les hommes invifibles. Il eft dit dans la vie de cet empereur que l'on furprit Aaron lifant un livre de Salomon, dont la lecture faifoit paroître des légions de démons. Or, en fuppofant dans la magie une puiffance qui arme l'enfer, & en partant de là, on regarde celui que l'on appelle un magicien, comme l'homme du monde le plus propre à troubler & à renverser la fociété, & l'on eft porté à le punir fans mefure.

L'indignation croft, lorfque l'on met dans la magie le pouvoir de détruire la religion. L'histoire de Conftantinople nous apprend, que, fur une révélation qu'avoit eue un évêque, qu'un miracle avoit ceffé à caufe de la magie d'un parti culier, lui & fon fils furent condamnés à mort. De combien de chofes prodigieufes ce crime ne dépendoit-il pas? Qu'il ne foit pas rare qu'il y ait des révélations; que l'évêque en ait eu une; qu'elle fût véritable; qu'il y eût eu un miracle; que ce miracle eût ceffé; qu'il y eût de la magie; que la magie pût renverfer la religon; que ce particulier fût magicien; qu'il eût fait enfin cet acte de magie.

L'empereur Théodore Lafcaris attribuoit fa maladie à la magie. Ceux qui en étoient acculés

m'avoient d'autre reffource que de manier un fer chaud fans fe brûler. Il auroit été bon chez les Grecs d'être magicien, pour fe juftifier de la magie. Tel étoit l'excès de leur idiotifme, qu'au crime du monde le plus incertain, ils joignoient les preuves les plus incertaines.

Sous le règne de Philippe-le-Long, les Juifs furent chaffés de France, accufés d'avoir empoi fonné les fontaines par le moyen des lépreux. Cette abfurde accufation doit bien faire douter de toutes celles qui font fondées fur la haine publique.

Je n'ai point dit ici qu'il ne falloit point punir T'héréfie; je dis qu'il faut être très-circonspect à la punir.

CHAPITRE VI.

Du crime contre nature.

ADIEU ne plaife que je veuille diminuer

l'horreur que l'on a pour un crime que la religion, ia morale & la politique condamnent tour à tour. Il faudroit le profcrire, quand il ne feroit que donner à un fexe les foibleffes de l'autre ; & préparer à une vieilleffe infame, par une jeunesse honteufe. Ce que j'en dirai lui laissera toutes ses Rétriffures, & ne portera que contre la tyrannie

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