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Il paraît, cependant, que déjà hanté par le sujet d'Atrée, pour lequel il éprouvait un goût tout particulier, il poursuivit négligemment la rédaction de cet Idoménée et fut même sur le point d'y renoncer. Il persista toutefois, et maître Prieur ne fut sans doute pas étranger à cette persévérance (1).

La tragédie, terminée au mois d'août 1705, présentée aux comédiens le 10 septembre et acceptée à l'unanimité (2), parut à la scène le mardi 29 décembre, et obtint en tout treize représentations, jusqu'au 6 février 1706 (3). De la Porte raconte que le cinquième acte n'ayant pas été trouvé bon, l'auteur en refit un nouveau, composé, distribué, appris, joué en cinq jours et dont le public fut satisfait (4). Cependant, neuf jours s'écoulèrent entre la première représentation et la seconde, qui est du 8 janvier. Collé nous montre Crébillon à ce point docile aux observations, qu'il refit trois fois le cinquième acte, pour en revenir, dit-il, à sa première rédaction, la meilleure (5). A quelle représentation se trouva Boileau? lut-il simplement la pièce? en tout cas il la jugea sévèrement, déclarant qu'elle semblait avoir été composée par Racine ivre (6); peut-être faut

(1) De la Porte, Eloge historique.

(2) Parfaict, Histoire du Théâtre Français, t. XIV, p. 407. (3) Registres de la Comédie Française.

(4) Eloge historique, p. 22.

(5) Journal, novembre 1751.

(6) De la Porte, Anecd. dram. article Idoménéc.

il voir une part d'éloge sous cette appréciation rude et laconique Racine ivre est toujours au-dessus de Campistron, de Pellegrin... et de bien d'autres.

Voltaire (1) a écrit plus tard : « On trouva quelques beautés dans l'Idoménée, mais elle n'est point restée au théâtre : l'intrigue en était faible et commune, la diction lâche et toute l'économie de la pièce trop moulée sur ce grand nombre de tragédies languissantes qui ont paru sur la scène et qui ont disparu ».

Fréron, au contraire, n'en parle pas sans enthousiasme (2). L'Idoménée, dit-il, « laissa entrevoir la vaste carrière où ce nouvel athlète allait s'élancer ». Les frères Parfait (3) n'y trouvent que des imperfections excusables dans un premier ouvrage, qui, du reste, a mérité son succès, et n'est pas indigne de l'auteur d'Electre.

Cependant, un certain M. Tafinon (ou Tafignon) écrivait vers 1708 (4) : « Les succès de Racine ont trompé les auteurs de ce temps, qui n'ont ni sa délicatesse, ni son art; ils ont gâté de bons sujets », par exemple celui d'Idoménée, dont on pouvait « faire une belle tragédie ». Il convenait pourtant de ne pas se montrer si difficile pour une œuvre « de premier ordre » relativement à celles des contemporains (5).

En effet, si nous parcourons la liste des pièces qui ont été acceptées à la Comédie Française de 1696 à 1705, nous n'y trouvons, à mériter d'être mentionnées, que le Manlius de La Fosse et l'Alceste de Lagrange-Chancel (6).

(1) Eloge de Crébillon.

(2) Année littéraire, t. VII, Mort de M. de Crébillon, p. 122 s.

(3) Loco citato, p. 407 sq.

(4) Dissertations sur plusieurs tragédies de Corneille et de Racine, Paris, 1740, pp. 92, 93 du tome premier. La première édition de cet ouvrage

est de 1705; aussi, n'y est-il pas question d'Idoménée.

(5) V. Fournel, article Crébillon dans la biographie Didot,

(6) Tragédies reçues et jouées de 1696 à 1705 :

Polyxène, de La Fosse.

Agrippa, de Riupérous.

Polymnestor, de l'abbé Genest.

1696

Idoménée obtint le succès qu'on en pouvait espérer. Voltaire a perfidement insinué (1) qu'à la date de 1705, treize représentations ne constituaient pas un succès; c'est faux. On jouait alors, dit-il, les pièces nouvelles plus longtemps qu'aujourd'hui « Il fallait environ vingt représentations pour consacrer le succès passager d'une nouveauté »; aujourd'hui, on regarde la douzième comme « un succès assez rare ». Voltaire est fidèle à sa tactique; mensonge et dénigrement. Il songe en même temps à se faire valoir, puisque sa Sémiramis, en 1748, eut 14 représentations, « succès très rare »; mais il oublie — quelle distraction fâcheuse! que le Catilina, de Crébillon (1748 encore) en eut 20, « succès excessivement rare ». Et, si nous remontons au commencement du siècle, sans doute Idoménée ne fut pas repris, mais il est indéniable qu'il réussit dans sa

nouveauté.

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Cosroés, de Rotrou (correction d'Ussé de Valentiné).

Mustapha et Zéangir, de Belin.

Saül, de l'abbé Nadal.

Polydore, de l'abbé Pellegrin,
Idoménée, de Crébillon,

(1) Voltaire, Eloge de Crébillon, 1762.

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1705

Voltaire a prétendu expliquer le nombre soi-disant décroissant des représentations par une très mauvaise raison : le nombre croissant des théâtres. Il prétend aussi qu'il n'y a plus de bons acteurs (au moment même où fleurissent Lekain et Clairon); ou encore que le public est fatigué des pièces où l'on parle d'amour; et cela lorsqu'il vient de publier Tancrède!

Cependant, Melchior Jolyot eut bientôt à se plaindre de son fils, qui menait grand train, dépensant beaucoup et se conduisant assez mal. Prosper avait fait la connaissance d'un apothicaire établi place Maubert, au coin de la rue de Bièvre, ClaudeFrançois Péaget (1); il s'empressa de nouer avec sa fille MarieCharlotte des relations indiscrètes, dont le résultat ne tarda guère à le dénoncer. Un seul moyen lui restait de sauver la situation en réparant sa faute épouser Charlotte qu'il aimait, du reste, d'une sincère et profonde affection, avant que la nais sance de leur enfant rendît son déshonneur public. On voit par là ce qu'il faut penser de la vertu peu farouche de Mlle Péaget, célébrée pourtant comme irréprochable par le Mercure (2) et la plupart des notices biographiques.

Il y a loin de là, cependant, aux indécents commérages de Favart (3), qui accuse Crébillon de n'avoir jamais « respecté » que deux sœurs, filles d'un apothicaire nommé Péage (sic), auxquelles il donna des enfants « par délicatesse de sentiment ». Leur père, goûtant peu ce genre de délicatesse, voulut le forcer d'en épouser une, et « le hasard désigna » celle qui fut depuis

(1) Consulter Jal, Dictionn. critique. Claude-François Péaget, fils et successeur de Hugues Péaget, avait épousé Anne-Claude Gamard, dont il cut six enfants. Marie-Charlotte était née le 24 déc. 1685. Un neveu de Charlotte, Léandre Péaget, docteur et professeur en l'Université de Paris, signera l'acte d'inhumation de Crébillon. Il est à noter que Jal dit les Péaget Bourguignons; on remarquera de plus l'extrême analogie entre ces deux noms, Gamard, Ganiard, que la seule absence d'un point sur l'i suffit à confondre.

(2) Juillet 1762 (article de La Place).

(3) Mémoires et Correspondance, lettre du 14 juillet 1762.

Mme Crébillon; « l'autre devint ce qu'elle put ». Ne restons pas sous l'impression de ce répugnant tirage au sort.

Une pareille incartade suffisait évidemment pour que Melchior désapprouvât ce mariage; l'argument de mésalliance invoqué depuis par le principal intéressé (Crébillon fils), est sans aucune valeur. Mais il fallait bien expliquer sans se compromettre une désapprobation trop formelle pour être passée sous silence. D'ailleurs, Prosper venait d'entrer dans sa trentequatrième année, Marie-Charlotte dans sa vingt-deuxième; on passa outre. Les premiers bans furent publiés à Saint-Etienne du Mont et à Saint-Sulpice, le dimanche 23 janvier 1707; dispense fut achetée, le lendemain, des deux autres, et le mariage célébré huit jours après (le lundi 31 janvier), non dans la paroisse, mais à la Villette, pour éviter le scandale et les racontars. Immédiatement les nouveaux époux vinrent se fixer place Maubert, dans la maison paternelle de Charlotte, et celle-ci mit au monde, le 14 février, un garçon baptisé le 15 à Saint-Etienne du Mont, sous les noms de Claude-Prosper (1).

La marraine est Jeanne Jolyot, « fille majeure »; sans nul doute, et depuis longtemps, car ce ne peut être que la sœur de Melchior, née en 1637 et par conséquent âgée de 70 ans. Elle se montra donc plus indulgente que son frère, et consentit à tenir sur les fonts son petit neveu. Du reste, après vingt ans de veuvage (1686-1706), Melchior venait de contracter une nouvelle union, ce qui ne contribua guère à le rapprocher de son fils. Rien n'autorise à croire qu'il alla jusqu'à le déshériter; en tout cas, il révoqua la sentence, et nous verrons Prosper figurer, pour son malheur, au nombre des ayants droit à la succession.

(1) Registres de Saint-Etienne du Mont, dans Jal. Dans cet acte, Cl. Fr. Péaget est maître apothicaire et juge consul. Pour la première fois Prosper signe Jolyot de Crébillon.

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