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CHAPITRE VI

LES AFFAIRES DE LA SUCCESSION JOLYOT

Lorsque Melchior était mort, à la fin de 1707, on aurait pu croire qu'il laissait à ses enfants une petite fortune.

L'actif assez important de la succession comprenait : 1o les charges de maître clerc, greffier en chef ancien, alternatif et triennal en la Chambre des comptes de Dijon, ensemble les gages, augmentations de gages, émoluments et autres droits y afférents; 2o l'état et office de contrôleur au greffe de ladite Chambre; 3° l'office de receveur des amendes; 4° deux maisons sises à Nuits, avec vignes et domaines en dépendant, et provenant de la succession de J.-B. Germain, oncle du défunt; 5o une maison sise à Dijon ; 6o le fief de Crais-Billon (1).

Mais le passif était plus considérable encore. Ainsi Melchior ayant acheté sa charge de maître clerc à Mme veuve Antoine Berthier de Sauvigny ne l'avait pas encore, au bout de 28 ans, intégralement payée. Une foule d'autres dettes particulières portaient le total des sommes réclamées par les créanciers à 40,000 livres environ; 34,910 livres en principal et intérêts

(1) Extrait imprimé des registres de la Cour des Aides, 10 juillet 1717. M. Vitu n'a pas remarqué dans cet acte que les deux maisons « sises dans une localité dont le nom est estropié d'une manière qui ne permet pas de le reconstruire » sont désignées plus haut comme situées à Nuits, nom parfaitement lisible. Du reste, le nom estropié n'est et ne peut être que Nuits. L'imprimé porte textuellement : « En la ville Denuier » ; l'acte manuscrit avait sans doute uni la préposition au nom propre; la lettre t non barrée et formant une légère boucle pouvait être prise pour un e; enfin les finales s et r, à demi formées, se confondent à tout instant. Denuier signifie donc « de Nuits » sans hésitation possible.

CRÉB.

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échus auxquels s'ajouteraient les frais de justice et les intérêts à courir jusqu'à l'entier règlement des comptes.

En présence d'une telle situation, les héritiers Jolyot n'acceptèrent la succession que sous bénéfice d'inventaire. Ils n'étaient plus que trois à cette date: Prosper, Melchior François et Pierre-Jean, brigadier de gendarmerie à Nuits.

Cependant, plus de deux ans s'écoulèrent entre la mort de Melchior et la saisie réelle de ses biens par les créanciers (actes du 31 janvier 1710 et 14 juin 1711), à la tête desquels figurait Messire Louis Bénigne Berthier de Sauvigny, petit-fils de Mm Antoine Berthier. Pierre Jolyot crut prudent de renoncer simplement à la succession, par acte du 5 janvier 1714, « au greffe du bailliage et chancellerie d'Avallon ».

Enfin les charges furent vendues le 1er août 1714, en Cour des Aides, pour la somme de 18,050 livres, à Jean-François Cinqfonds, ancien greffier de la mairie de Dijon. Par exception, l'office de receveur des amendes ne se vendit, à part, que le 6 mai 1716. M. Berthier, qui s'entendait à la procédure en sa qualité de « président de la cinquième Chambre des enquêtes au Parlement de Paris » fit opposition à la saisie par acte du 7 septembre 1714, requérant « l'ouverture d'un ordre de distribution » aux créanciers, des 18,050 livres produites par l'adjudication et des sommes à retirer ultérieurement de la vente des immeubles (1).

Ce que voyant les trois frères Jolyot, ils se portèrent au nombre des créanciers, Prosper et Melchior-François avec des titres identiques et Pierre avec des titres un peu différents. En

(1) Pour tout ce qui concerne cette vente et en général les affaires de la succession, voyez Bibliothèque nationale, dép. des manuscrits, Cabinet des titres, dossier Jolyot (pièces originales) et dossiers bleus Jolyot. M. Vitu les a très nettement résumés dans sa Notice (p. IX et X), mais il a négligé certains détails qui nous ont paru cependant assez utiles. On y trouve rappelés par l'arrêt de la Cour des Aides de Paris un très grand nombre d'actes, oppositions, requêtes, conclusions, etc., remplissant les années. 1713 à 1717.

effet, par un testament en date du 28 juin 1687, Henriette Gaguard avait laissé tous ses biens à son mari, à charge par lui de compter 1,000 livres à chacun de leurs enfants; mais dix-huit mois plus tard (21 janvier 1688), Melchior s'était engagé à leur en assurer le triple. Prosper et Melchior-François réclamaient donc chacun leurs 3,000 livres, plus le tiers de la part de leur frère Louis-Melchior, porté sur la transaction de 1688 et décédé depuis le 4 juillet 1693. Quant à Pierre, il prétendait, outre sa part, la part entière de Louis-Melchior dont il se disait unique héritier.

M. Berthier de Sauvigny attaqua et fit annuler la transaction de 1688; aussi la créance reconnue des frères Jolyot ne s'éleva-t-elle, en définitive, qu'à 4,211 livres (1,471 à Prosper, autant à Melchior-François, 1,269 à Pierre), plus les intérêts à échoir.

Parmi les autres créanciers nous relevons :

Les sieurs Jacques Refrognet, secrétaire de la Chambre des comptes de Dôle, et Prosper Molle, agissant comme héritiers. des droits de Henriette Gagnard.

Jeanne Duneau, seconde femme de Melchior, représentée par Jean de La Marre, président à mortier au parlement de Dijon, dont Melchior avait été nommé tuteur en 1680, et qui réclamait personnellement une rente à lui consentie pour solder le reliquat des comptes de tutelle (1).

La veuve de Philippe Pélissier, seigneur de Flavignerot, sieur de la Claniques (le vendeur de Crais-Billon, qui n'était pas encore payé).

Les marguilliers de la collégiale et paroisse Saint-Jean-Baptiste, qui avaient vendu à Melchior, le 24 juillet 1704, une maison à Dijon pour la somme de 3,000 livres, dont il restait dû 250.

La Cour des Aides de Paris fixa l'ordre de distribution par

(1) Nouvelle preuve de relations intimes avec la famille de la Marre.

un arrêt en date du 10 juillet 1717 (1). Prosper et MelchiorFrançois n'y figurent qu'au cinquième rang et Pierre au onzième. A ce moment, l'arrêt le constate, les immeubles (ou du moins les deux maisons de Nuits) n'étaient pas encore vendus. D'ailleurs, cette interminable succession devait encore fournir matière à procédure jusqu'en 1722, ainsi ainsi que l'attestent trois actes (2): 1° Procuration donnée par Prosper Jolyot << sieur de Crébillon », à M° Melchior Poulin de Soumis (3), avocat au parlement de Paris, le 15 octobre 1720, pour « rembourser les créanciers privilégiés ou hypothéqués... requérir toutes subrogations nécessaires... vendre tout ou partie des biens de ladite succession »; 2° acte du 29 octobre 1720, par lequel, à la requête de Crébillon, offre est faite par Pierre Breton, huissier, à Prosper Molle, tuteur des enfants Hucherot, d'une somme de 595 livres 6 sous 2 deniers. Il est constaté à la suite que ledit Molle n'ayant « voulu faire aucune réponse », la somme sera consignée; 3° acte de la Cour des Aides, 23 avril 1723, rappelant l'adjudication des charges, la distribution faite en vertu de l'arrêt du 10 juillet 1717, et statuant sur la radiation des oppositions formées par un certain nombre de créanciers.

La situation financière de Crébillon ne fut pas toujours la même, au cours du règlement de ces affaires compliquées; nous en indiquons plus loin les vicissitudes. En tout cas, il ne retira rien de la succession paternelle, et Crais-Billon fut vendu comme tout le reste.

(1) Pour cet arrêt, d'où sont extraits la plupart des détails qui précèdent, voyez Dossiers bleus Jolyot.

(2) Dossiers Jolyot (pièces originales) registre 1586, Jolyot-Jore, pièces groupées sous la cote 36397.

(3) Rappelons que la sœur aînée de Crébillon avait épousé, en 1693, Fiacre Poulin. Melchior Poulin peut être frère de Fiacre, ou même son fils, âgé de 26 ans au plus.

SATIRE CONTRE LAMOTTE.

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DE CRÉBILLON, « XERXES ». LE SYSTÈME de Law.
MIS », - PREMIERS RAPPORTS AVEC VOLTAIRE.

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Deux ans à peine s'étaient écoulés depuis la mort de Charlotte, et ce second fils, dont la naissance avait sans doute hâté sa fin, mourait à son tour (1713). Crébillon restait veuf et pauvre, avec la charge d'élever son fils aîné, Claude-Prosper, âgé de six ans.

Voltaire prétend que le succès de Rhadamiste poussait dès lors notre tragique à l'Académie, mais qu'il en fut écarté par les brigues de Lamotte et de Rousseau. Il se vengea de Rousseau par l'épigramme suivante:

Quand poil de roux, faisant la quarantaine,

De ses poisons le Louvre infectera,

En tel mépris cettui corps tombera,
Que Pellegrin y rentrera sans peine.

En même temps il composa contre Lamotte et les habitués du café Laurent une espèce de satire signalée par Voltaire. Il la récitait, paraît-il, chez le baron Oghières, mais ne l'a peutêtre jamais écrite. En tout cas, elle ne s'est pas conservée. Chacun pouvait aisément s'y reconnaître sous le masque d'un animal. « Lamotte était la taupe, parce qu'il était déjà menacé de perdre la vue; l'abbé de Pons, disgracié de la nature par l'irrégularité de sa taille, était le singe; Danchet, d'une assez haute stature, était le chameau; Fontenelle, par allusion à sa conduite adroite, était le renard ». Cette satire ou plutôt cette fable,

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