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des affaires, les ministres de ces différents gouvernements que nous avons vus se succéder avec une rapidité effrayante, valent-ils mieux que les ministres de nos anciens rois, parmi lesquels je compte un Alcuin, un Joinville, un Suger, un Sully, un Richelieu, un Colbert?

Non.

Le clergé actuel, quelque respectable qu'il puisse être, vaut-il mieux aujourd'hui que notre ancien clergé dans lequel je vois d'abord ces premiers évêques de France qui ont fait le royaume comme les abeilles font une ruche, pour me servir ici d'une expression célèbre, puis un Vincent, un Bossuet, un Fénelon, un Bourdaloue, un Massillon, puis cette nuée de confesseurs et de martyrs qui, à une époque de douloureuse mémoire, n'ont pas balancé, un seul instant, à faire le sacrifice de tout ce qu'ils possédaient, et même de leur vie?

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Et pour dire un mot de ce sexe dont le principal mérite doit être de se tenir caché sous le voile de la modestie, les femmes du siècle valent-elles mieux que ces femmes d'autrefois, qui se rendirent véritablement utiles, sans le chercher pourtant; les unes par leurs talents, les autres par leurs vertus, toutes ou presque toutes, à quelque rang qu'elles appartiennent, par un dévouement à toute épreuve, comme on a pu s'en convaincre à l'époque de notre révolution? Trouveriez-vous facilement, par exemple, une reine Blanche, une Jeanne d'Arc, une Maintenon...?

Non.

Je suis donc en droit de conclure que l'homme ne s'est point amélioré, et que notre siècle, qui a tout fait progresser, dites

vous, n'a point fait progresser l'homme luimême, pour lequel cependant tout progrès doit avoir lieu.

Mais, allez-vous me dire, vous n'avez procédé qu'individuellement, en quelque sorte, et puis, vous vous êtes fait vous-même juge et partie, comme on dit.

Je n'ai procédé qu'individuellement ! m'objectez-vous. Vous vous trompez, ce me semble, à moins que vous n'entendiez par individu un corps tout entier. Alors, je vous répondrais qu'ayant considéré, à peu près, tous les corps dont se compose la société, ma conclusion n'était plus, comme on dit, du particulier au général. J'ai nommé quelques individus, il est vrai, mais je n'entendais les opposer qu'à d'autres individus auxquels il vous était bien facile de penser, quoique je ne les eusse pas nommés. Ceque Vous me reprochez encore, de m'être fait moi-même juge et partie, n'a pas plus de fondement; puisque nos jugements n'étaient pas autres que ceux de tout le monde. Je vous le prouverai facilement. N'est-il pas vrai que le plus bel éloge que l'on puisse faire de quelqu'un, à quelque rang de la société qu'il appartienne, c'est de dire de lui: ce n'est point un homme d'aujourd'hui, c'est un homme d'autrefois ? C'est un mot que tout le monde dit, que tout le monde accepte, qui a cours en tout et partout. Or, que signifie ce mot, si ce n'est que l'homme valait mieux autrefois, généralement parlant, qu'il ne vaut aujourd'hui ? Je sais bien que cela s'est toujours dit; et qu'il y a, en chacun de nous, une propension naturelle à vanter ce qui n'est plus. Mais, d'où viendrait cette propension générale et naturelle, selon vous, si elle n'avait un fondement réel, lequel n'est ici que la détérioration de la société, qui, en effet, finit toujours par périr? Pour ce qui nous concerne, en particulier,je crains bien que la propension que nous avons tous ou presque tous à reconnaître la supériorité de ceux qui nous ont précédés, n'ait un fondement trop réel.

Quoi qu'il en soit ici, voulez-vous que nous procédions autrement? J'y consens volontiers. Je considérerai donc la société en général, et, sans prononcer moi-même la sentence, je l'attendrai de ceux qui sont en position de la bien prononcer.

Je divise la société en deux grandes par ties, l'une de ceux qui possèdent de manière à pouvoir vivre sans travailler, l'autre de ceux qui ne possèdent point du tout, on qui ne possèdent pas, du moins, de manière à pouvoir se passer de travailler. Et d'abord, vous, travailleurs, classe si nombreuse et si intéressante, ne fût-ce que par la position dans laquelle vous vous trouvez, dites-moi, que pensez-vous de vos directeurs et de vos maîtres? Ah! je vous entends me répondre tous ou presque tous, plus ou moins ouver tement, plus ou moins énergiquement, el quelquefois même, il importe de le dire ici, plus ou moins malhonnêtement: « Ce ne sont plus les hommes d'autrefois; il y en a encore un petit reste, mais les nouveaus ne les va

Croyez-vous qu'il y ait plus de lumière dans le clergé, dans le corps enseignant, dans la faculté de médecine, etc., qu'il y en avait autrefois?

Pour moi, je ne le pense pas.

Croyez vous qu'il y ait plus d'éloquence, je ne dis pas de verbiage, mais plus de véritable éiorjuence au barreau, qu'il y en avait autrefois?

Pour moi, je ne le pense pas.

lent pas. Ils sont fiers, intéressés, sans entrailles pour le malheureux... » Assez, assez. Et vous, propriétaires, que pensez-vous de yos travailleurs, de tous ceux que vous employez, pour quelque cause et à quelque titre que ce soit? Ah! je vous entends aussi me répondre, tous ou presque tous, plus ou moins ouvertement, plus ou moins énergiquement, et quelquefois même, il importe de le dire ici, plus ou moins grossièrement : Ce ne sont plus les hommes d'autrefois; il y en a encore un petit reste, mais les autres sont bien différents. Ils sont presque tous sans reconnaissance et sans dévouement. Quelques-uns même n'ont ni foi ni loi. Ils nous voleraient et nous assassineraient peutêtre, si ce n'était les gendarmes... » Assez, assez. Voilà pourtant ce que j'entends dire partout. Voilà le touchant concert de louanges exécuté par un nombre infini de voix à la louange de l'homme tel que nous l'a fait le siècle présent, le siècle du progrès concert auquel vous avez pris part aussi quelquefois, je n'en doute point, vous qui voudriez porter si haut la gloire de votre époque.

Suis-je bien en droit de conclure actuellement que l'homme ne s'est point amélioré, et que le siècle qui a tout fait progresser, affirmez-vous, ne nous a pas fait progresser, nous que pourtant il ne devait point oublier? Vous allez me dire peut-être encore que je considère ici l'homme sous le rapport moral principalement.

N'est-ce donc rien? N'est-ce pas l'essentiel? vous dirai-je même.

Aimez-vous mieux pourtant que je le considère sous le rapport intellectuel ? Eh bien! soit.

Quels hommes opposerez-vous aux Bacon, aux Descartes, aux Malebranche, aux Leibnitz, aux Pascal, sous le rapport de la philosophie?

Aux Ximenès, aux Richelieu, aux Mazarin, pour le génie politique?

Aux Conde, aux Turenne, aux Louvois, pour le génie militaire ?

Aux Bossuet, aux Bourdalone, sous le rapport de l'éloquence ?

Aux Fénelon, aux Massillon, pour le charme du style?

Aux Dante, aux Tasse, aux Camoëns, aux Milton, aux Shakspeare, aux Caldéron, aux Corneille, aux Molière, aux la Fontaine, aux Racine, sous le rapport de la poésie?

Aux Sévigné, pour le génie épistolaire? Oui, pour le génie épistolaire.

Vous m'objecterez peut-être que je ne considère que des individus.

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Mais n'est-ce pas dans quelques individus marquants que se résume un siècle? Et pourtant, si vous désirez que nous procédions autrement, la chose est facile ici.

Croyez-vous qu'il y ait plus de lumières. dans les sociétés savantes du siècle qu'il y en avait autrefois, sous Louis XIV par exemple? Croyez-vous qu'il y en ait même autant? Pour moi, je ne le pense pas.

Prenez actuellement les assemblées politiques, où une nation doit se retrouver tout entière, puisque les membres qui les com. posent sortent de son sein et sont censés la représenter; croyez-vous qu'elles aient plus de lumières aujourd'hui qu'elles en avaient autrefois?

Pour moi, je ne le pense pas. On a même remarqué que les chambres législatives, sous la Restauration et la monarchie de Juillet, étaient bien inférieures, pour le talent, à la constituante de 89. La constituante de 48 avait encore baissé; en sorte que, si nous avions continué à progresser, je ne sais où nous serions descendus.

Vous allez me demander sans doute où se retrouve ce progrès dont tout le monde parle, et qui doit nécessairement se rencontrer quelque part.

Il est, selon moi, en ce que les lumières se sont divisées entre tous ou presque tous, à peu près comme la fortune; en sorte qu'il y aurait eu bien plutôt diffusion qu'élévation de la pensée parmi nous. Si à cela vous ajoutez le progrès immense qu'ont fait les sciences physiques, comme nous l'avons dit précédemment, et l'application sans fin que nous en faisons à toutes les choses de la vie, vous aurez le véritable cachet du siècle.

Et encore devons-nous remarquer que les œuvres matérielles du jour, malgré toutes les ressources que nous avons à notre disposition, manquent souvent de ce cachet de grandeur qu'on voit dans les œuvres d'autrefois.

«Nos pères n'étaient que des ganaches, » s'écrie quelquefois le mendiant qui, du portique de la cathédrale où il implore la charité, contemple avec ébahissement les rues si bien alignées et si coquettement embellies de nos villes modernes; « notre siècle est le siècle du progrès!»« Aveugle!» lui répondrai-je, « qui donc a bâti l'incomparable édifice que tu vois, ou plutôt que tu ne sais même pas voir, tant il est hors de ta portée par son élévation comme par son immense étendue? »

« Nos pères n'étaient que de vieilles ganaches,» s'écrie encore quelquefois l'ouvrier typographe en voyant passer ce nombre infini de feuilles volantes auxquelles il touche un instant, lui aussi, et qui vont, avec une rapidité extraordinaire, porter partout l'idée du jour, ou ce qu'on a la complaisance d'appeler ainsi; « notre siècle est le véritable siècle du progrès!»« Insensé!»!ui répondrai-je encore, « d'où sont donc venues ces immenses bibliothèques, que nous avons en partie détruites, dans notre aveugle fu

reur, et dont les restes vénérables sont encore, auprès de tes faibles productions, ce qu'est un vieux chêne, déchiré par l'orage, auprès d'un petit arbrisseau? »

Nous trouvons à ce sujet, dans la Civiltà cattolica de Rome, des réflexions très-justes qui ne paraîtront point déplacées ici :

Les progrès de l'art typographique, sous le rapport de la célérité et de l'économie, ont multiplié le nombre des lecteurs sans augmenter celui des savants. Dans l'Europe et dans l'Amérique, tous veulent lire et tous lisent; mais celle immense multitude de personnes avides de lecture a forcé les typographes à n'imprimer que des écrits légers, passagers, frivoles, et nous dirions presque instantanés, ou qui ne présentent d'autre intérêt que celui de la circonstance, appropriés au goût et aux passions du plus grand nombre. Les hommes véritablement érudits, profonds, qui furent et seront toujours en petit nombre, obtiennent difficilement de l'imprimerie moderne cette nourriture solide qui convient à leurs palais sévères et à leurs goûts sérieux. Il leur faut recourir à ces bibliothèques antiques, où l'on conserve, en •quelque sorte avec un soin jaloux, les grands Ouvrages imprimés dans les deux siècles précédents, et qui sont devenus à présent comme un objet d'épouvante pour les imprimeurs modernes. »>

Ainsi, quoique de notre temps il y ait bien un progrès réel, incontestable, sous certains rapports et en certains points, il ne faut pas dire si haut que notre siècle est le siècle du progrès, ni demander avec tant d'assurance s'il n'y a pas progrès en tout.

Mais si votre assertion manque de solidité en elle-même, la raison sur laquelle elle se base en manque bien davantage encore.

Ce n'est point étonnant, avez-vous dit, car nous avons secoué le joug de la religion, qui empêche l'homme d'avancer et ne cherche même qu'à le faire reculer.

Si, comme vous le dites, le joug de la religion empêche l'homme d'avancer et le fait même reculer autant que possible, il doit résulter de là que plus un pays est éloigné de la religion, et plus on doit voir le progrès se manifester chez lui. Or, c'est absolument le contraire qui a lieu. Voyez la Turquie, la Chine, tous ces pays idolâtres qui croupissent depuis si longtemps dans la plus profonde ignorance, dans la plus épouvantable barbarie.

Ecoutons encore sur ce point Mgr de Rodez, dans le remarquable discours dont nous avons déjà cité un passage. Après avoir établi que le progrès réclame d'abord la paix publique et le véritable patriotisme, il ajoute :

« Mais pour qu'il en soit ainsi, pour que la paix et le vrai patriotisme, unis aux inspirations de la science, continuent d'enfanter le vrai progrès, il faut puiser le feu sacré aux autels du Dieu de Clovis, de Charlemagne et de saint Louis en d'autres termes, il faut que les éléments de l'ordre moral, de la force et de la prospérité des nations, soient placés

sous la sauvegarde de la religion, qui est la mère nourricière de l'humanité, le vrai palladium de la justice, des lois, de la propriété, de la famille et des libertés publiques. C'est ce que vous savez parfaitement; et, de plus, Vous savez que le progrès intellectuel et social, qui a pour point de départ la révélation évangélique, à pour dernier terme les splendeurs du ciel. Telle est l'explication de ce fait immense qui remplit l'espace des temps et des lieux: je veux dire la supériorité des peuples chrétiens sur ceux qui ne le sont pas. Sous l'empire de l'idée chrétienne, l'humanité s'élève; dépourvue de cette idée, elle croupit dans son abaissement ou elle y retombe. C'est là une loi du monde moral aussi bien constatée que toutes celles du monde physique. D'où il suit que tout progrès prétendu accompli au détriment des saintes croyances de la religion devient une calamité publique. »

S'il est vrai, comme vous le prétendez, que la religion soit hostile au progrès, il arrivera de là encore que les plus croyants parmi nous seront nécessairement les plus arriérés, et par conséquent les plus ignorants, le progrès s'identifiant, en un sens, avec les lumières. Or, il n'en est point ainsi, tant s'en faut.

Quelle philosophie dans les de Maistre, de Bonald, de Lamennais! Et, pour le dire en passant, ce dernier était-il moins éclairé avant qu'après son apostasie?

Quelle éloquence dans les Lacordaire, de Ravignan, Félix, Ventura, Berryer, de Montalembert, Donoso Cortès...!

Quelle dialectique dans les Veuillot, Balmès, Nicolas ... !

Que de science dans les Cauvin et les Thénard dont la France, dont l'Europe entière a pleuré le perte!

Quelle poésie dans les Châteaubriand, Syl vio Pellico, de Lamartine...! Et, pour le dire en passant, ce dernier avait-il de moins bonnes inspirations avant qu'après son éloignement de la religion? Le fameux lord Byron avait lui-même certaines tendances catho liques. Croit-on par hasard que son génie désordonné eût perdu de sa valeur s'il se for soumis complétement au joug de la religion?

La religion est donc un joug, allez-vous me dire ici, et vous en convenez vous-même. Or, un joug pèse sur nous et nous empêche d'avancer. La religion est donc hostile au progrès.

La religion est un joug, c'est vrai: mais un joug qui empêche de s'égarer, d'errer à droite et à gauche, et non un joug qui enpêche d'avancer. Pour suivre la métaphore que vous avez employée le premier, trouvez-vous que les animaux soumis au joug avancent moins en réalité, que ceux qu abandonnés à toute leur fougue, vont de tous côtés, occasionnant souvent les plus grands malheurs?

Mais, me direz-vous, la religion arrête nos discussions en nous commandant de

croire.

La religion ne nous commande de croire qu'un certain nombre d'articles. Ce sont ces vérités fondamentales, salutaires, sans la ferme adoption desquelles ni la société ni l'individu lui-même ne sauraient être heureux en cette vie comme en l'autre. Ce n'est point un mal, je pense. Quant aux autres articles, la religion laisse la carrière tout à fait libre à nos discussions. Et même par rap port à ces vérités que la religion nous commande expressément de croire, il ne faut pas s'imaginer qu'elle vous interdise complétement l'usage de la raison. Nous pouvons discuter les fondements sur lesquels elles reposent, les considérer en elles-mêmes; les approfondir, en tirer toutes les déductions spéculatives et pratiques qui en sortent naturellement. Une seule chose nous est commandée par rapport à elles, c'est la foi. Mais la foi elle-même, une foi brûlante, la véritable foi chrétienne, n'est-ce pas ce qui élève et transporte, tandis que le doute hésite et lâtonne? Aussi voyez Bossuet: Quelles élérations sur les mystères ! Tous n'en pourront faire autant, il est vrai; mais ce n'est pas la religion qui les empêche, bien au contraire.

Vous nous objecterez encore que la religion nous vante sans cesse le passé; ce qu'elle

ne ferait pas, si elle ne voulait y rame

ner.

La religion ne nous vante pas tout dans le passé, mais seulement ce qu'il y a de bien; et il est aisé de voir, d'après ce que nous avons dit précédemment, que tout n'est pas à dédaigner dans le passé. Ce n'est donc point à tout le passé, non plus, que la religion voudrait nous ramener, mais uniquement à ce qu'il y a de bon dans le passé. La religion ne voit qu'une chose, ne demande qu'une chose de nous, et cette chose n'est ni du passé, ni du présent, ni de l'avenir, ou plutôt c'est une chose qui est également du passé, du présent et de l'avenir, c'est la connaissance de Dieu et de soi-même, l'amour et la pratique du devoir, la vertu, en un mot. A quelque point de l'espace et du temps que nous appartenions, quelles que soient nos occupations en ce monde, et alors surtout qu'elle nous voit comme exclusivement occupés des choses terrestres, elle De cesse de nous dire à tous en nous montrant les cieux : «< Avant tout il faut y aller c'est là la chose la plus nécessaire et même la seule véritablement nécessaire » — : Porro unum est necessarium. (Luc. x, 42.) Or, n'estce pas des cieux que descend la lumière, et n'est-ce pas à la faveur de la lumière que s'accomplit tout véritable progrès?

PROPAGATION DE LA FOI.

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Réponse. C'est vous, le propagateur des lumières et de la civilisation, c'est vous, l'ami du peuple,qui tenez un pareil langage? C'est un peu singulier. Ecoutons cependant, et répondons :

C'est pourtant le peuple, avez-vous dit, et surtout le peuple de France, qui fournit,en partie, aux besoins de ce que vous appelez la propagation de la foi.

Et, oui! c'est le peuple; et cela prouve, comme nous l'enseigne Notre-Seigneur JésusChrist, que le cœur pauvre n'en est que mieux disposé à la pratique de la vertu en général, mais principalement de la vertu de générosité et de dévouement.

Oui! c'est surtout le peuple de France; et cela prouve que, malgré les folies et les crimes qu'on a vus, qu'on voit même encore, en quelques-uns de ses membres, c'est toujours le peuple le plus noble, le plus chevaleresque, le plus chrétien de tous les peuples

de la terre.

Et ce n'est pas seulement le tribut de son or que le peuple, en général, le peuple de France, en particulier, fournit aux besoins de la propagation de la foi; c'est aussi, ce qui est infiniment plus précieux, le tribut de son sang; puisque, avec les aumôniers de la

propagation de la foi, si je puis m'exprimer de la sorte, les martyrs sortent tous ou presque tous de son sein généreux. Mais ne parlons ici que des premiers, c'est-à-dire de ceux qui payent; car, aux yeux de ce siècle d'or, je veux dire qui n'est occupé qu'à la recherche de l'or, la vie doit être comptée pour peu de chose.

« Cette association, » disais-je il y a quelques années (Bienfaits du catholicisme), en parlant de la Propagation de la foi, « celle association n'est pas nouvelle, en ce sens qu'il se fit toujours, dans quelques églises, des quêtes et des prières pour le besoin des autres églises. Elle a cependant quelque chose de nouveau, c'est sa continuité, et son organisation. Tout Chrétien peut en être membre: il suffit, pour cela, de donner ou de mettre en réserve cinq centimes par semaine, et de réciter, chaque jour, une prière si courte, qu'elle n'est qu'une aspiration de l'âme vers Dien pour appeler ses bénédictions sur la prospérité de l'œuvre. Vous ne sauriez vous imaginer quelle est la puissance de cette association. Comme elle est à la portée de tous, comme elle n'engage à rien, rigoureusement parlant, des demandes d'admission arrivent de toutes parts, et déjà l'impôt volontaire de cinq centimes par semaine s'élève à plus de trois millions. Revenu considérable, qui promet de s'accroître indéfiniment, et qui ne peut guère tomber. S'il dépendait de la volonté de quelques personnes riches et puissantes, demain peut-être il serait à zéro. S'il était basé sur des terres colossales, sur la volonté d'un seul peuple, de gran les

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révolutions pourraient l'ébranler, le détruire même; mais il a sa racine dans la foi du monde entier, et voilà pourquoi nous avons l'espérance de le voir durer jusqu'à la consommation des siècles. Et cette association de prières qui s'élèvent de toutes les parties de la terre pour appeler les bénédictions du ciel sur les travaux de nos missionnaires, n'a-t-elle pas aussi une puissance infinie? Anges du ciel, recueillez précieusement les vœux ardents de notre foi! Plus agiles que les vents, plus prompts que tous les éléments réunis, précédez aux lieux où ils aborderont bientôt les anges de la terre qui volent en ce moment sur les mers avec tant de rapidité, chargés des trésors de notre charité! Là se rencontreront la foi et la charité, ces deux filles du ciel, et elles y appelleront l'espérance.

« Nous avons dit que l'association pour la propagation de la foi était répandue dans tout l'univers catholique; mais c'est surtout en France qu'elle s'est enracinée profondément. Le peuple très-chrétien donne lui seul autant que tous les autres réunis. Cet étonnant résultat est dû à la sollicitude des évêques, au zèle de tout le clergé, à la géné rosité de ce noble peuple auquel seront toujours chers les intérêts de la religion et de T'humanité. Qu'il est beau, s'écriait à ce sujet, il y a quelques années, le cardinal archevêque de Toulouse, qu'il est beau et touchant le spectacle de cetie Eglise de France, qui, à peine relevée de ses ruines, jette les regards de sa maternelle sollicitude sur tous les enfants des terres éloignées, et oublie ses propres besoins pour venir à leur secours!

«Il me semble, disait encore le cardinal Pacca, doyen du sacré-collége, il me semble que le Seigneur, enfin apaisé, destine aujour d'hui la France à être l'instrument de ses divines miséricordes. Il veut qu'elle répare ellemême les maux nombreux qu'elle a causés au monde, dans le siècle passé et au commencement de celui-ci, par tant d'écrits impies, et par cette propagande philosophique dont les apôtres allèrent semer au milieu des peuples les principes de la révolte contre tous les gouvernements aussi bien que contre l'Eglise. Et, en effet, c'est la France qui a conçu et exécuté la première le magnifique projet d'une association pour la propagation de la foi, destinée à seconder l'admirable institution de la Propagande de Rome; c'est la France qui a replanté sur les côtes d'Afrique l'étendard triomphant de la croix, et donné naissance à une nouvelle Eglise africaine; c'est la France enfin qui, sous les auspices et la direction du Saint-Siége, travaille à dissiper les ténè bres de l'idolatrie parmi les pauvres sauvages de l'Océanie, et à soutenir dans la Cochinchine et le Tong-King la religion persécutée de Jésus-Christ, avec un admirable zèle apostolique, des fatigues incalculables, et le sung glorieux des missionnaires-martyrs qui sont sortis de son sein. (Discours prononcé à l'Académie de la religion catholique.)»

Ainsi, rien n'est plus vrai, c'est bien le peuple, et surtout le peuple de France, qui fournit, en partie, à tous les besoins de la

propagation de la foi. Mais au lieu de l'en blamer ou de l'en plaindre, nous devons voir en cela l'un de ses plus beaux titres de gloire, auquel on ne saurait rendre un trop éclatant hommage.

A quoi cela sert-il? avez-vous demandé. Mais, le mot même le dit, cela sert à étendre les lumières de la foi, et, avec ces lumières, la civilisation chrétienne, la plus pure, la plus noble, la plus sainte qui ait jamais paru sur la terre.

Ne voyez-vous pas, en effet, que c'est celle association pour la propagation de la foi qui fournit à presque tous les besoins du missionnaire, au milieu de ces peuplades qu'il est allé évangéliser? Ce n'est pas qu'il ne puisse, à la rigueur, se suffire à lui-même, avons-nous dit encore, dans l'ouvrage que nous venons de citer, « pour faire briller le flambeau de la foi au sein des plus épaisses ténèbres. Sans autre instrument que celui de notre rédemption, sans autre livre que l'Evangile, sans autres trésors que les trésors de foi et de charité qu'il porte au fond de son cœur, il se glissera inconnu au milieu d'hommes beaucoup plus occupés des choses de la terre que des choses du ciel. Après un trajet long et difficile sur un vaisseau que la caprice des vents et des hommes aura conduit dans des parages bien différents de ceux qu'il désirait atteindre, il aura été jeté par la tempête, je suppose, sur une terre incon nue. Le matin, le soir, au milieu du jour et de la nuit, il redira à ces déserts de saintes paroles qui ne trouveront que dans les cieux un écho intelligent. Descendant, avec une nouvelle vertu, du sein de Dieu, où elles se sont élevées sur l'aile de la prière, ces mêmes paroles pénètrent peu à peu dans l'âme du sauvage, elles la subjuguent, la changent entièrement, et quelques chrétiens fervents sont le noyau d'une colonie chrétienne qui s'élève bientôt au bonheur par la vertu. Tel est le prodige que nous avons vi se renouveler bien des fois depuis l'établissement du christianisme; et nous ne devons point en être surpris, puisque Jésus a promis de rendre dépositaires de sa toutepuissance ceux qui parleraient en son nom. Cependant, comme il nous est défendu de tenter le ciel, le missionnaire emploiera, autant que possible, les moyens ordinaires pour arriver à ses fins. Or, il n'en est point de plus efficaces, évidemment, que ceux dont sesert le catholicisme au milieu de nous. Plusieurs missionnaires se sont réunis afin de se soutenir mutuellement et d'agir avec plus de force sur ces masses d'ignorance et de corruption qu'ils se proposent d'attaquer. Avec eux, ils ont des catéchistes, des instituteurs, d'une doctrine et d'une conduite à toute épreuve, pour les aider dans leur difficile entreprise. Ils ont des livres où la loi du Seigneur se trouve gravée avec tous les développements désirables; des chapelets, ce livre si commode pour le pauvre ignorant des images, des médailles, pour rappel au Chrétien l'image de Jésus que la foi a pu déjà graver dans son cœur, mais que les pas

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