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qui sont chargés de parler au peuple. Chacun d'eux choisira ce qui lui conviendra le mieux; et c'est pour cela que nous avons cru devoir faire une provision un peu ample. C'est comme un réservoir que nous avons préparé. Pour qu'il puisse satisfaire tous les besoins, il a bien fallu le remplir. Nous nous sommes borné cependant, non-seulement dans les ré ponses que nous avons données aux objections, mais dans le recueil même de ces objections. Si on nous demande actuellement d'où viennent celles que nous avons consignées dans notre ouvrage, il n'est pas difficile de répondre; car, hélas i ces objections se trouvent partout: elles sont dans les livres, au milieu des places publiques, à l'atelier, à l'école, au milieu des champs, dans les maisons particulières, au cœur de chacun, partout, avons-nous dit avec raison; et si on nous demande encore qui les a ainsi semées, en quelque sorte, partout, il n'est pas plus difficile de répondre: Ce mensonge car toute objection faite sérieusement contre la religion est un mensonge ce mensonge, dis-je, opposé à la vérité, cette ivraie semée dans le champ du père de famille pour étouffer le bon grain, cela vient du démon évidemment. Jetée primitivement par lui dans le monde, cette mauvaise semence s'y est reproduite en tous lieux, tant par son activité infernale que par l'activité également diabolique de tous ceux qui font son œuvre sur la terre, je veux dire des méchants.

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Que la première objection contre la religion soit sortie de l'enfer et ait été apportée sur la terre par le démon lui-même, c'est un fait acquis dans l'histoire, je ne dirai pas seulement du peuple de Dieu, mais de tous les peuples. Placés dans le Paradis terrestre, nos premiers parents vivaient heureux dans la soumission absolue aux volontés de Dieu, quand le démon s'offrit à la femme sous la figure du serpent: Pourquoi Dieu ne vous a-t-il pas permis, lui dit-il, de manger du fruit de tous les arbres du Paradis? (Gen. 1, 1 seq.) La femme répondit: Nous pouvons manger de tous, à l'exception du fruit de l'arbre qui est au milieu du Paradis, dont nous ne pouvons manger et auquel même nous ne pouvons toucher, de peur de mourir. Alors le serpent dit à la femme: Vous ne mourrez point; car Dieu sait qu'au jour même où vous mangerez de ce fruit, vos yeux seront ouverts, et vous serez comme des dieux, connaissant le bien et le mal. La femme se laissa séduire, elle a désobéi, elle a porté ensuite son mari à désobéir comme elle, et, en se révoltant ainsi l'un et l'autre contre Dieu, ils se sont perdus, et ont perdu avec eux le genre humain tout entier.

Il y a dans cette première objection élevée contre la religion, c'est-à-dire dans cette première tentative faite par l'esprit du mal pour soulever contre Dieu les intelligences soumises à sa volonté, les différents traits qui caractérisent la plupart de celles qui l'ont suivie. Elle fait appel à l'indépendance : Vous serez comme des dieux, dit le serpent, connaissant le bien et le mal: « Eritis sicut dii, scientes bonum et malum. » Quoiqu'elle cherche à tromper par l'appåt de l'indépendance, elle ne néglige pas cependant les séductions de la chair. Aussi est-ce à la femme que le serpent s'adresse. Dixit autem serpens ad mulierem. Mais considérez surtout, je vous prie, la marche et l'action directe de l'objection. La voyez-vous sous la forme si expressive du serpent? Elle s'avance par détours et sans bruit. Repoussée d'abord, elle vient à plusieurs reprises; et elle finit par déposer en nous son poison mortel, à moins que nous ne soyons assez heureux pour l'écraser, ce que nous ne pouvons faire que par la puissance même de la vérité, avec l'aide duVerbe fait chair dans les chastes entrailles de celle à qui Dieu a promis qu'elle écraserait la tête du serpent trompeur:Ipsa conteret caput tuum.

Et ce n'est pas seulement par sa puissance intrinsèque, par l'effet de ses grâces, que la Vérité même, le Verbe de Dieu combat les objections élevées par l'esprit du mal contre sa religion. Pour nous assister, dans cette lutte, d'une manière plus conforme à nos besoins, il a bien voulu prendre notre nature et parler notre langage. Voyez-le pendant le cours de sa vie mortelle. Comme il accueille tous les hommes avec bonté! Comme il répond paliemment à toutes les objections qu'on lui adresse! Vous diriez un bon père, une tendre mère, s'entretenant familièrement avec ses enfants.

Un jour, les saducéens, qui nient la résurrection, le vinrent trouver et l' nterrogèrent en ces termes : Maitre, Moïse a ordonné que si quelqu'un mourait sans enfants, son frère épousat sa femine, et suscitat des enfants à son frère. Or, il s'est rencontré sept frères parmi nous dont le premier, ayant épousé une femme, est mort; et, n'en ayant point eu d'enfants, il l'a laissée à son frère. Il en fut de même du second et du troisième, jusqu'au septième. Enfin, lous étant morts, la femme mourut aussi. Lors donc que la résurrection arrivera, duquel de ces sept sera-t-elle femme? Car tous les sept l'ont épousée. Jésus leur répondit: Vous êtes dans l'erreur, et vous ne comprenez ni les Ecritures, ni la puissance de Dieu. Car, au temps de la résurrection, les hommes n'auront point de femmes, ni les femmes de maris; mais ils seront comme les anges de Dieu dans le ciel. Et pour ce qui est de la résurrection des morts, n'avez-vous pas lu ces paroles que Dieu a dites? Je suis le Dieu d'Abraham, le Dieu d'Isaac, et le Dieu de Jacob. Or Dieu n'est point le Dieu des morts, mais des vivants. Le peuple e... tendant ceci était dans l'admiration de sa doctrine.

Mais les pharisiens, ayant appris qu'il avait fermé la bouche aux saducéens, s'assemblerent; et l'un deux, qui était docteur de la loi, le tenta, et lui faisant cette question : Maître, quel est le grand commandement de la loi? Jésus lut répondit: Vous aimerez le Seigneur votre

Dieu de tout votre cœur, de toute votre âme, et de tout votre esprit. C'est là le plus grand, et le premier commandement. Et voici le second qui est semblable à celui-là: Vous aimerez le prochain comme vous-même. Toute la loi et les prophètes se réduisent à ces deux commandements. (Matth. xx11, 23-40.)

Quelle doctrine! Mais aussi avec quelle simplicité touchante elle est expliquée pour aplanir les difficultés qu'elle présente, non-seulement dans sa partie spéculative, mais encore dans sa partie pratique! « Et qui est donc mon prochain? lui a demandé le docteur. Ce sont tous les hommes, répond Jésus, même vos ennemis, même les Samaritains avec qui vous ne voulez avoir aucun rapport. » Ecoutez plutôt sa réponse, telle qu'elle a été faite, sous la forme saisissante de la parabole :

Un homme qui descendait de Jérusalem à Jéricho tomba, dit-il, entre les mains des voleurs, qui le dépouillèrent, le couvrirent de plaies, et s'en allèrent, le laissant à demi mort. Il arriva ensuite qu'un prêtre descendait par le même chemin, lequel l'ayant aperçu, passa outre. Un lévité, étant aussi venu au même lieu, et l'ayant considéré, passa outre. Mais un Samaritain, passant son chemin, vint à l'endroit où était cet homme: et, l'ayant vu, il en fut touché de compassion. Il s'approcha donc de lui, il versa de l'huile et du vin dans ses plaies, et les banda; et, l'ayant mis sur son cheval, il l'emmena dans une hôtellerie et prit soin de lui. Le lendemain, il tira deux deniers qu'il donna à l'hôte, et lui dit : Ayez bien soin de cet homme, et tout ce que vous avancerez de plus, je vous le rendrai à mon retour. Le quel de ces trois vous semble-t-il avoir été le prochain de celui qui tomba entre les mains des voleurs? Le docteur lui répondit : C'est celui qui a exercé la miséricorde envers lui. Allez donc, lui dit Jésus, et faites de même. (Luc. x, 30-37.)

C'est ainsi que Jésus, parlant tantôt à l'esprit, tantôt au cœur, fait, ou doit faire, du moins, sur ceux qui l'écoutent, une impression profonde. Et qu'est-ce donc quand il veut bien confirmer son divin enseignement par ses œuvres miraculeuses qui décèlent aux moins clairvoyants sa divinité? Personne n'ignore ce qui se passa, quand on lui présenta un paralytique, couché dans son lit.

sont

Voyant leur foi, Jésus dit au paralytique: Mon fils, ayez confiance, vos pechés vous remis. En même temps, quelques-uns des scribes dirent en eux-mêmes: Cet homme blasphème. Mais Jésus, connaissant ce qu'ils pensaient, leur dit : Pourquoi pensez-vous du mal dans vos cœurs? Lequel est le plus aisé de dire: Vos péchés vous sont remis; ou de dire: Levez-vous, et marchez? Or, afin que vous sachez que le Fils de l'homme a le pouvoir sur la terre de remettre les péchés: Levez-vous, dit-il alors au paralytique, emportez votre lit, et vous en allez dans votre maison. Le paralytique se leva et s'en alla dans sa maison. Le peuple, voyant cela, fut saisi de crainte, et rendit gloire à Dieu, de ce qu'il avait donné une telle puissance aux hommes. (Matth. ix, 2-8.)

Une remarque qu'il importe de faire ici, c'est que Jésus-Christ s'adresse presque touJours au peuple, quand il répond aux difficultés élevées contre la religion. Ces difficultés lui sont cependant présentées par des hommes éclairés. Dans les exemples que nous venons de citer, nous avons vu paraître, tour à tour, les saducéens, les pharisiens, les scribes, un docteur de la loi; mais Jésus-Christ n'a paru tenir aucun compte de leur position. Ce n'est pas qu'il ne soit venu sur la terre pour les savants comme pour le reste des hommes; mais, soit qu'il les regarde comme suffisamment éclairés et n'ayant besoin que de se purifier le cœur, soit en punition de leur orgueil, soit plutôt parce que l'enseignement qui convient au peuple doit leur convenir également à eux-mêmes, il ne s'adresse guère qu'au peuple, avons-nous dit avec raison. Aussi est-ce le peuple surtout qui est profondément impressionné par ses paroles, comme par ses œuvres. Et audientes turbæ mirabantur in doctrina ejus, lisons-nous dans l'Evangile. (Matth. xx11, 33.) Et ailleurs: Videntes autem turbæ timuerunt, et glorificaverunt Deum, qui dedit talem potestatem hominibus. (Matth. 1x, 8.)

Ce qu'a fait Jésus-Christ, les apôtres qu'il a choisis parmi le peuple, pour les former à la prédication de sou Evangile, l'ont fait également. Voyez saint Paul lui-même, ce grand apôtre, élevé, comme il le dit formellement, jusqu'au troisième ciel, où il entendit des choses qu'il n'est pas permis à l'homme de répéter. Comme il se plaît cependant à réfuter les objections populaires contre la religion!

Quelqu'un dira peut-être : En quelle manière les morts ressusciteront-ils, et quel sera le corps dans lequel ils reviendront? Insensé que vous êtes, ce que vous semez ne prend point de vie, s'il ne meurt auparavant. Et, quand vous semez, vous ne semez point le corps qui doit nailre, mais une simple graine, comme de froment ou de quelque autre chose. Mais Dieu lui donne un corps tel qu'il lui plaît... Il en arrivera de même à la résurrection des morts. Le corps maintenant, comme une semence, est mis en terre plein de corruption, et il ressuscitera incorruptible. Il est mis en terre tout difforme, et il ressuscitera tout glorieux. Il est mis en terre privé de mouvement, et il ressuscitera plein de vigueur. Il est mis en terre corps animal, et il ressusciteru corps spirituel. (1 Cor. xv, 35-44. )

Ainsi firent les premiers successeurs des apôtres, ces Pères de l'Eglise, qui, consolidant, d'une main, les fondements de la religion, repoussaient, de l'autre, avec une infatigable vigilance, les attaques dirigées contre elle par ses ennemis déjà si nombreux. Ainsi out

toujours fait depuis, ainsi font actuellement encore les ministres de la religion, charges d'annoncer aussi l'Evangile, à quelque degré de la hiérarchie qu'ils se trouvent placés. Quelquefois, sans doute, ils s'adressent aux savants; mais la plupart du temps, et même presque toujours, à l'exemple de Jésus-Christ, des apôtres et des Pères, ils s'adressent à cette foule dont leur divin maître aimait à se voir entouré, à cette masse dont se compose l'humanité. Lisez les homélies des Pères, les sermons des prédicateurs, les mandements des évêques, les prônes des curés et de leurs collaborateurs: qu'y trouvez-vous, si ce n'est l'exposition et la défense de la doctrine chrétienne, selon les besoins du plus grand nombre, aux différentes époques de l'Eglise? Il y a donc, là aussi, la réponse aux objections les plus ordinaires contre la religion; ou, pour mieux dire, c'est là ce qui y domine, en sorte que notre travail, pour être complet, devrait présenter le résumé fidèle de ce grand travail d'apologétique populaire commencé à Jésus-Christ et continué jusqu'à nos jours. Nous n'avons pu lui donner de telles proportions. Obligé de nous restreindre, nous ne répondons qu'aux objections qui présentent, en ce moment, quelque danger, ou qui peuvent en présenter d'un moment à l'autre.

1 est aisé de voir, du reste, par ce que nous venons de dire, où nous avons pris la réponse à ces objections. Comme la difficulté elle-même, la solution est partout dans les livres, dans nos églises, dans nos écoles, dans nos maisons, au cœur d'un Chrétien, partout, avons-nous dit! Et si on nous demande comment elle se trouve ainsi partout, il nous est encore plus facile de répondre que pour l'objection. Elle est partout, parce que la vérité est partout, et que la réponse la plus complète, et même la seule complète, à toute difficulté, c'est la vérité brillant de tout son éclat et dissipant ainsi les ténèbres qui la cachent à nos yeux, comme le soleil fait les nuages, qui ne peuvent l'obscurcir que momentanément; elle est partout, parce que c'est la parole de Dieu qui nous la donne, et que cette parole, apportée du ciel sur la terre par Jésus-Christ, n'a cessé et ne cesse encore d'être propagée en tout lieu, par ceux qu'il a chargés de continuer sa mission.

Nous n'avons donc eu besoin que de la formuler; et encore l'avons-nous prise souvent tout exprimée dans quelques-uns de nos apologistes les plus renommés. Il nous était bien facile de nous approprier à nous-même cette réponse, soit en la modifiant un peu, soit en changeant l'expression seulement. Si nous ne l'avons pas fait, c'est à dessein. Il y a deux manières de répondre à une objection par le raisonnement et par l'autorité. En signant notre réponse d'un nom faisant autorité, nous donnions donc à cette réponse, outre sa valeur intrinsèque, une seconde valeur, une valeur extrinsèque qu'elle n'avait pas venant de nous.

En terminant cette introduction, nous prions le lecteur de n'étudier notre ouvrage qu'avec les intentions et dans les dispositions que nous avons eues nous-même en le composant. C'est un arsenal dans lequel nous l'invitons à entrer, avons-nous dit déjà, arsenal'où se trouvent accumulées les armes de nos ennemis, et celles dont nous pouvons nous servir nous-mêmes pour repousser leurs attaques. Un peu de légèreté, la moindre imprudence pourrait lui devenir funeste à lui-même et aux autres, comme cela se voit fréquemment dans un arsenal ordinaire. En y apportant toutes les précautions nécessaires, il en sortira tier et heureux, plein d'ardeur et plus apte que jamais à soutenir avantageusement les combats où le devoir l'engagera quelquefois, pour la gloire de Dieu et le salut de ses frères.

DICTIONNAIRE

DES

OBJECTIONS

POPULAIRES

CONTRE LA RELIGION CATHOLIQUE,

AVEC REPONSES A CHACUNe d'elles.

A

ABBAYE, ABBÉ, ABBESSE.

Objection. Abus! abus! abus! assemblage de tous les abus! Abus dans les bâtiments! Abus dans la conduite de ceux qui s'y trouvent, ou qui, étant censés s'y frouver, vont étaler ailleurs, comme l'abbé de cour, le scandale de leurs mœurs! Abus par rapport à la religion! - Abus par rapport à la société! Abus par rapport à la famille ! -- Abus enfin par rapport aux individus! Quand la révolution à détruit tout cela, elle a fait un acte bien méritoire aux yeux de Dieu et des hommes.

Réponse. Dites plutôt qu'elle a commis, en cela comme en beaucoup d'autres choses, l'attentat le plus...

Je m'arrête ici pour ne point agir avec la même précipitation que vous. Avant de rien conclure, je veux approfondir notre sujet, et répondre à vos objections, ou, pour mieux dire, à vos déclamations.

Abus! abus! abus! assemblage de tous les abus, vous écriez-vous.

C'est bientôt dit; mais, je vous le demanderai d'abord, de quoi l'homme n'a-t-il point abusé, de quoi n'abuse-t-il point encore, chaque jour ici-bas? Jetez les yeux autour de vous, examinez-vous vous-même, considérez, s'il est possible, les uns après les autres, tous les êtres dont se compose la nature, et vous trouverez qu'il y a abus partout, que ce monde est réellement l'assemblage de tous les abus. Est-ce à dire pour cela que nous devions tout condamner, tout détruire? Non pas, mais seulement qu'il faut agir toujours avec la plus grande prudence, rechercher le bien, s'y attacher, le développer en soi et dans les autres, fuir le mal, mêlé partou: au bien, le souffrir avec patience, quand on ne peut faire autrement, comme cela se trouve admirablement expliqué dans la parabole si frappante du bon grain et de l'ivraie, et user ainsi des dons de Dieu, selon les vues de son adorable Providence.

Quand une chose est mauvaise de sa na

ture, nous direz-vous peut-être ici, quand, du moins, elle produit d'elle-même beaucoup plus de mal que de bien, n'est-il pas plus simple de la détruire?

Sans doute, mais tel n'est point le cas dont il s'agit. Savez-vous bien ce que c'est qu'une abbaye, vous que ce nom seul fait frémir, et qui appelez, pour en délivrer le monde, la hache révolutionnaire? Savez-vous ce que nous entendons par abbé et par abbesse, vous qui n'attachez à ces mots que l'idée du ridicule et du mépris? Ecoutez avec un peu d'attention, je vais vous le dire; et dans le cours de mes explications, ou à la fin, je m'efforcerai de détruire les préjugés que Vous avez conçus à ce sujet.

Abbé est un mot d'une langue étrangè e qui veut dire père. Abbesse, par conséquent, veut dire mère; et Abbaye, maison paternelle ou maternelle. Qu'y a-t-il de plus touchant que ces mols? Si des noms nous passons aux choses, elles éveillent en nous des idées non moins touchantes.

Comme il est facile de le comprendre, d'après ce que nous venons de dire,et comme on peut s'en convaincre d'ailleurs d'après sa propre expérience ou celle d'autrui, l'abbaye est une maison religieuse composée d'hommes ou de femmes, vivant en communauté sous la direction d'un abbé on d'une abbesse, tendant à la perfection par la pratique nonseulement des préceptes, mais des conseils évangéliques, et qui en prenant les moyens les plus efficaces de s'assurer les récompenses éternelles, travaillent d'une manière plus ou moins directe suivant la nature de leur constitution au bonheur spirituel et même temporel des autres hommes. Car la piété, qui est l'âme de la communauté, se trouve utile à tout, ayant la promesse de la vie présente et de la vie future, comme le dit avec tant de vérité le grand Apôtre: Pietas ad omnia utilis est, promissionem habens vitæ quæ nunc est et futuræ. (1 Tim. iv, 8.)

L'abbaye est donc une famille véritable

fet c'est un nom qu'elle se donne ellemême volontiers), mais c'est une famille sainte, immense quelquefois, indéfiniment prolongée et qui, malgré l'extension qu'elle peut avoir en étendue comme en durée, prend de tous ses enfants un soin pieux et leur facilite les moyens d'arriver au but pour lequel chacun d'eux a été mis sur la

terre.

Vous ne pouvez nier l'utilité, la nécessité même de la famille telle qu'elle se trouve naturellement constituée, malgré les graves abus qui s'y rencontrent à chaque instant. Vous ne pouvez vous empêcher de reconnaître que cette union sainte, indissoluble, fait subsister tous les membres qui la composent, malgré la faiblesse des uns et les infirmités des autres, développe toutes leurs facultés physiques, intellectuelles et morales, et les conduit souvent pour le temps comme pour l'éternité à de grands résultats qu'aucun d'eux n'obtiendrait jamais, abandonné à luime:ne.

Pour peu que vous vous éleviez au-dessus des passions et des préjugés qui pervertissent si facilement le jugement des hommes, Vous ne pouvez nier non plus l'utilité, la nécessité même, jusqu'à un certain point, de cette famille telle que l'a constituée la religion, malgré les graves abus qui s'y rencontrent aussi à chaque instant. Vous ne pouvez vous empêcher de reconnaître que cette union sainte, indéfiniment prolongée, fait vivre tous ses membres, quelque nombreux qu'ils soient, malgré la faiblesse des uns et les infirmités des autres, qu'elle développe au plus haut point toutes leurs facultés mais principalement leurs facultés intellectuelles et morales et les conduit pour le ciel, et quelquefois même pour la terre, à des résultats surprenants qu'aucun d'eux n'eût obtenus peut-être dans une autre position.

Votre comparaison est sur tous les points défectueuse, me dira-t-on. La famille est utile, nécessaire même, parce que sans elle l'homme enfant ne pourrait vivre. Renfermé alors dans un cercle toujours restreint, il s'y développe admirablement en effet et arrive quelquefois à des résultats surprenants. Mais qu'a-t-il besoin d'une nouvelle tulelle, quand il est devenu grand et se suffit à lui même? Ne voyez-vous pas que cette nombreuse et compacte réunion où vous l'ap perez va gêner son action au lieu de la faciliter, corrompre ses mœurs au lieu de les purifier et de les sanctifier.

Parler ainsi, c'est méconnaître absolument la nature de l'homme et tout ce qu'il est obligé d'accomplir sur la terre. Ne savezvous pas qu'il y a des hommes qui ne cessent pas d'être enfants pendant leur vie entière? Que d'autres sortis de l'enfance un instant y rentrent presque immédiatement? Ne savez-vous pas que la faiblesse et les infirmités de l'enfance nous reprennent, et quelquefois avec une intensité plus grande encore, à la fin, si ce n'est même au milieu de notre carrière? Ne savez-vous pas qu'il

y a des cœurs chagrins, blessés et même mortellement dans un corps sain, qui ont toujours besoin d'une main douce et affectueuse pour calmer leur douleur et soigner leurs plaies avec un dévouement que rien ne lasse? Ne savez-vous pas que les âmes les plus grandes et les plus for tes sous certains rapports, sont souvent les plus petites et les plus faibles sous d'autres rapports, et que ces âmes ont encore plus besoin que les autres d'une main élevée et énergique pour les conduire sûrement dans les sentiers si difficiles de la vie ? Que dis-je? Le génie lui-même n'est souvent qu'un géant qui marche la tête dans les cieux et les pieds sur le bord des abîmes. Il pénètre les secrets de la Divinité, mais il ignore ce qui se passe parmi les enfants des hommes. Il a donc souvent besoin, lui aussi, d'une voix également amie et imposante qui lui crie à chaque instant : « Prends garde ! » d'un lieu de complète sûreté où il puisse à l'aise poursuivre jusqu'à la fin ses profondes méditations.

Vous prétendez que l'homine devenu grand se suffit bien à lui-même.

Dans le cours ordinaire des choses, j'en conviens, mais vous devez convenir de votre côté que dans certains cas l'union, la vie de famille lui devient absolument nécessaire, ou du moins très-utile; vous devez convenir également que cette union, cette vie de famille le sert admirablement encore dans les autres cas où il pourrait, rigoureusement parlant, suffire à tous ses besoins et à tous ses devoirs. Car, je vous le demande, cet homme que nous supposons dans toute sa force, dans son indépendance parfaite, qu'est-il seul au sein de cette nature incommensurable dont il se trouve pourtant la plus noble partie. Qu'est-ce, je vous le répète, que ce roseau pensant, ce grain de sable animé, abandonné à lui-même sur ce globe immense dont il fut créé roi, qu'il doit dominer, régir, perfectionner, au-dessus duquel il doit s'élever en faisant la conquête des cieux ? Ah! rien, moins que rien, une amère dérision. Mais au lieu de considérer l'homme dans un complet isolement, supposez-le, au contraire, dans une intime union avec un certain nombre d'autres hommes; supposez également à cette union toute la force que la nature et la religion doivent lui communiquer simultanément en donnant à celui qui commande le titre de père spirituel, et à ceux qui obéissent celui de frères en Jésus-Christ, cet être si petit et si faible n'est plus ce qu'il était précédemment, mais il est en état désormais de faire tout ce que vous pourrez imaginer de plus difficile et de plus grand.

Vous avez prétendu encore que, dans cette réunion nombreuse et compacte que suppose ordinairement une abbaye, les mœurs pouvaient facilement se détériorer et se corrompre, au lieu de se purifier et de se sanctifler.

Mais c'est là l'abus de la chose, et non la chose elle-même. Or, comme nous l'avons reconuu déjà, il y a abus partout en ce monde,

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