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tuité de l'Eglise au milieu des déplacements et des ruines de toutes choses ici-bas; elle ressemble à ces antiques monuments de l'Egypte, dont l'Arabe vagabond, qui plante le soir à l'abri de leur masse immobile la tente qu'il enlèvera le matin, essaye de détacher en passant quelques pierres. Fatigué bientôt d'un travail sans fruit, il s'enfonce et disparaît dans des solitudes inconnues. » (Essai sur l'indifférence.)

Mais, en supposant qu'ils pussent mettre à exécution leurs pernicieux desseins, qu'aurons-nous à la place de la religion détruite? Car il faut à l'homme une religion. Tous le reconnaissent, tous le proclament hautement. Jamais société ne fut fondée que la religion ne lui servît de base. Jamais société ne subsista ni ne subsistera jamais sans être soutenue par la religion. Le faible en a besoin pour le défendre et le fort pour le contenir, le malheureux pour le consoler, l'heureux pour l'empêcher d'abuser de son bonheur. Tous en ont besoin, en un mot, pour les rattacher entre eux par la charité, et au Créateur de toutes choses par la piété. Si donc l'Eglise catholique vient à disparaître, par quoi sera-t-elle remplacée ?

Il faut bien qu'elle passe, avez-vous dit, comme ont passé avant elle toutes les religions qui l'ont précédée, pour faire place, à son tour, à une religion nouvelle.

Cette phrase qu'on entend répéter partout aujourd'hui, qu'on trouve même dans les livres des philosophes, où elle a pris naissance, et d'où elle s'est répandue dans le public, cette phrase, dis-je, renferme encore plus d'absurdités que de mots, et doit exciter la risée du plus simple villageois suffisamment instruit de sa religion.

Vous annoncez une religion nouvelle; mais pourquoi faire? et que viendra-t-elle enseigner aux hommes que l'Eglise catholique ne le fasse aussi bien, infiniment mieux qu'elle encore? Ecoutez le religieux Pellico répondant, dans le calmne des passions, à cette objection qui avait assailli sa foi au milieu du monde, et qui venait l'assaillir encore au fond de sa prison. « Si Dieu existe, » disait il, une conséquence nécessaire de sa justice, c'est une autre vie pour l'homme qui souffre dans un monde si injuste. De là la grande nécessité d'aspirer aux biens de cette seconde vie; de là un culte d'amour de Dieu et du prochain, une aspiration perpétuelle de l'âme à s'ennoblir par de généreux sacrifices. Et qu'est-ce donc que le christianisme, si ce n'est cette aspiration perpétuelle à s'ennoblir? Je m'étonne que l'essence du chrishanisme étant si pure, si philosophique, si inattaquable, il soit venu cependant une époque où la philosophie osât dire: C'est à moi désormais à remplir sa place. De quelle manière rempliras-tu sa place? En enseignant le vice? Non, certes. En enseignant la Tertu? Eh bien! ce sera l'amour de Dieu et du prochain; ce sera précisément ce que le christianisme enseigne.» ( Mémoires de Silvio PELLICO)

Vous aunoncez une religion nouvelle, la

religion de l'avenir, comme vous l'appelez encore. Mais, en attendant qu'elle se soit établie, quelle est donc celle qui doit nous régir? car il nous en faut une absolument, comme nous l'avons montré plus haut, et comme chacun d'ailleurs doit le reconnaître sans qu'il soit nécessaire de le lui démontrer. Pourquoi délaisser celle qui existe et qui est si propre à faire le bonheur et la gloire des homines? Pourquoi en détacher les autres? Pourquoi surtout diriger contre elle, à chaque instant et de toutes manières, les attaques les plus injustes et les plus violentes? Et quand elle se sera établie un instant sur la terre, je suppose, grâce à l'inconstance et à toutes les passions des hommes, quelle sera son autorité sur eux? Qu'en penseront-ils ? qu'en devons-nous penser dès aujourd'hui ? « Vous n'êtes que d'hier! >> disait autrefois Tertullien à toutes les sectes qui pullulaient autour de l'Eglise catholique, toujours subsistante au milieu de toutes les vicissitudes de l'erreur, et cette parole foudroyante suffisait pour les terrasser : « Quoi!» pourrions-nous dire à la religion de l'avenir, « quoi! vous n'existez pas encore, et vous prétendez régir le monde ! »

Vous annoncez sa prochaine arrivée; mais quelle preuve en avez-vous ? D'où vient-elle ? Qui l'établira? - L'homme, me direz-vous peut-être. Quoi! l'homme! Mais c'est un être faible, sujet à l'erreur, trompeur, inconstant, sans autorité sur ses semblables. Tout ce qui vient de lui, par conséquent, est sans aucune valeur, sans autorité, sans consistance. Voilà pourquoi toutes les religions dont vous parlez, et auxquelles vous assimilez faussement l'Eglise catholique, ont passé si rapidement sur la terre, et, dans leur court passage, ont rendu l'homme encore plus faible et plus malheureux qu'il n'eût été, abandonné à lui-même. Et parce que l'Eglise catholique dure depuis si longtemps, malgré les combats de tout genre que lui livrent à chaque instant ses innombrables ennemis, et parce qu'elle n'a jamais cessé et qu'elle ne cesse point encore de faire notre bonheur et notre force ici-bas, c'est une preuve qu'elle ne vient point de l'homme, et parce qu'elle ne vient point de lui, elle ne doit point non plus passer comme lui, ni comme tout ce qu'il établit sur la terre.

Si vous prétendez que votre religion nouvelle doit venir de Dieu, vous ne serez pas moins embarrassé de répondre à toutes les questions que j'ai à vous adresser dans cette nouvelle hypothèse. Qui vous a annoncé son arrivée prochaine, vous demanderai-je encore, et quels motifs pouvez-vous avoir d'y croire? Quelles preuves de sa divinité donnera-t-elle, à son arrivée, que l'Eglise catholique n'ait données avant elle? Etstelle ne peut en donner ni de plus nombreuses ni de plus convaincantes, pourquoi délaisserait-on celle qui est en possession de régir nos âmes, pour s'attacher à celle qui nous est inconnue? Pourquoi Dieu voudrait-il l'établir, et pourquoi si tard? Ou elle est néces

saire, ou non. Si elle n'est pas nécessaire, pourquoi l'établir? je le répète. Si elle est nécessaire, pourquoi ne l'avoir pas établie plus tôt? Pourquoi n'a-t-elle pas toujours existé, comme le christianisme, pour donner à tous les hommes sans exception, les moyens de faire leur salut? Car, lorsque vous parlez des religions qui ont précédé la nôtre, vous faites une fausse supposition, et, lors que nous disons que l'Eglise catholique dure depuis bientôt deux mille ans, nous n'entendons que le développement, annoncé du reste dès le commencement, qui lui a été donné à la venue de Jésus-Christ sur la terre. Quant à son essence, c'est la manifestation de la vérité, et la vérité, c'est Dieu lui-même, qui a tout précédé et dure éternellement. L'Eglise catholique, voyez-vous,

c'est, comme son nom même le dit,l'assemblée de tous les fidèles, rattachés à Dieu, qui les a créés, par Jésus-Christ leur rédempteur. Avant la rédemption, ils se rattachaient à Dieu au nom de celui qui devait les sauver; et, depuis la rédemption, ils se sont rattachés, ils se rattachent et se rattacheront toujours à Dieu par celui qui les a rachetés. C'est donc toujours le même lien sacré et par conséquent la même religion qui les unit entre eux et à Dieu. En quelques mots seulement et pour employer ici le langage des Ecritures, hier, aujourd'hui et dans tous les siècles, c'est-àdire toujours, telle est, comme celle de son divin chef, la durée incontestable, nécessaire de l'Eglise catholique. Jesus Christus heri, et hodie, ipse et in sæcula. (Hebr. xш,8.)

ENCENS.

Objections. Puisque vous dites que l'encens est un symbole de la prière, pourquoi en brûlez-vous devant les créatures? Les premiers Chrétiens regardaient cela comme un acte d'idolâtrie. Quoi qu'il en soit, le prêfre, qui nous prêche si bien la modestie, devrait avoir quelque honte à se faire encenser après avoir encensé son Dieu.

Réponse. C'est vrai, nous regardons gé néralement l'encens comme un symbole de la prière. La nature même de l'encens qui, jeté dans le feu, monte vers les cieux, comme la prière sortant d'un cœur embrasé d'amour, nous porte à penser ainsi, et nous y sommes autorisés par différents passages des livres saints, entre autres par ce passage tiré de l'Apocalypse de saint Jean : « Alors il vint un autre ange qui se tint devant l'autel, ayant un encensoir d'or, et on lui donna une grande quantité de parfums, afin qu'il offrit les prières de tous les saints sur l'autel d'or qui est devant le trône de Dieu. Et la fumée des parfums composés des prières des saints, s'élevant de la main de l'ange, monta devant Dieu » Data sunt illi incensa multa, ut daret de orationibus sanctorum... ascendit fumus de orationibus sanctorum,.. coram Deo. (Apoc. vIII, 3, 4.)

Mais l'encens a d'autres significations. C'est, par exemple, un témoignage de respect et d'amour, comme on le voit par l'usage qu'on en fait presque partout, et principalement en Orient. Voilà pourquoi nous en brûlons aussi devant les créatures, à qui nous n'adressons aucune prière. Du reste, alors même que, par là, nous entendrions les prières, il n'y aurait aucun mal, pourvu que nos prières ne leur fussent pas adressées comme à Dieu, premier auteur et souverain dispensateur de toutes choses.

Les premiers Chrétiens, dites-vous, regar

daient cela comme un acte d'idolâtrie.

Oui, à cause des idées alors dominantes. C'était pour les païens un acte d'adoration; donc, d'idolâtrie, puisqu'ils adoraient les idoles; donc un acte tout naturellement réprouvé des Chrétiens. Voilà pourquoi les

apologistes du christianisme, comme Tertullien, Arnobe, Lactance, disaient aux païens: Nous ne brûlons point d'encens (comme vous, c'est-à-dire, et avec les mêmes intentions que vous). Tel est évidemment le sens de leurs paroles, comme on peut le voir par leurs écrits; et cela ressort, du reste, de la nature même des choses. Brûler de l'encens est un de ces actes qui n'ont de valeur que par l'intention qu'on a, en les faisant. D'où il suit que c'était un acte condamnable, dont il fallait s'abstenir avec soin, quand il avait la signification d'idolâtrie. D'où il suit encore que ce n'est plus un acte condamnable, mais bien un acte légitime et même louable, quand, au lieu d'avoir cette signification, il ne tend plus qu'à nous faire acquitter des devoirs que nous avons à remplir envers le Créateur comme envers les créatures.

Quoi qu'il en soit, ajoutez-vous, le prêtre qui nous prêche si bien la modestie, devrait avoir quelque honte de se faire encenser, après avoir encensé son Dieu.

Est-ce que cela vient de lui? C'est une partie du culte catholique, de ce culte si imposant, si touchant, si fécond en enseignements de tout genre.

Pourquoi d'ailleurs ne se ferait-il pas encenser? Le prêtre, à l'autel principalement, c'est le ministre de Dieu, le représentant de Jésus-Christ. D'où il suit que, dans ses idées comme dans celles des fidèles, l'encens brûlé devant lui, en apparence, est réellement brûlé devant Notre-Seigneur Jésus-Christ, devant le Très-Haut lui-même.

Nous avons reconnu, en outre, que l'encens pouvait aussi être brûlé devant la créature pourvu qu'on n'eût point intention de rendre à celle-ci l'honneur qui n'est da qu'au Créateur. Nous avons dit que c'était un témoignage de respect et d'amour qu'on pouvait donner aux hommes, en raison de leur position et de leur mérite personnel. Or, qui peut être, après Dieu, plus digne du respect et de l'amour des fidèles que le prétre, mais surtout que le prêtre dans l'église et à l'autel? Il est là avec son triple carac tère d'homme, de Chrétien, et cutin de prè

tre. Comme homme, il est la créature de Dieu, son image et sa ressemblance; comme Chrétien, il est le frère et le cohéritier de Jésus-Christ; comme prêtre, il est son délégué, un autre lui-même. Que de titres donc à notre respect et à notre amour; et, par conséquent, au témoignage public et religieux de ce respect et de cet amour!

Cet encensement, du reste, n'est pas pour lui un honneur seulement, c'est aussi un enseignement, et quel enseignement! C'est comme pour lui dire: Charge-toi de notre prière pour l'élever ensuite plus pure vers les cieux! A toi le tribut de notre respect et de notre amour, pour que de ton cœur il monte ensuite plus digne jusqu'à Dieu ! De même que cet encens, brûlé par le feu, monte en haut au lieu de descendre vers la terre, et se dérobe ainsi aux regards des mortels de même tes pensées, les sentiments, tout ton être, consumé par l'amour, doit s'élever en haut, au lieu de s'attacher à la terre, et retourner ainsi à sa source, qui est Dieu.

Voilà pourquoi cet encencement (qu'on ne comprend pas toujours), devant les employés inférieurs de l'Eglise. C'est sans doute,

jusqu'à un certain point, un honneur rendu à la place qu'ils occupent et aux fonctions qu'ils remplissent, mais c'est bien plutôt aussi un enseignement. C'est pour leur dire de se détacher de plus en plus des sens, dans lesquels ils ne demeurent habituellement que trop ensevelis, pour se rapprocher de la nature des esprits avec lesquels ils rendent gloire à Dieu et chantent ses louanges.

Voilà pourquoi encore cet encensement jusque devant les corps de ceux que nous avons perdus. C'est pour dire à toute l'assemblée des fidèles : Ces corps ont été, de leur vivant, les temples du Saint-Esprit : donc, nous ne devons point cesser de les honorer. Il y a en chacun d'eux une semence d'immortalité. Donc, par nos prières, dont cet encens est le symbole, donc, par toutes les bonnes œuvres que la religion nous donne la facilité de faire à leur intention, nous devons les embaumer, en quelque sorte, pour les préserver d'une entière corruption, féconder cette divine semence, pour qu'elle les fasse, un jour, sortir de terre, et les conduise glorieux devant le tribunal du souverain juge.

ENFER.

Objections. Il n'y a pas d'enfer. - C'est encore une invention des prêtres. Où serait-il, d'ailleurs, cet enfer? Les uns disent dans l'intérieur de la terre; mais on en aurait quelques preuves; et puis, quand le monde sera détruit, comme ils l'assurent, leur enfer le serait donc également? - Personne n'est revenu de par là pour nous dire ce qui s'y passe. L'enfer, c'est quand il n'y a pas d'argent à la maison. - J'admettrais encore volontiers certaines expiations pour punir le crime; mais l'enfer tel qu'on nous le peint est inadmissible. Qui pourQui pour rail tenir dans cette fournaise? Est-ce que le feu ne consumerait pas tout promptement? Est-ce qu'il ne finirait pas par se consumer lui-même? L'éternité des peines est principalement incroyable. Comment croire, en effet, que Dieu, qui est la bonté même, veuille nous damner éternellement pour une faute qui n'aura duré peut-être qu'un instant?

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Réponse.-Vous dites qu'il n'y a pas d'enfer. En êtes-vous bien sûr? Non, certainement. Quelque effort que vous fassiez, vous ne sauriez aller au delà du doute sur ce point. Vous trouvez, en vous et hors de vous, trop de preuves de l'existence de l'enfer, pour demeurer convaincu qu'il n'y en a point. Ainsi, quand vous dites: Il n'y a pas d'enfer, cela veut dire simplement, n'estce pas, Je désire qu'il n'y ait point d'enfer, je voudrais bien qu'il n'y eût pas d'enfer, mais... Mais vous n'en êtes pas sûr; et, si vous vous êtes trompé, comme vous devez le craindre, quelque assurance que vous affectiez, puisque tout est contre vous t cela, ainsi que je le disais tout à l'heure,

et que je vous le prouverai bientôt, à quel épouvantable avenir vous vous exposez. Vous n'y pensez donc point? Vous pouvez donc reposer tranquille un jour, une heure, une minute seulement, dans la position où Vous vous trouvez? Ah! si vous étiez, en ce moment, sur le penchant d'une haute montagne, où vous ne tiendriez que par un fil, lequel fil même menacerait à chaque instant de se rompre, quelle ne serait pas votre inquiétude ! Vous regarderiez attentivement à vos pieds, et si ce que vous auriez découvert vous-même, si ce qui vous aurait été rapporté par d'autres mieux à portée que vous de connaître l'état des choses, si tout vous donnait à penser qu'à vos pieds est un abîme sans fond comme sans rivages, vous vous garderiez bien de vous endormir, vous vous garderiez bien surtout de vous abandonner à l'aveuglement et à l'égarement des passions; mais vous feriez, au contraire, tous vos efforts pour vous élever, quoi qu'il pût vous en coûter, au sommet de la montagne, où vous seriez assuré de votre salut.

Voilà votre situation, ou plutôt voilà l'image affaiblie de votre propre situation. Cette montagne, c'est le monde. Vous n'y tenez que par la vie; et cette vie n'est, en réalité, qu'un fil qui menace à chaque instant de se rompre, mais qui se rompra certainement au moment même où vous vous y attendrez le moins. Où irez-vous, en tombant? Regardez vous-même à vos pieds, interrogez vos semblables, ceux surtout qui sont le mieux à portée de connaître l'état des choses, et tous vous diront, et vous aurez bien de la peine à ne pas le penser aussi vous-même, qu'il y a réellement à vos pieds un abime sans fond comme sans rivages.

Et vous vous endormiriez! et vous vous abandonneriez sans crainte à l'aveuglement et à l'égarement des plus violentes et des plus coupables passions! Et vous ne feriez pas tous vos efforts pour vous élever, quoi qu'il pût vous en coûter, au ciel, où le bonheur vous serait assuré! Mais c'est plus que de la folie; car le fou, lui aussi, s'attache, de toutes ses forces, à l'existence et au bienêtre; c'est de la monstruosité, et même la plus incompréhensible de toutes les monstruosités.

Ecoutons une haute raison, stigmatisant en termes énergiques la conduite de ceux qui s'endorment ainsi dans le doute de leurs fins dernières.

« L'immortalité de l'âme est une chose qui nous importe si fort, et qui nous touche si profondément, qu'il faut avoir perdu tout sentiment pour être dans l'indifférence de savoir ce qui en est. Toutes nos actions et toutes nos pensées doivent prendre des routes si différentes selon qu'il y aura des biens éternels à espérer ou non, qu'il est impossible de faire une démarche avec ou sans jugement, qu'en la réglant par la vue de ce point qui doit être notre dernier objet.

« Ainsi, notre premier intérêt et notre premier devoir est de nous éclairer sur le sujet d'où dépend toute notre conduite. Et c'est pourquoi parmi ceux qui n'en sont pas persuadés, je fais une extrême différence entre ceux qui travaillent de toutes leurs forces à s'en instruire, et ceux qui vivent sans s'en mettre en peine et sans y penser.

« Je ne puis avoir que de la compassion pour ceux qui gémissent sincèrement dans ce doute, qui le regardent comme le dernier des malheurs, et qui n'épargnant rien pour en sortir, font de cette recherche leur principale et leur plus sérieuse occupation. Mais pour ceux qui passent leur vie sans penser à cette dernière fin de la vie, et qui, par cela même qu'ils ne trouvent pas en eux-mêmes des lumières qui les persuadent, négligent d'en chercher ailleurs, et d'examiner à fond si cette opinion est de celles que le peuple reçoit par une simplicité crédule, ou de celles qui, quoique obscures d'elles-mêmes, ont néanmoins un fondement très-solide, je les considère d'une manière toute différente. Cette négligence en une affaire où il s'agit d'eux-mêmes, de leur éternité, de leur tout, m'irrite plus qu'elle ne m'attendrit; elle m'étonne et m'épouvante; c'est un monstre pour moi. Je ne dis pas ceci par le zèle pieux d'une dévotion spirituelle. Je prétends, au contraire, que l'amour-propre, que l'intérêt humain, que la plus simple lumière de la raison nous doit donner ces sentiments. Il ne faut voir pour cela que ce que voient les personnes les

moins éclairées.

Il ne faut point avoir l'âme fort élevée pour comprendre qu'il n'y a point ici de satisfaction véritable et solide, que tous nos plaisirs ne sont que vanité, que nos maux sont infinis, et qu'enfin la mort qui nous menace à chaque instant nous doit mettre,

dans peu d'années, et peut-être même en peu de jours, dans un état éternel de bonheur, ou de malheur, ou d'anéantissement. Entre nous et le ciel et l'enfer, ou le néant, il n'y a donc que cette vie, qui est la chose du monde la plus fragile; et le ciel n'étant pas certainement pour ceux qui doutent si leur âme est immortelle, ils n'ont à attendre que l'enfer ou le néant.

« Il n'y a rien de plus réel que cela ni de plus terrible. Faisons tant que nous voudrons les braves, voilà, la fin qui attend la plus belle vie du monde.

« C'est en vain qu'ils détournent leur persée de cette éternité, qui les attend, comme s'ils la pouvaient anéantir en n'y pensant point. Elle subsiste malgré eux; elle s'avance, et la mort qui la doit ouvrir les mettra infailliblement dans peu de temps dans l'horrible nécessité d'être éternellement on anéantis, ou malheureux.

« Voilà un doute d'une terrible conséquence, et c'est déjà assurément un trèsgrand mal que d'être dans ce doute; mais c'est au moins un devoir indispensable de chercher quand on y est. Ainsi, celui qui doute et qui ne cherche pas, est tout ensemble et bien injuste et bien malheureux. Que s'il est avec cela tranquille et satisfait, qu'il en fasse profession, et enfin qu'il en fasse vanité, et que ce soit de cet état même qu'il fasse le sujet de sa joie et de sa vanité, je n'ai point de termes pour qualifier une si extravagante créature.

« Qù peut-on prendre ces sentiments? Quel sujet de joie trouve-t-on à n'attendre plus que des misères sans ressource? Quel sujet de vanité de se voir dans des obscurités impénétrables? Quelle consolation de n'attendre jamais de consolateur?

« Ce repos dans cette ignorance est une chose monstrueuse, et dont il faut faire sentir l'extravagance et la stupidité à ceux qui y passent leur vie, en leur représentant ce qui se passe en eux-mêmes, pour les confondre par la vue de leur folie. Car voici comment raisonnent les grands hommes quand ils choisissent de vivre dans cette ignorance de ce qu'ils sont et sans en rechercher d'éclaircissement;

« Je ne sais qui m'a mis au monde, ni ce que c'est que le monde, ni que moi-même. Je suis dans une ignorance terrible de tou tes choses. Je ne sais ce que c'est que mon corps, que mes sens, que mon âme; et cette partie même de moi qui pense ce que je dis, et qui fait réflexion sur tout et sur ellemême, ne se connaît non plus que le reste. Je vois ces effroyables espaces de l'univers qui m'enferment, et je me trouve attaché à un coin de cette vaste étendue, sans savoir pourquoi je suis plutôt placé à ce lieu qu'en un autre, ni pourquoi ce peu de temps qui m'est donné à vivre m'est assigné à ce point plutôt qu'à un autre de toute l'éternité qui m'a précédé, et de toute l'éternité qui me suit. Je ne vois que des infinités de toutes parts qui m'engloutissent comme un atome, et comme une ombre qui ne dure qu'un ins

taut sans retour. Tout ce que je connais, c'est que je dois bientôt mourir; mais ce que j'ignore le plus, c'est cette mort même que je ne saurais éviter.

Comme je ne sais d'où je viens, aussi je ne sais où je vas; et je sais seulement qu'en sortant de ce monde je tombe pour jamais ou dans le néant, ou dans les mains J'un Dieu irrité, sans savoir à laquelle de ces deux conditions je dois être éternellement en partage.

Voilà mon état plein de misère, de faiblesse et d'obscurité. Et de tout cela je conclus que je dois donc passer tous les jours de ma vie sans songer à ce qui me doit arriver, et que je n'ai qu'à suivre mes inclinations sans réflexion et sans inquiétude, en faisant tout ce qu'il faut pour tomber dans le malheur éternel au cas que ce qu'on en dit soit véritable. Peut-être que je pourrais trouver quelque éclaircissement dans mes doutes, mais je n'en veux pas prendre la peine, ni faire un pas pour le chercher; et en.traitant avec mépris ceux qui se travailleraient de ce soin, je veux aller sans prévoyance et sans crainte tenter un si grand événement, et me laisser mollement conduire à la mort dans l'incertitude de l'éternité de ma condamnation future.» (Pensées de PASCAL.)

Si nous nous sommes arrêté à ces réflexions, c'est que nous sommes convaincu que tel est l'état réel de ceux qui contestent l'existence de l'enfer. Nul, pensons-nous, ne saurait la nier absolument; mais ils la révoquent en doute: Est-ce bien vrai qu'il y ait un enfer? demandent-ils; et, sans attendre la réponse, qui ne serait peut-être pas telle qu'ils la désirent, ils parlent et agissent comme s'il n'y en avait pas.

Il n'y a point d'enfer, dites-vous.

Mais pourquoi donc tous les hommes nous affirment-ils unanimement qu'il y en a un? pourquoi la raison nous le dit-elle également, quand nous la consultons dans le silence des passions? pourquoi Dieu, dans sa bonté, en a-t-il mis en chacun de nous le pressentiment, pour nous rappeler de temps en temps cette utile vérité dans le cours de notre vie, et pour nous la rappeler surtout au moment de notre mort, à cette heure dé cisive de notre éternelle destinée?

Vous êtes Catholique, je suppose, du moins de nom; vous appartenez, ou vous êtes censé appartenir à cette religion la plus sainte et ia plus répandue, la plus divine et la plus humaine, par conséquent, qu'il y ait sur la lerre. Vous ne voulez pas croire à l'existence de l'enfer; ou plutôt ce n'est pas vous qui rejetez cette utile et incontestable vérité, c'est la passion qui, en ce moment, vous doine et vous aveugle. Vous avez fait comme le malheureux qui veut se noyer. Vous vous Fles bandé les yeux, et vous vous êtes dit: C'est bon, je n'aperçois rien. Insensé! ne réfléchissez pas que le danger n'existe pas moins, et qu'il n'est même que plus redoutable, parce que vous ne l'apercevez plus. Voulez-vous savoir ce qu'il en est? Inlerrogez d'abord ceux qui vous environnent,

et qui ont été, en général, élevés dans la même communion que vous. Faites-leur à tous cette question : L'abîme que je n'aperçois point existe-t-il réellement? y a-t-il un enfer? Et tous, grands et petits, savants et ignorants, riches et pauvres, hommes et femmes, vertueux et vicieux, tous, excepté ceux qui se trouveront dans la même position que vous, c'est-à-dire qui redoutant trop l'enfer, fermeront les yeux pour ne pas l'apercevoir; tous, dis-je, vous répondront unanimement: Oui, il y a un enfer, et il est impossible de ne pas le reconnaître.

Ils ont tous été élevés de même, allez-vous dire peut-être. Ils répètent ce qu'on leur a enseigné.

Eh bien ! consultez ceux dont la croyance diffère de la nôtre, en certains points. Interrogez, par exemple, les protestants, ces sectes innombrables qui, dans tous les temps et dans tous les lieux, se sont séparées du centre de l'unité de l'Eglise principale, et faitesleur la même question: Y a-t-il un enfer?-Oui, vous répondent-ils encore unanimement, il y a un enfer, et il est impossible de ne pas le reconnaître. Chose singulière ! presque toutes les vérités du christianisme ont été niées tour à tour par quelque hérétique; celle-ci nous semble avoir toujours été respectée, quelque gênante qu'elle soit; tant Dieu l'a solidement établie au fond de sa religion, comme sanction indispensable de sa loi.

Vous allez dire peut-être encore: Les protestants, tous les hérétiques sont aussi des Chrétiens. Il n'est donc point étonnant qu'ils parlent là-dessus comme les Catholiques. Ils répètent, eux aussi, ce qui a été dit dès le

commencement.

Oui, vous avez raison, «ce qui a été dit dès le commencement,» ce qu'a dit Jésus-Christ, Dieu, par conséquent, donc la vérité. Mais ne perdons point de vue la preuve que nous développons en ce moment, celle qui résulte du consentement unanime des hommes. Vous dites que le témoignage de tous les Chrétiens vous est encore suspect. Interrogez dono les Juifs, dépositaires de la vraie religion, avant la venue du Messie, les mahométans, qui occupent aujourd'hui la plus grande étendue de terrain, après le christianisme, les païens qui couvraient la terre autrefois, et qui en occupent encore aujourd'hui une grande partie, interrogez ceux même qui n'ont aucun culte public, mais admettent pourtant une religion qu'ils appellent naturelle; et ils vous diront tous, unanimement, comme les Chrétiens: Oui, il y a un enfer; et il est impossible de ne pas le reconnaître,

Et vous osez seul soutenir que cela n'est pas? et vous ne craignez pas d'opposer à cet irrécusable témoignage de tous les peuples la parole suspecte de quelques hommes dans la même position que vous ? Permettez-moi de vous le dire : C'est par trop de déraison et d'impudence!

Mais, non, ce n'est pas vous qui niez l'existence de l'enfer. Je vous l'ai déjà dit, c'est la passion qui est en vous. Quant à vous,

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