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moi qui en ai renvoyé une de cinquante-cinq ans, parce que cela faisait jaser.

Victor. Non, Camille n'est pas ce que vous croyez; elle est chez elle.

Franval, (s'inclinant.) Ce serait madame votre epouse! combien je suis désolé! Aussi je me disais : il est impossible que des jeunes gens aussi sages, aussi rangés...

Victor. Vous ne vous trompiez pas, monsieur; nous sommes dignes de votre estime; et cependant, il faut vous l'avouer, Camille...

Franval. Achevez.

Camille. Est une jeune orpheline, élevée par eux, et qui ne connaît pas sur la terre d'autres parents ni d'autres amis. Franval. Qu'entends-je, mes amis ! quoi! vous pouvez rester ainsi ?

Camille. Et qui peut s'en offenser, qui peut blâmer mon amitié, ma reconnaissance? ne sont-ce pas mes frères, mon unique famille ?

Franval. D'accord, mon enfant. Mais songez donc que le monde...

Camille. Ce monde dont vous me parlez s'est-il jamais occupé de moi? m'aurait-il secourue ? m'aurait-il protégée ?

Franval.

Air: Le choix que fait tout le village.
Mes chers enfants, loin d'être rigoriste,
J'ai pour devise, indulgence et bonté ;
C'est malgré moi qu'ici je vous attriste,
Mais je vous dois d'abord la vérité :
L'opinion est un juge suprême
Dont les arrêts veulent être écoutés :

Et les premiers, respectez-la vous-même,

Si vous voulez en être respectés.

Victor. Oui, Camille, monsieur a raison; ou du moins il n'est qu'un seul moyen de ne pas nous séparer. (Avec émotion.) Auguste et Scipion vous aiment tous deux, et veulent vous prendre pour femme.

Camille, (à part.) Que dit-il? lui, Victor? (On sonne.) Auguste. Ah! mon Dieu! c'est Ducros.

Franval. Encore un convive?

Auguste. Ah! c'est Scipion.

SCÈNE XIII.

Les Précédents; Scipion.

Scipion, (hors de lui.) La victoire est à nous! mon cher professeur, mes freres, mes amis, embrassons-nous !

Tous. Qu'y a-t-il donc ?

Scipion. Embrassons-nous d'abord, je vous le dirai après. Je viens de chez mon malade.

Franval. Il est sauvé?

Scipion. Du tout; mais c'est en bon train, grâce à la confidence qu'il vient de me faire, et qui l'a soulagé plus que toutes les drogues de la Faculté. Ce M. de La Bernardière, cet homme si riche, ce nouveau parvenu, n'est autre que M. Bernard, le beau-frère de notre ancienne voisine, et l'oncle de Camille.

Camille. Que dites-vous ?

Scipion. Il ne peut plus vivre sans moi, et m'avait fait appeler. Quand je suis arrivé, il avait la fièvre, il était dans le délire; il demandait pardon à sa sœur qu'il avait repoussée, qu'il avait laissée mourir de misère. Ma vue et mes discours l'ont calmé, lui ont rafraichi le sang; et il n'a plus maintenant qu'un désir, c'est de revoir sa nièce, de l'adopter, de réparer ses torts. "Docteur, m'a-t-il dit, allez lui annoncer que, si je meurs, elle est ma seule héritière; et que, si j'en reviens,' elle a cent mille écus à offrir au mari qu'elle choisira. C'est dit, lui ai-je répondu; là-dessus, dormez tranquille, et dans une heure vous aurez de mes nouvelles." Camille, (passant à la droite de Scipion.) Je ne puis revenir encore de tout ce que j'apprends. Ah, Scipion! que ne vous dois-je pas?

Scipion. Ces titres-là ne sont rien, il en est d'autres que vous ignorez.

Auguste. Elle sait tout: Victor a parlé pour nous.
Scipion. Ce cher ami! Eh bien! Camille, prononcez.

Victor. Oui, je vous l'avais promis, et je tiens ma parole. Camille, il faut rompre le silence, prononce entre eux. (Camille baisse les yeux, et se tait. Victor reprend avec chaleur.) Maintenant, la reconnaissance t'en fait une loi; songe que te voilà riche: à qui de mes deux amis veux-tu donner cette fortune?

Camille. À vous trois.

Victor, (hésitant et détournant les yeux.) Et ta main?
Camille. À toi, Victor, si tu la veux.

Victor, (se jetant à genoux.) Dieu! qu'ai-je entendu !

Tous. Que dit-elle ?

Camille. Son secret et le mien; car je connaissais depuis longtemps cet amour qu'il espérait nous cacher.

1Si j'en reviens, si je recouvre la santé.

Scipion, (à Victor.)

Air: Ainsi que vous, mademoiselle.
Quoi tu l'aimais, sans vouloir nous le dire?

Victor.

Je vous dois trop, je voulais m'acquitter.

Scipion.

Un sacrifice aussi grand doit suffire.

Scipion et Auguste, (à Camille, en montrant Victor.)
Oui, c'est lui qui doit l'emporter.

Victor, (avec joie.)

Quoi! vous voulez...

(S'arrêtant.)

Je sais par ma souffrance

Ce qu'il en coûte, hélas! à votre cœur,

Et n'ose, par reconnaissance,

Vous laisser voir tout mon bonheur.

SCÈNE XIV.

Camille, Victor, Auguste, Ducros, Scipion, Franval.

Ducros. Vous voyez, mes amis, que je suis de parole; et, malgré ce que m'a dit mademoiselle Camille, je viens chercher mon enseigne ou mes deux cents francs de loyer.

Franval. Qu'est-ce que c'est ? vous ne payez pas votre terme ?

Scipion. Oui, quelquefois, par hasard.

Franval. Voyez-vous les gaillards? ils ne me disaient pas cela; monsieur, je suis leur caution; et j'ai sur moi une quinzaine de louis au service de mes jeunes amis,

Scipion. Merci, mon professeur, je vous reconnais bien là. Heureusement pour vous, nous voilà riches, et nous vous le rendrons. (A Ducros, lui donnant la bourse.) Tenez, farouche propriétaire, voilà le dernier argent que vous recevrez de nous, car demain nous déménageons.

Ducros. Vous nous quittez?

Scipion. Oui, mes amis, l'oncle de Camille, notre nouveau protecteur, nous offre chez lui, pour rien, un superbe appartement; et j'ai, sur-le-champ, passé bail sans vous consulter.

Ducros. Pour rien !

Auguste. Oui, monsieur Ducros; voilà un bel exemple à

suivre.

Ducros, (à part.) Diable! je suis fâché qu'ils s'en aillent, surtout à cause de la petite. (Donnant un papier à Auguste et à Victor.) Voici la quittance écrite, et signée de ma main.

Victor. Ah! mon Dieu! (Bas à Auguste.) Dis donc, c'est l'écriture de ce matin, la déclaration anonyme.

Ducros. J'espère du moins que j'aurai la pratique de ces messieurs, et surtout de madame, pour les bas, les mitaines, et tout ce qui concerne la bonneterie.

Victor, (qui a tiré la lettre de sa poche.) Non pas, nous nous fournirons ailleurs; j'ai accepté votre quittance, (lui rendant la lettre,) et vous donne congé.

Ducros. Dieu! mon épître de ce matin !

Victor. Que j'aurais dû remettre à madame Ducros.
Mais quand on est heureux, qu'on pardonne aisément !

Auguste. Allons, mes amis, ne parlons plus d'amour; ne pensons qu'à la gloire: rappelons-nous que nous devons remplacer un jour, (à Victor,) toi, Girodet, (à Scipion,) toi, Marjolin et Dupuytren, et moi, Boïeldieu. Je reprends ma lyre; toi, reprends tes pinceaux, et toi, retourne à tes malades.

Franval. Et tant que je serai là, il n'en manquera pas; car vous êtes de braves jeunes gens, de véritables artistes.

Scipion, (passant entre Auguste et Victor.) Mes amis, la fortune nous sourit ; le premier pas est fait, nous n'avons plus maintenant qu'à nous élancer dans la carrière; mais quand nous serons célèbres, quand notre réputation sera faite, quand tous trois, riches et contents, nous nous verrons dans un bel appartement doré, rappelons-nous toujours ces modestes lambris, et les difficultés qui entourèrent nos premiers pas. (A Victor.) Et quand un jeune peintre t'apportera sa première esquisse, (à Auguste,) quand un jeune musicien te montrera sa première partition; quand un jeune confrère viendra me consulter, encourageons leurs faibles essais; secourons-les de notre amitié, de notre bourse, de nos conseils ; et n'oublions jamais que ce qu'il y a pour eux de plus difficile au monde, c'est le premier pas dans la carrière.

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'Puis, le landau vous conduit jusqu'en Belgique. Allusion à ceux qui font banqueroute, et qui sont obligés de prendre la fuite, de crainte d'être arrêtés.

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