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térêt exclusivement dynastique, et quand ce gouvernement est tombé, nous avons déclaré persévérer plus énergiquement que jamais dans la politique de la paix.

Cette déclaration, nous la faisions, quand par la criminelle folie d'un homme et de ses conseillers nos armées étaient détruites; notre glorieux Bazaine et ses vaillants soldats bloqués devant Metz; Strasbourg, Toul, Phalsbourg écrasées par les bombes; l'ennemi victorieux en marche sur notre capitale. Jamais notre situation ne fut plus cruelle; elle n'inspira cependant au pays aucune pensée de défaillance, et nous crùmes être son interprète fidèle en posant nettement cette condition pas un pouce de territoire, pas une pierre de nos forteresses.

Si donc à ce moment où venait de s'accomplir un faitaussi considérable que celui du renversement du promoteur de la guerre, la Prusse avait voulu traiter sur les bases d'une indemnité à déterminer, la paix était faite; elle eût été accueillie comme un immense bienfait; elle fût devenue un gage certain de réconciliation entre deux nations qu'une politique odieuse seule а fatalement divisées.

Nous espérions que l'humanité et l'intérêt bien entendus remporteraient cette victoire, belle entre toutes, car elle aurait ouvert une ère nouvelle, et les hommes d'Etat qui y auraient attaché leur nom au. raient eu comme guide philosophie, la raison, la justice; comme récompense : les bénédictions et la prospérité des peuples.

la

C'est avec ces idées que j'ai entrepris la tâche périlleuse que vous m'aviez confiée. Je devais tout d'abord me rendre compte des dispositions des cabinets européens et chercher à me concilier leur appui. Le gouvernement impérial l'avait complétement négligé, ou y avait échoué. Il s'est engagé dans la guerre sans une alliance, sans une négociation sérieuse; tout, autour de lui, était hostilité ou indifférence; il recueillait ainsi le fruit amer d'une politique blessante pour chaque Etat voisin, par ses menaces ou ses prétentions.

".

A peine étions-nous à l'Hôtel-de-Ville qu'un diplomate dont il n'est point encore opportun de révéler le nom, nous demandait à entrer en relations avec nous. Dès le lendemain, votre ministre recevait les représentants de toutes les puissances. La République des Etats-Unis, la République helvétique, l'Italie, l'Espagne, le Portugal, reconnaissaient officiellement la République française.

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Les autres gouvernements autorisaient leurs agents à entretenir avec nous des rapports officieux, qui nous permettaient d'entrer de suite en pourparlers utiles.

Je donnerais à cet exposé, déjà trop étendu, un dévelop pement qu'il ne comporte pas, si je racontais avec détail la courte, mais instructive histoire des négociations qui ont suivi. Je crois pouvoir affirmer qu'elle ne sera pas tout à fait sans valeur pour notre crédit moral.

Je me borne a dire que nous avons trouvé partout d'honorables-sympathies. Mon but était de les grouper et de déterminer les puissances signataires de la ligue des neu

tres à intervenir directement
près de la Prusse en prenant
pour base les conditions que
j'avais posées. Quatre de ces
puissances me l'ont offert; je
leur en ai, au nom de mon

pays, témoigné ma gratitude,
mais je voulais le concours
des deux autres. L'une m'a
promis une action individuel-
le dont elle s'est réservé la
liberté; l'autre m'a proposé
d'être mon intermédiaire vis-
à-vis de la Prusse. Elle a même
fait un pas de plus sur les
instances de l'envoyé extraor
dinaire de la France, elle a

bien voulu recommander di-
rectement mes démarches.
J'ai demandé beaucoup plus,
mais je n'ai refusé aucun con-
cours, estimant que l'intérêt
qu'on nous montrait était une
force à ne pas négliger.

Cependant, le temps mar-
chait; chaque heure rappro-
chait l'ennemi. En proie à de
poignantes émotions, je m'é-
tais promis à moi-même de
ne pas laisser commencer le
siége de Paris sans essayer
une démarche suprême, fus-
sé-je seul à la faire. L'intérêt

n'a pas besoin d'en être dé-
montré. La Prusse gardait le
silence, et nul ne consentait à
l'interroger. Cette situation
était intenable; elle permet-
tait à notre ennemi de faire
peser sur nous la responsabi-
lité de la continuation de la
lutte; elle nous condamnait à
nous taire sur ses intentions.
Il fallait en sortir. Malgré ma
répugnance, je me détermi-
nai à user des bons offices qui
m'étaient offerts, et, le 10 sep-
tembre, un télégramme par-
venait à M. de Bismark, lui
démandant s'il voulait entrer
en conversation sur des con-
ditions de transaction. Une
première réponse était une
fin de non-recevoir tirée de
l'irrégularité de notre gou-
vernement. Toutefois, le chan-
celier de la Confédération du
Nord n'insista pas, et me fit
demander quelles garanties

nous présentions pour l'exé-
cution d'un traité. Cette se-
conde difficulté levée par
moi, il fallait aller plus
loin.

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L'ILLUSTRATION, JOURNAL UNIVERsel

LE SIEGE DE PARIS. Un convoi de déserteurs conduits à la place par les gardes nationaux, après l'affaire de Châtillon.

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On me proposa d'envoyer un courrier, ce que j'acceptai. En même temps, on télégraphiait directement à M. de Bismark, et le premier ministre de la puissance qui nous servait d'intermédiaire disait à notre envoyé extraordinaire que la France seule pouvait agir; il ajoutait qu'il serait à désirer que je ne reculasse pas devant une démarche au quartier général. Notre envoyé, qui connaissait le fond de mon cœur, répondit, que j'étais prêt à tous les sacrifices pour faire mon devoir, qu'il y en avait peu d'aussi pénibles que d'aller au travers des lignes ennemies chercher notre vainqueur, mais qu'il supposait que je m'y résignerais. Deux jours après, le courrier revenait. Après mille obstacles, il avait vu le chancelier, qui lui avait dit être disposé volontiers à

causer avec moi.

J'aurais voulu une réponse directe au télégramme de notre intermédiaire, elle se faisait attendre. L'investissement de Paris s'achevait. Il n'y avait plus à hésiter, je me résolus à partir. Seulement, il m'importait que pendant qu'elle s'accomplissait, cette démarche fût ignorée; je recommandai le secret, et j'ai été douloureusement surpris en rentrant hier soir d'apprendre qu'il n'a pas été gardé : une indiscrétion coupable a été commise. Un journal, l'Electeur libre, déjà désavoué par le Gouveruement, en a profité; une enquête est ouverte, et j'espère pouvoir réprimer

ce double abus.

Nous étions séparés par une distance de 48 kilomètres. Le lendemain matin, à six heures, je recevais la réponse que je transcris:

<< Meaux, 18 septembre 1870.

« Je viens de recevoir la lettre que Votre Excellence a eu l'obligcance de m'écrire, et ce me sera extrêmement agréable, si vous voulez bien me faire l'honneur de venir me voir, demain, ici à Meaux.

Le porteur de la présente, le prince Biren, veillera à ce que Votre Excellence soit guidée à travers nos lignes.

« J'ai l'honneur d'être, avec la plus haute considération, de Votre Excellence, le très-obéissant serviteur,

« DE BISMARK. »

A neuf heures, l'escorte était prête, et je partais avec elle. Arrivé près de Meaux vers trois heures de l'après-midi, j'étais arrêté par un aide de camp venant m'annoncer que le comte avait quitté Meaux avec le roi pour aller coucher à Ferrières. Nous nous étions croisés en revenant l'un et l'autre sur nos pas, nous devions nous

rencontrer.

Je rebroussai chemin, et descendis dans la cour d'une ferme entièrement saccagée, comme presque toutes les maisons que j'ai vues sur ma route. Au bout d'une heure, M. de Bismark m'y rejoignit. Il nous était difficile de causer dans un tel lieu. Une habitation, le château de la HauteMaison, appartenant à M. le comte de Rillac, était à notre proximité; nous nous y rendimes. Et la conversation s'engagea dans un salon où gisaient en désordre des débris de toute nature.

Cette conversation, je voudrais vous la rapporter tout entière, telle que le lendemain je l'ai dictée à un secrétaire. Chaque détail y a son importance. Je ne puis ici que l'analyser.

J'avais poussé si loin le scrupule de la discrétion, que je l'ai observée même vis-à-vis de vous, mes chers collègues. Je ne m'y suis pas résolu sans un vif déplaisir. Mais je connaissais votre patriotisme et votre affection; j'étais sûr d'être absous. Je croyais obéir à une nécessité impérieuse. Une première fois je vous avais entretenus des agitations de ma conscience, et je vous avais dit qu'elle ne serait en repos que lorsque j'aurais fait tout ce qui était humainement possible pour arrêter honorablement cette abominable guerre. Me rappelant la conversation proJ'ai tout d'abord précisé le but de ma démarche. voquée par cette ouverture, je redoutais des ob- Ayant fait connaître par ma circulaire les intenjections, et j'étais décidé; d'ailleurs, je voutions du Gouvernement français, je voulais salais, en abordant M. de Bismark, être libre de voir celles du ministre prussien. Il me semblait tout engagement, afin d'avoir le droit de n'en inadmissible que deux nations continuassent, sans prendre aucun. Je vous fais ces aveux sincères, s'expliquer préalablement, une guerre terrible je les fais au pays pour écarter de vous une resqui, malgré ses avantages, infligeait au vainqueur ponsabilité que j'assume seul. Si ma démarche des souffrances profondes. Née du pouvoir d'un est une faute, seul j'en dois porter la peine. seul, cette guerre n'avait plus de raison d'être J'avais cependant averti M. le ministre de la quand la France redevenait maîtresse d'elle-même; guerre, qui avait bien voulu me donner un offi-je me portais garant de son amour pour la paix, cier pour me conduire aux avant-postes. Nous ignorions la situation du quartier général. On le supposait à Grosbois. Nous nous acheminâmes vers l'ennemi par la porte de Charenton.

Je supprime tous les détails de ce douloureux voyage, pleins d'intérêt cependant, mais qui ne seraient point ici à leur place. Conduit à Villeneuve-Saint-Georges, où se trouvait le général en chef commandant le 6 corps, j'appris assez tard dans l'après midi que le quartier général était à Meaux. Le général, des procédés duquel je n'ai qu'à me louer, me proposa d'y envoyer un officier porteur de la lettre suivante, que j'avais préparée pour M. de Bismark:

"

« Monsieur le comte,

« J'ai toujours cru qu'avant d'engager sérieusement les hostilités sous les murs de Paris, il était impossible qu'une transaction honorable ne fût pas essayée. La personne qui a eu l'honneur de voir Votre Excellence, il y a deux jours, m'a dit avoir recueilli de sa bouche l'expression d'un désir analogue. Je suis venu aux avant-postes me mettre à la disposition de Votre Excellence. J'attends qu'elle veuille bien me faire savoir comment et où je pourrai avoir l'honneur de conférer quelques instants avec elle.

en même temps de sa résolution inébranlable de
n'accepter aucune condition qui ferait de cette
paix une courte et menaçante trève.

M. de Bismark m'a répondu que, s'il avait la
conviction qu'une pareille paix fût possible, il la
signerait de suite. Il a reconnu que l'opposition
avait toujours condamné la guerre. Mais le pou-
voir que représente aujourd'hui cette opposition
est plus que précaire. Si dans quelques jours Paris
n'est pas pris, il sera renversé par la populace....

Je l'ai interrompu vivement pour lui dire que nous n'avions pas de populace à Paris, mais une population intelligente, dévouée, qui connaissait nos intentions, et qui ne se ferait pas complice de l'ennemi en entravant notre mission de défense. Quant à notre pouvoir, nous étions prêts à le déposer entre les mains de l'Assemblée déjà convoquée par nous.

« Cette Assemblée, a repris le comte, aura des
desseins que rien ne peut nous faire pressentir.
Mais si elle obéit au sentiment français, elle vou-
dra la guerre. Vous n'oublierez pas plus la capi-
tulation de Sedan que Waterloo, que Sadowa qui
ne vous regardait pas. » Puis il a insisté longue-
ment sur la volonté bien arrêtée de la nation

française d'attaquer l'Allemagne et de lui enlever
une partie de son territoire. Depuis Louis XIV
jusqu'à Napoléon III, ses tendances n'ont pas

« J'ai l'honneur d'être, avec une haute consi- changé, et quand la guerre a été annoncée, le dération,

« De Votre Excellence,
Le très-humble et très-obéissant serviteur,
« JULES FAVRE. »

18 septembre 1870.

Corps législatif a couvert les paroles du ministre
d'acclamations.

Je lui ai fait observer que la majorité du Corps
législatif avait, quelques semaines avant, acclamé
la paix; que cette majorité, choisie par le prince,

s'était malheureusement crue obligée de lui céder
aveuglément, mais que, consultée deux fois, aux
élections de 1869 et au vote du plébiscite, la na-
tion avait énergiquement adhéré à une politiqu
de paix et de liberté.

La conversation s'est prolongée sur ce sujet, le
comte maintenant son opinion, alors que je dé-
fendais la mienne; et comme je le pressais vive-
ment sur ses conditions,, il m'a répondu nette-
ment que la securité de son pays lui commandait
de garder le territoire qui la garantissait. Il m'a
répété plusieurs fois : « — Strasbourg est la clef
de la maison, je dois l'avoir. Je l'ai invité à
être plus explicite encore:
« C'est inutile,
objectait-il, puisque nous ne pouvons nous enten-
dre, c'est une affaire à régler plus tard. - Je l'ai
prié de le faire de suite; il m'a dit alors que les
deux départements du Bas et du Haut Rhin, une
partie de celui de la Moselle avec Metz, Château-
Salins et Soissons lui étaient indispensables, et
qu'il ne pouvait y renoncer.

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Je lui ai fait observer que l'assentiment des peuples dont il disposait ainsi était plus que douteux, et que le droit public européen ne lui permettait pas de s'en passer. « Si fait, m'a-t-il répondu. Je sais fort bien qu'ils ne veulent pas de nous. Ils nous imposeront une rude corvée. Je suis sûr que dans un temps prochain nous aurons une nouvelle guerre avec vous. Nous voulons la faire avec tous nos avantages. »>

Je me suis récrié, comme je le devais, contre de telles solutions. J'ai dit qu'on me paraissait oublier deux éléments importants de discussion: l'Europe d'abord, qui pourrait bien trouver ces prétentions exorbitantes et y mettre obstacle; le droit nouveau ensuite, le progrès des mœurs, entièrement antipathique à de telles exigences. J'ai ajouté que, quant à nous, nous ne les accepterions jamais. Nous pouvions périr comme nation, mais non nous déshonorer; d'ailleurs, le pays seul était compétent pour se prononcer sur une cession territoriale. Nous ne doutons pas de son sentiment, mais nous voulons le consulter. C'est donc vis-à-vis de lui que se trouve la Prusse. Et, pour être net, il est clair qu'entraînée par l'enivrement de la victoire, elle veut la destruction de la France.

Le comte a protesté, se retranchant toujours derrière des nécessités absolues de garantie nationale. J'ai poursuivi : « Si ce n'est pas de votre part un abus de la force, cachant de secrets desseins, laissez-nous réunir l'Assemblée; nous lui remettrons nos pouvoirs; elle nommera unʻgouvernement définitif qui appréciera vos condi

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Voulant remplir ma mission jusqu'au bout, je
devais revenir sur plusieurs des questions que
nous avions traitées, et conclure. Aussi, en abor-
dant le comte vers neuf heures et demie du soir,
je lui fis observer que les renseignements que
j'étais venu chercher près de lui étant destinés à
être communiqués à mon gouvernement et au
public, je résumerais, en terminant, notre con-
versation pour n'en publier que ce qui serait bien
arrêté entre nous.
Ne prenez pas cette peine,
me répondit-il, je vous la livre tout entière, je
ne vois aucun inconvénient à sa divulgation.
Nous reprîmes alors la discussion, qui se prolon-
gea jusqu'à minuit. J'insistai particulièrement
sur la nécessité de convoquer une Assemblée. Le
comte parut se laisser peu à peu convaincre, et
revint à l'armistice. Je demandai quinze jours.
Nous discutâmes les conditions. Il ne s'en expli-
qua que d'une manière très-incomplète, se réser-
vant de consulter le roi. En conséquence, il m'a-
journa au lendemain, onze heures.

Je n'ai plus qu'un mot à dire; car, en repro

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Je Dan

duisant ce douloureux récit, mon cœur est agité de toutes les émotions qui l'ont torturé pendant ces trois mortelles journées, et j'ai hâte d'en finir. J'étais au château de Ferrières à onze heures. Le comte sortit de chez le roi à midi moins le quart, et j'entendis de lui les conditions qu'il mettait à l'armistice; elles étaient consignées dans un texte écrit en langue allemande et dont il m'a donné communication verbale.

Il demandait pour gage l'occupation de Strasbourg, de Toul et de Phalsbourg, et comme sur sa demande, j'avais dit la veille que l'Assemblée devait être réunie à Paris, il voulait dans ce cas avoir un fort dominant la ville... celui du mont Valérien, par exemple.

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Je l'ai interrompu pour lui dire : « Il est bien plus simple de nous demander Paris. Comment voulez-vous admettre qu'une Assemblée française délibère sous votre canon ! J'ai eu l'honneur de vous dire que je transmettrais fidèlement notre entretien au Gouvernement; je ne sais vraiment si j'oserai lui dire que vous m'avez fait une telle proposition. »

« Cherchons une autre combinaison, » m'a-t-il répondu. Je lui ai parlé de la réunion de l'Assemblée à Tours, en ne prenant aucun gage du côté de Paris.

Il m'a proposé d'en parler au roi, et, revenant sur l'occupation de Strasbourg, il a ajouté: « La ville va tomber entre nos mains, ce n'est plus qu'une affaire de calcul d'ingénieur. Aussi je vous demande que la garnison se rende prisonnière de guerre. »

:

A ces mots j'ai bondi de douleur, et, me levant, je me suis écrié : « Vous oubliez que vous parlez à un Français, monsieur le comte sacrifier une garnison héroïque qui fait notre admiration et celle du monde serait une lâcheté; et je ne vous promets pas de dire que vous m'avez posé une telle condition. »

Le comte m'a répondu qu'il n'avait pas l'intention de me blesser, qu'il se conformait aux lois de la guerre, qu'au surplus, si le roi y consentait, cet article pourrait être modifié.

Il est rentré au bout d'un quart d'heure. Le roi acceptait la combinaison de Tours, mais insistait pour que la garnison de Strasbourg fût prisonnière.

J'étais à bout de forces et craignis un instant de défaillir. Je me retournais pour dévorer les larmes qui m'étouffaient, et, m'excusant de cette faiblesse involontaire, je prenais congé par ces simples paroles :

« Je me suis trompé, monsieur le comte, en venant ici; je ne m'en repens pas, j'ai assez souffert pour m'excuser à mes propres yeux; d'ailleurs je n'ai cédé qu'au sentiment de mon devoir. Je reporterai à mon Gouvernement tout ce que vous m'avez dit, et s'il juge à propos de me renvoyer près de vous, quelque cruelle que soit cette démarche, j'aurai l'honneur de revenir. Je vous suis reconnaissant de la bienveillance que vous m'avez témoignée, mais je crains qu'il n'y ait plus qu'à laisser les événements s'accomplir. La population de Paris est courageuse et résolue aux derniers sacrifices; son héroïsme peut changer le cours des événements. Si vous avez l'honneur de la vaincre, vous ne la soumettrez pas. La nation tout entière est dans les mêmes sentiments. Tant que nous trouverons en elle un élément de résis

tance, nous vous combattrons. C'est une lutte indéfinie entre deux peuples qui devraient se tendre la main. J'avais espéré une autre solution. Je pars bien malheureux et néanmoins plein d'espoir.

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Je ne récrimine point. Je me borne à constater
les faits, à les signaler à mon pays et à l'Europe.
J'ai voulu ardemment la paix, je ne m'en cache
pas, et, en voyant pendant trois jours la misère
de nos campagnes infortunées, je sentais grandir
en moi cet amour avec une telle violence, que
j'étais forcé d'appeler tout mon courage à mon
aide pour ne pas faillir à ma tâche. J'ai désiré
non moins vivement un armistice, je l'avoue en-
core, je l'ai désiré, pour que la nation pût être
consultée sur la redoutable question que la fata-
lité pose devant nous.

Vous connaissez maintenant les conditions préalables qu'on prétend nous faire subir. Comme moi, et sans discussion, vous avez été unanimement d'avis qu'il fallait en repousser l'humiliation. J'ai la conviction profonde que, malgré les souffrances qu'elle endure et celles qu'elle prévoit, la France indignée partage notre résolution, et c'est de son cœur que j'ai cru m'inspirer en écrivant à M. de Bismark la dépêche suivante, qui clôt cette négociation :

"

« Monsieur le comte,

J'ai exposé fidèlement à mes collègues du Gou-
vernement de la défense nationale la déclaration
que Votre Excellence a bien voulu me faire. J'ai
le regret de faire connaître à Votre Excellence que
le Gouvernement n'a pu admettre vos proposi-
tions. Il accepterait un armistice ayant pour objet
l'élection et la réunion d'une Assemblée natio-
nale. Mais il ne peut souscrire aux conditions aux-
quelles Votre Excellence le subordonne. Quant à
moi, j'ai la conscience d'avoir tout fait pour que
l'effusion du sang cessât, et que la paix fût ren-
due à nos deux nations pour lesquelles elle serait
un grand bienfait. Je ne m'arrête qu'en face d'un
devoir impérieux, m'ordonnant de ne pas sacri-
fier l'honneur de mon pays déterminé à résister
énergiquement. Je m'associe sans réserve à son
vœu ainsi qu'à celui de mes collègues. Dieu, qui
nous juge, décidera de nos destinées. J'ai foi dans
sa justice.

« J'ai l'honneur d'être, monsieur le comte,
De Votre Excellence,

« Le très-humble et très-obéissant serviteur.
« JULES FAVRE.

21 septembre 1870. »

J'ai fini, mes chers collègues, et vous penserez comme moi que, si j'ai échoué, ma mission n'aura pas été cependant tout à fait inutile. Elle a prouvé que nous n'avons pas dévié. Comme les premiers jours, nous maudissons une guerre par nous condamnée à l'avance; comme les premiers jours aussi, nous l'acceptons plutôt que de nous déshonorer. Nous avons fait plus: nous avons tué l'equivoque dans laquelle la Prusse s'enfermait et que l'Europe ne nous aidait pas à dissiper.

En entrant sur notre sol, elle a donné au monde sa parole qu'elle attaquait Napoléon et ses soldats, mais qu'elle respectait la nation. Nous savons aujourd'hui ce qu'il faut en penser. La Prusse exige trois de nos départements, deux villes fortes, l'une de cent, l'autre de soixante-quinze mille âmes, huit à dix autres également fortifiées. Elle sait que les populations qu'elle veut nous ravir la repoussent, elle s'en saisit néanmoins, opposant le tranchant de son sabre aux protestations de leur liberté civique et de leur dignité morale.

Le droit. Il dépend de notre constance qu'il appar-
tienne à la justice et à la liberté.

Agréez, mes chers collègues, le fraternel hom-
mage de mon inaltérable dévouement.

Le vice-président du gouvernement de la défense
nationale, ministre des affaires étrangères,
J. FAVRE.

Paris, le 21 septembre 1870.

PAPIERS ET CORRESPONDANCE

DE LA

FAMILLE IMPÉRIALE

La première livraison publiée par la commission chargée d'examiner les papiers trouvés aux Tuileries, contient trois documents qui prouvent, par des témoignages accablants,

1° Que l'expédition du Mexique qui devait être la plus grande pensée du règne, ne fut qu'un tripotage d'argent entre Jecker et Morny;

2o Que le cabinet noir, tant de fois et si énergiquement nié par les hommes du pouvoir, fonctionnait avec une régularité parfaite;

3o Que la politique impériale, inspirée par la ruse et le mensonge, n'avait au fond d'autre habileté que celle du brigand qui attend le passant au coin d'un bois."

Nous ne pouvons tout citer. Mais l'Illustration est le répertoire vivant de l'histoire contemporaine, et nos lecteurs doivent y trouver les documents destinés à porter la lumière dans cet antre de Cacus qu'on appelle le second empire.

Premier point. L'expédition du Mexique. On sait que le banquier Jecker avait prêté ou fait prêter quelques millions au gouvernement du Mexique et il avait fait créer, comme représentation de cette créance, pour soixante-quinze nillions de bons (environ quinze fois la valeur de la somme prêtée.)

Pour être sûr que le gouvernement impérial
ferait servir son armée au recouvrement de cette
créance, il avait cédé à vil prix plus de cinquante
millions de ces bons à M. de Morny et à son
maître.

Or, en 1869, M. Jecker trouvait qu'on ne lui
avait pas encore remboursé assez d'argent sur les
écrivait à M. Conti en ces termes :
sommes par lui réclamées; voilà pourquoi il

Monsieur,

Paris, le 8 décembre.

«Ne trouvez pas étrange que je m'adresse à vous de préférence, ayant à vous entretenir d'une affaire qui regarde particulièrement l'empereur.

« Vous aurez assez entendu parler de mon affaire des Bons pour la connaître un peu. Eh bien, je trouve que le Gouvernement la considère avec trop d'indifférence, et que, s'il n'y fait pas

attention, elle pourrait amener des suites fâcheu

ses pour l'empereur.

« Vous ignorez sans doute que j'avais pour
associé dans cette affaire M. le duc de Morny,
qui s'était engagé, moyennant 30 p. 100 des bé-
néfices de cette affaire, à la faire respecter et payer
par le gouvernement mexicain, comme elle avait
été faite dès le principe. Il y a là-dessus une cor-
respondance volumineuse d'échangée avec son
agent, M. de Marpon.

«En janvier 1861, on est venu me trouver de la
part de ces messieurs pour traiter cette affaire.
« Cet arrangement s'est fait lorsque ma maison
se trouvait déjà en liquidation, de sorte que tout
celle-ci, etc... »
ce qui la regarde appartient exclusivement à

A la nation qui demande la faculté de se con-
sulter elle-même, elle propose la garantie de ses
obusiers établis au mont Valérien, et protégeant
la salle des séances où nos députés voteront. Voilà
ce que nous savons, et ce qu'on m'a autorisé à
vous dire. Que le pays nous entende et qu'il se
lève, ou pour nous désavouer quand nous lui
conseillons de résister à outrance, ou pour subirmée
avec nous cette dernière et décisive épreuve. Paris
y est résolu.

Je n'ajoute rien à ce récit trop éloquent par
lui-même. Il me permet de conclure et de vous
dire quelle est à mon sens la portée de ces entre-
vues. Je cherchais la paix, j'ai rencontré une vo-
lonté inflexible de conquête et de guerre. Je de-
mandais la possibilité d'interroger la France re-
présentée par une assemblée librement élue, on
Les départements s'organisent et vont venir à
m'a répondu en me montrant les fourches caudi- son secours. Le dernier mot n'est pas dit dans
Des sous lesquelles elle doit préalablement passer, cette lutte, où maintenant la force se e contre

Que penser d'un pouvoir qui envoyait une arfrancaise au bout du monde et faisait dépenser sept cent millions à la France, pour mettre quelques millions dans sa poche?

Second point. Le cabinet noir. Ici encore, point de contestation possible. Ilabemus confitentem reum.

1

C'est une lettre de M. de Persigny qui nous sert de témoignage :

« J'aurais voulu vous parler aussi, dit M. de Persigny, d'un sujet délicat. J'ai reçu des révélations au sujet du service de ce qu'on appelle le Cabinet noir, par le chef de bureau. Cet homme a besoin de son' pain; il ne faut donc pas révéler à ses chefs les observations qu'il m'a faites.

« Elles intéressent le service de Votre Majesté. Si Votre Majesté venait à Paris, je la prierais de me faire donner une audience; mais pas à Compiègne, parce que cela fait trop de tapage dans le Gouvernement.

« Je suis avec respect, Sire, de Votre Majesté; le trés-humble et le très-dévoué serviteur et sujet.

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« Sans prétendre que cet acte fût une garantie parfaitement sûre, il aurait le double avan tage decompromettre la Prusse et d'être pour elle un gage de la sincérité de la politique ou des intentions de l'empereur. Il convient de ne pas se dissimuler, quand on connaît le caractère du roi de Prusse et celui de son premier mins tre, que les derniers incidents diplomatiques, comme les dispositions actuelles du sentiment public en France, ont dů les raffermir dans la conviction que nous n'avons pas renoncé à revendiquer la frontière du Rhin.

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CAMPEMENT PRUSSIEN SOUS LES ARCADES DE LA PLACE DE PONT-A-MOUSSON. - Dessins d'après nature par M. Lançon.

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