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ESPRIT.

MAXIMES

ET PRINCIPES

DE M. J. J. ROUSSEAU.

D

CHAPITRE I

RELIGION.

DE DIEU.

IEU eft intelligent; mais comment l'eft-il Toutes les vérités ne font pour lui qu'une feule idée, comme tous les lieux un feul point, & tous les tems un feul moment. Il est Toutpuiffant; fa puiffance agit par elle-même; il peut parce qu'il veut ; fa volonté fait fon pouvoir. Dieu eft bon; rien

A

n'eft plus manifefte: de tous les attri buts de la Divinité toute-puiffante, la bonté eft celui fans lequel on la moins concevoir.

peut

le

QUAND les Anciens appelloient Optimus Maximus le Dieu Suprême, ils difoient très-vrai: mais en difant, Maximus Optimus, ils auroient parlé plus exactement, puifque fa bonté vient de fa puiffance: il eft bon, parce qu'il eft grand.

DIEU eft jufte, j'en fuis convaincu ; c'eft une fuite de fa bonté ; l'injustice des hommes eft leur œuvre & non pas la fienne: le défordre moral qui dépofe contre la Providence aux yeux des Philofophes, ne fait que la démontrer aux miens. C'eft ainfi que je découvre & que j'affirme les attributs de la Divinité, mais fans les comprendre. J'ai beau mẹ dire, Dieu est ainfi ; je le fens, je me le prouve :je n'en conçois pas mieux com ment Dieu peut être ainfi

L'ETRE Eternel ne fe voit, ni ne s'entend; il fe fait fentir; if ne parle ni aux yeux, ni aux oreilles, mais au cœur, Nous pouvons bien difputer contre fon effence infinie, mais non pas le mécon noître de bonne foi,

MOINS je le conçois, plus je l'adore. Je m'humilie & lui dis: Etre des Etres, je fuis parce que tu es ; c'est m'élever à ma fource, que de méditer fans ceffe. Le plus digne ufage de ma raison eft de s'anéantir devant toi : c'eft mon raviffement d'efprit, c'eft le charme de ma foibleffe de me fentir accablé de ta grandeur.

CELUI qui adore l'Être Éternel, détruit d'un foufle ces phantômes de raifon, qui n'ont qu'une vaine apparence, & qui fuient comme une ombre devant l'immortelle vérité. Rien n'existe que par celui qui eft. C'est lui qui donne un but à la juftice, une bafe a la vertu, un prix à cette courte vie employée à lui plaire; c'eft lui qui ne ceffe de crier aux coupables, que leurs crimes fecrets ont été vus, & qui fait dire au jufte oublié; tes vertus ont un témoin. C'eft lui, c'est sa substance inaltérable, qui est le vrai modèle des perfections dont nous portons une image en nous-mêmes. Nos paffions ont beau la défigurer; tous les traits liés àl'effence infinie fe repréfentent toujours à la raifon, & lui fervent à établir ce que l'impofture & l'erreur en put altéré. Tout ce qu'on ne peut fépa

rer de l'idée de cette effence, eft Dieu.

C'EST à la contemplation de ce divin modèle, que l'ame s'épure & s'éleve ; qu'elle apprend à méprifer fes inclinations baffes & à furmonter fes vils penchans. Un cœur pénétré de ces fublimes vérités, se refuse aux petites paffions des hommes; cette Grandeur infinie le dégoûte de leur orgueil; le charme de la méditation l'arrache aux idées terreftres.

Où chercher la faine raison, finon dans celui qui en eft la fource ? Et que penfer de ceux qui confacrent à perdre les hommes, ce flambeau divin qu'il leur donna pour les guider ? Le meilleur moyen de trouver ce qui eft bien, eft de le chercher fincérement, & l'on ne peut long-tems le chercher ainfi, fans remonter à l'Auteur de tout bien.

CELUI qui reconnoît & fert le Pere commun des hommes, fe croit une haute destination; l'ardeur de la remplir anime fon zèle; & fuivant une règle plus fûre que celle de fes penchans, il fçait faire le bien qui lui coûte, & facrifier les defirs de fon cœur à la loi du devoir.

TENEZ Votre ame en état de defirer toujours qu'il y ait un Dieu, & vous n'en douterez jamais.

Ce qui m'intéreffe, moi & tous mes femblables, c'eft que chacun fçache qu'il existe un arbitre du fort des humains, duquel nous fommes tous les enfans qui nous prefcrit à tous d'être juftes, de nous aimer les uns les autres, d'être bienfaifans & miféricordieux, de tenir nos engagemens envers tout le monde • même envers nos ennemis & les fiens; que l'apparent bonheur de cette vie n'eft rien; qu'il en eft une autre après elle, dans laquelle cet Être fuprême fera le remunérateur des bons, & le juge des méchans.

Si la Divinité n'eft pas, il n'y a que le méchant qui raifonne; le bon n'eft qu'un infenfé.

Il eft un livre ouvert à tous les yeux, c'est celui de la Nature. C'eft dans cegrand & fublime livre que j'apprends à fervir & à adorer fon divin Auteur. Nul n'eft excufable de n'y pas lire, parce qu'il parle à tous les hommes une langue intelligible à tous les efprits. Si j'éxerce ma raifon, fi je la cultive, fij'ufe bien des facultés immédiates que Dieu me donne, j'apprendrai de moi-même à le connoître, à l'aimer, à aimer fes œuvres, à vouloir le bien qu'il veut, &

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