ne font plus des lettres qu'on écrit, ce font des hymmes. Lifez une lettre d'amour faite par un Auteur dans fon cabinet, par un belefprit qui veut briller. Pour peu qu'il alt de feu dans la tête, fa lettre va, comme on dit, brûler le papier; la chaleur n'ira pas plus loin. Vous ferez enchanté, même agité peut-être, mais d'une agitation pailagere & feche, qui ne vous laiffera que des mots pour tout fouvenir. Au contraire, une lettre que l'amour a réellement dictée, une lettre d'un amant vraiment paffionné, fera lâche, diffuse, toute en longueurs, en défordre, en répétitions. Son cœur, plein d'un fentiment qui déborde, redit toujours la même chofe, & n'a jamais achevé de dire, comme une source vive qui coule fans ceffe & ne s'épuise jamais. Rien de faillant, rien de remarquable ; on ne retient ni mots, ni tours, ni phrafes; on n'admire rien, l'on n'est frappé de rien. Cependant on fe fent l'ame attendrie: on fe fentému fans fçavoir pourquoi. Si la force du fentiment ne nous frappe pas, fa vérité nous touche, & c'eft ainfi que le cœur fçait par-, ler au cœur. Mais ceux qui ne fentent rien, ceux qui n'ont que le jargon paré des paffions, ne connoiffent point ces fortes de beautés, & les méprisent. QU'EST-CE que des amans apprendroient de l'amour dans les Poetes & dans les livres d'amour? Ah! leur cœur leur en dit plus qu'eux, & le langage imité des fivres eft bien froid pour quiconque eft paffionné lui-même. D'ailleurs, ces études énervent l'ame, la jettent dans la molleffe, & lui ôtent tout fon reffort. Au contraire, l'amour véritable eft un feu dévorant, qui porte fon ardeur dans les autres fentimens, & les anime d'une vigueur nouvelle. C'eft pour cela qu'on 2 dit que l'amour faifoit des héros. EN amour, la jaloufie paroît tenir de fi près àla Nature, qu'on a bien de la peine a croire qu'elle n'en vienne pas. Ce qu'il y a d'incontestable, c'est que l'averfion contre tout ce qui trouble & combat nos plaifirs, eft un mouvement naturel, & que, jufqu'à un certain point, le defir de poffeder exclufivement ce qui nous plaît en eft encore un. PARMI nous, la jaloufie a fon motif dans les paffions fociales, plus que dans l'inftinct primitif. Dans la plupart des liaifons de galanterie l'amant hait bien plus fes rivaux, qu'il n'aime fa maitreffe. S'il craint de n'être pas feul écouté, c'eft l'effet de l'amour-propre, & la vanité pâtit en lui bien plus que l'amour. Ce n'eft que dans les liaisons formées par l'eftime & le sentiment, que la jaloufie eft elle-même un fentiment délicat; parce qu'alors, fi l'amour eft inquiet, l'eftime eft conftante; & que, plus il eft exigeant, plus il eft crédule. Un amant, guidé par l'eftime, & qui n'aime dans ce qu'il aime que les qualités dont il fait cas, fera jaloux, fans être colere, ombrageux ou méchant; mais il fera fenfible & craintif: il fera plus allarmé qu'irrité; il s'attachera bien plus à gagner fa maitreffe, qu'à menacer son rival; il l'écartera, s'il peut, comme un obftacle, fans le hair comme un ennemi: fon injufte orgueil ne s'offenfera point fottement qu'on ole entrer en concurrence avec lui; mais, comprenant que le droit de préférence eft uniquement fondé fur le mérite, & que l'honneur eft dans le fuccès, il redoublera de foins pour fe rendre aimable, & probablement il réuffira. DE LA SOCIÉTÉ CONJUGALE. R d'un bon mari, fi ce n'eft peut- être celui d'une bonne femme. C'EST aux époux feuls à juger s'ils fe conviennent. Si l'amour ne regne pas, la raifon choifira feule; fi l'amour regne, la Nature a déja choifi. Telle eft la loi facrée de la Nature, qu'il n'eft pas permis d'enfreindre, que l'on n'enfreint jamais impunément, & que la confidération des états & des rangs. ne peut abroger qu'il n'en coûte des malheurs & des crimes. LE bonheur dans le mariage dépend de tant de convenances, que c'est une folie de les vouloir toutes raffembler. Il faut d'abord s'affûrer des plus importantes; quand les autres s'y trouvent, on s'en prévaut; quand elles manquent, on s'en paffe. CES Convenances font, les unes naturelles, les autres d'inftitution; il y en a qui ne tiennent qu'à l'opinion feule. Les parens font juges des deux dernieres efpeces; les enfans feuls le font de la premiere. Dans les mariages qui fe font par l'autorité des peres, on fe regle uniquement fur les convenances d'inftitution & d'opinion; ce ne font pas les perfonnes qu'on marie, ce font les conditions & les biens: mais tout cela peut changer; les perfonnes feules reftent toujours; elles fe portent par-tout avec elles; en dépit de la fortune, ce n'eft que par les rapports perfonnels qu'un mariage peut être heureux ou malheu reux. C'EST aux époux à s'affortir. Le penchant mutuel doit être leur premier lien; leurs yeux, leurs cœurs doivent être leurs premiers guides: car comme leur premier devoir, étant unis, eft de s'aimer, & qu'aimer ou n'aimer pas ne dépend pas de nous-mêmes, ce devoir en emporte néceffairement un autre, qui eft de commencer par s'aimer avant que de s'unir. C'eft-là le droit de la Nature, que rien ne peut abroger: ceux qui l'ont gênée par tant de loix civiles, ont eu plus d'égard à l'ordre apparent, qu'au bonheur du mariage & aux mœurs des citoyens. IL eft fort different, pour Fordre dy mariage, que l'homme s'allie au-deflus |