NON contentes d'avoir ceffé d'alaiter leurs enfans, les femmes ceffent d'en vouloir faire; la conféquence eft naturelle. Dès que l'état de mere eft onéreux, on trouve bien-tôt le moyen de s'en délivrer tout-à-fait: on veut faire un ouvrage inutile, afin de le commencer toujours; & l'on tourne au préjudice de l'efpece, l'attrait donné pour la multi-. plier. Cet ufage, ajoûté aux autres caufes de dépopulation, nous annonce le fort prochain de l'Europe. Les fciences, les arts, la philofophie & les mœurs qu'elle engendre, ne tarderont pas d'en faire un défert. Elle fera peuplée de bêtes féroces; elle n'aura pas beaucoup changé d'habitans. L'o DU CELIBA T. 'OBLIGATION de fe marier n'eft pas commune à tous; elle dépend, pour chaque homme, de l'état où le fort l'a placé. C'est pour le peuple, pour l'artifan, pour le villageois, pour les hommes vraiment utiles, que le célibat eft illicite pour les ordres qui dominent les autres, auxquels tout tend fans celle, & qui ne font toujours que trop remplis, il eft permis & même convenable. Sans cela, l'État ne fait que fe dépeupler par la multiplication des Sujets qui lui font à charge. Les hommes auront toujours affez de maîtres ; & l'Angleterre manquera plutôt de laboureurs que de Pairs. A u refte, ces raisons, affez judicieufes pour un Politique qui balance les forces refpectives de l'Etat, afin d'en maintenir l'équilibre, je ne fçais fi elles font affez folides pour difpenfer les particuliers de leur devoir envers la Nature. Il fembleroit que la vie eft un bien qu'on ne reçoit qu'à la charge de la tranfmettre, une forte de fubftitution qui doit paffer de race en race; & que quiconque eut un pere, eft obligé de le devenir. Il est bien difficile qu'un état fi contraire à la Nature, tel que le célibat, n'amené pas quelque défordre public ou caché. Le moyen d'échapper toujours à l'ennemi qu'on porte fans ceffe avec soi? DE LA SOCIÉTÉ CIVILE. Lei, s'avila de dire ceci eft à moi, E premier qui, ayant enclos un ter & trouva des gens affez fimples pour le croire, fut le vrai fondateur de la fociété civile. TANT que les hommes ne s'appliquerent qu'à des ouvrages qu'un feul pouvoit faire, & qu'à des arts qui n'avoient pas befoin du concours de plufieurs mains, ils vécurent libres, fains, bons & heureux autant qu'ils pouvoient l'être par leur nature, & continuerent à jouir entr'eux des douceurs d'un commerce indépendant; mais dès l'inftant qu'un homme eut befoin du fecours d'un autre; dès qu'on s'apperçut qu'il étoit utile à un feul d'avoir des provifions pour deux, l'égalité difparut, la propriété s'introduifit; le travail devint néceffaire, & les vaftes forêts fe changerent en des campagnes riantes, qu'il fallut arrofer de la fueur des hommes, & dans lefquelles on vit bien-tôt l'esclavage & la mifere germer & croître avec les moiffons. C'EST la foibleffe de l'homme qui le rend fociable; te font nos miferes communes qui portent nos cœurs à l'Humanité nous ne lui devrions rien, fi nous n'étions pas hommes. Tout attachement eft un figne d'infuffifance: fi chacun de nous n'avoit nul befoin des autres, il ne fongeroit guères à s'unir à eux. Il fuit de là que nous nous attachons à nos femblables, moins par le fentiment de leurs plaifirs, que par celui de leurs peines; car nous y voyons bien mieux l'identité de notre nature, & les garants de leurs atta→ chemens pour nous. Si nos befoins communs nous uniffent par intérêt, nos miferes communes nous uniffent par affection. LE précepte de ne jamais nuire à autrui emporte celui de tenir à la fociété humaine le moins qu'il eft poffible: car dans l'état focial, le bien de l'un fait né ceffairement le mal de l'autre. Ce rapport eft dans l'effence de la chofe, & rien ne fçauroit le changer. Qu'on cherche fur ce principe, lequel eft le meilleur de l'hornme focial, ou du folitaire ? Un Auteur illuftre dit qu'il n'y a que le méchant qui foit feul; mais je dis qu'il n'y a que le bon qui foit feul. Si cette propofition eft moins fententieuse, elle est plus vraie & mieux raifonnée que la précédente. Si le méchant étoit feul, quel mal feroit-il: C'eft dans la fociété qu'il dreffe fes machines pour nuire aux au tres. IL eft clair qu'il faut mettre fur le compte de la propriété, & par conféquent de l'établiffement & de la perfection des fociétés, les raifons de la diminution de notre efpece; les affaffinats, les empoisonnemens, les vols de grands chemins; ces moyens honteux d'empêcher la naiffance des hommes & de tromper la Nature, foit par ces goûts brutaux & dépravés qui infultent fon plus charmant ouvrage, goûts que les Sauvages ni les animaux ne connurent jamais, & qui ne font nés dans les pays policés que d'une imagination corromfoit pue; par ces avortemens fecrets, dignes fruits de la débauche & de l'honneur vicieux; foit par l'expofition ou le meurtre d'une multitude d'enfans, victimes de la mifere de leurs parens, ou de la honte barbare de leurs meres; foit enfin par la mutilation de ces malheureux, dont une partie de l'existence & toute la poftérité font facrifiées à de vaines chanfons, ou, ce qui eft pis encore, |