Images de page
PDF
ePub

Cela fe fait; cela ne fe fait pas: voilà la décifion fuprême. Ces regles ainfi établies, tout le monde fait à la fois la même chofe dans les mêmes circonftances: tout va par tems, comme dans les évolutions d'un Régiment en bataille : vous diriez que ce font autant de marionnettes clouées fur la même planche, & attachées au même fil.

DU LUX E.

EMBLABLE à ces vents brûlans du

Midi, qui couvrant l'herbe de la ver dure d'infectes dévorans, ôtent la fubfiftance aux animaux utiles, & portent la difette & la mort dans tous les lieux où ils fe font fentir; le luxe, dans quelque Etat, grand ou perit, que ce puiffe , pour nourrir des foules de valets & de miférables qu'il a faits, accable & ruine le laboureur & le citoyen. Sous 'pretexte de faire vivre les pauvres qu'il n'eût pas fallu faire, il appauvrit tout le refte, & dépeuple l'Etat tôt ou tard.

être

UN homme, livré au luxe, n'a chez lui-même ni tranquillité ni aifance. Le

bruit de fes gens trouble inceffamment fon repos ; il ne peut rien cacher à tant d'Argus. La foule de fes créanciers lui fait payer cher celle de fes admirateurs. Ses appartemens font fi fuperbes, qu'il eft forcé de coucher dans un bouge pour être à fon aife, & fon finge eft quelquefois mieux logé que lui. S'il veut dîner, il dépend de fon cuifinier, & jamais de fa faim; s'il veut fortir, il eft à la merci de fes chevaux; mille embarras l'arrêtent dans les rues; il brûle d'arriver & ne fçait plus qu'il a des jambes. Chloé l'attend, les boues le retiennent, le poids de l'or de fon habit l'accable, il ne peut faire vingt pas à pied: mais s'il perd un rendez-vous avec fa maitreffe, il en eft bien dédommagé par les paffans: chacun remarque fa livrée, l'admire, & dit tout haut que c'eft Monfieur un tel.

[ocr errors]

A mesure que l'induftrie & les arts lucratifs s'étendent & fleuriffent, les arts les plus néceffaire, comme l'agriculture, doivent enfin devenir les plus négligés: d'ou il arrive que le cultivateur méprifé, chargé d'impôts néceffaires à l'entretien du luxe; & condamné à paffer fa vie entre le travail Sc

la faim, abandonne fes champs pour aller chercher dans les villes le pain qu'il y devroit porter: les terres reftent en friche; les grands chemins font inondés de malheureux citoyens devenus mendiants ou voleurs, & deftinés à finir un jour leur mifere fur la roue ou fur un fumier. Tel eft l'effet réel qui résulte des progrès de l'induftrie & du luxe, telles font les caufes fenfibles de toutes les miferes où l'opulence précipite enfin les Nations les plus admirées ; c'eft ainsi que l'Etat s'enrichiffant d'un côté, s'affoiblit & fe dépeuple d'un autre, & que les plus puiffantes Mortarchies, après bien des travaux pour fe rendre opulentes & défertes, finiffent par devenir la proie des Nations pauvres qui fuccombent à la funefte tentation de les envahir.

LE luxe fert au foutien des Etats comme les Cariatides fervent à foutenir les palais qu'elles décorent, ou plutôt, comme ces poûtres dont on étaye des bâtimens pourris, & qui fouvent achevent de les renverfer. Hommes fages. & prudens, fortez de toute maifon qu'on étaye.

Lluxe nourrit cent pauvres dans

nos villes, & en fait périr cent mille dans nos campagnes. Le laboureur n'a point d'habit, précisément parce qu'il faut du galon aux autres. Il faut des jus dans nos cuifines; voilà pourquoi tant de malades manquent de bouillon. Il faut des liqueurs fur nos tables; voilà pourquoi le payfan ne boit que de l'eau. Il faut de la poudre à nos perruques ; voilà pourquoi tant de pauvres n'ont point de pain.

A ne confulter que l'impreffion la plus naturelle, il fembleroit que, pour dédaigner le luxe, on a moins befoin de modération que de goût. La fymétrie & la régularité plaît à tous les yeux; l'image du bien-être & de la félicité touche le cœur humain qui en eft avide: mais un vain appareil, qui ne fe rapporte ni à l'ordre ni au bonheur, & n'a pour objet que de frapper les yeux, qu'elle - idée favorable à celui qui l'étale peutil exciter dans l'efprit du fpectateur ? L'idée du goût? Le goût paroît cent fois mieux dans les chofes fimples que dans celles qui font offufquées de richeffe. L'idée de la commodité? Y at-il rien de plus incommode que le fafte? L'idée de la grandeur? C'eft précifé

ment le contraire. Quand je vois qu'on a voulu faire un grand palais, je me demande auffi-tôt pourquoi ce palais n'est pas plus grand pourquoi celui qui a cinquante domeftiques n'en a-t-il pas cent? Cette belle vaiffelle d'argent, pourquoi n'eft-elle pas d'or? Cet homme qui dore fon carroffe, pourquoi ne dore-t-il pas fes lambris: Si fes lambris font dorés, pourquoi fon toît ne l'eftil pas? Celui qui voulut bâtir une haute tour, faifoit bien de la vouloir porter jufqu'au ciel : autrement, il eût eu beau l'élever; le point où il fe fût arrêté, n'eût fervi qu'à donner de plus loin la preuve de fon impuiflance. O homme petit & vain! montre-moi ton pouvoir, je te montrerai ta mifere.

S

DES RICHES.

I je devenois riche, je crois que je differerois beaucoup de ceux qui le deviennent tous les jours; & voici particulierement en quoi? c'eft que je lerois fenfuel & voluptueux, plutôt qu'orgueilleux & vain, & que je me livrercis

« PrécédentContinuer »