feroient plutôt écrâfés, qu'un faquin oifif retardé dans fon équipage. Tous ces égards ne lui coûtent pas un fol; ils font le droit de l'homme riche, & non le prix de la richeffe. Que le tableau du pauvre eft different! Plus P'Humanité lui doit, plus la fociété lui refufe: toutes les portes lui font fermées, même quand il a le droit de les faire ouvrir; & fi quelquefois il obtient juftice, c'eft avec plus de peine qu'un autre n'obtiendroit grace. S'il y a des corvées à faire, une milice à tirer, c'eft à lui qu'on donne la préference: if porte toujours outre fa charge, celle dont fon voifin plus riche a le crédit de fe faire exempter au moindre accident qui lui arrive, chacun s'éloigne de lui: fr fa pauvre charrette renverfe, loin d'être aidé par perfonne, je le tiens heureux s'il évite, en paffant, les avanies des gens leftes d'un jeune Duc en un mot, toute affiftance gratuite le fuit au befoin; précisément parce qu'il n'a pas de quoi la payer: mais je le tiens pour un homme perdut, s'il a le malheur d'avoir l'ame honnête, ane fille aimable, & un puiffant voifill. Voici en quatre mots le Pacte focial des deux états. Vous avez besoin de moi, car je fuis riche, & vous êtes pauvre faifons donc un accord entre hous; je vous permettrai d'avoir l'honneur de me fervir, à condition que vous me donnerez le peu qui vous reste, pour la peine que je prendrai de vous commander. DE L'ECONOMIE ET DE L DOMESTIQUE. LA POLICE 'ABONDANCE du feul néceffaire ne peut dégénerer en abus ; parce que le néceffaire a fa mefure naturelle, & que les vrais befoins n'ont jamais d'excès. On peut mettre la dépenfe de vingt habits en un feul, & manger en un repas le revenu d'une année; mais on ne fçauroit porter deux habits en même tems, ni dîner deux fois en un jour. Ainf l'opinion eft illimitée, au lieu que la Nature nous arrête de tous côtés ; & celui qui dans un état médiocre fe borne au bien-être, ne rifque point de fe ruiner. Voilà comment, avec de l'œconomie & des foins, on peut fe mettre au-dessus de la fortune, & comment tout ce qu'on dépenfe, rend de quoi dépenfer beaucoup plus. Y I'L faut du tems pour appercevoir dans une maison des loix fomptuaires qui menent à l'aifance & au plaifir; & l'on a d'abord peine à comprendre comment on jouit de ce qu'on épargne. En réfléchiffant, le contentement augmente, parce qu'on voit que la fource en eft intariffable, & que l'art de goûter le bonheur de la vie fert encore à le prolonger. Comment fe lafferoit - on d'un état fi conforme à la Nature? Comment épuiferoit-on fon héritage en l'améliorant tous les jours? Comment ruineroit-on fa fortune en ne confommant que fes revenus? Quand, chaque année, on eft fûr de la fuivante, qui peut troubler la paix de celle qui court? Le fruit du labeur paffé foutient l'abondance préfente, & le fruit du labeur préfent annonce l'abondance à venir: on jouit à la fois de ce qu'on dépenfe & de ce qu'on recueille; & les divers tems fe raffemblent pour affermir la fécurité du préfent. Kiv RICHESSE ne fait pas riche, dit le Roman de la Rofe. Les biens d'un homme ne font pas dans fes coffres, mais. dans l'ufage de ce qu'il en tire; car on ne s'approprie les chofes qu'on poffede, . que par leur emploi, & les abus font toujours plus inépuifables que les richeffes: ce qui fait qu'on ne jouit pas. à proportion de fa dépenfe, mais à proportion qu'on la fçait mieux ordonner.. Un fou peut jetter des lingots dans la mer & dire qu'il en a joui; mais quelle comparaifon entre cette extravagante jouiffance, & celle qu'un homme fage eût fçu tirer d'une moindre fomme? L'ordre & la regle qui multiplient & perpétuent l'ufage des biens, peuvent feuls transformer le plaifir en bonheur. Que fic'eft du rapport des chofes à nous, que naît la véritable propriété ; fi c'est plutôt l'emploi des richeffes, que leur acquifition qui nous les donne, quels foins importent plus au pere de famille, que l'aconomie domeftique & le bon régime de fa maifon, où les rapports. les plus parfaits vont le plus directement à lui, & où le bien de chaque membre ajoûte alors à celui du chef? LE'S plus riches font-ils les plus heureux? Que fert donc l'opulence à la fé→ licité? Mais toute maifon bien ordonnée eft l'image de l'ame du maître. Les lambris dorés, le luxe & la magnificence n'annoncent que la vanité de celui qui les étale; au lieu que par-tout où vous verrez regner la regle fans trifteffe, la paix fans efclavage, l'abondance fans profufion, dites avec confiance: c'eft un être heureux qui commande ici. LE figne le plus affuré du vrai contentement d'efprit eft la vie retirée & domestique; & ceux qui vont chercher fans ceffe leur bonhour chez autrui, ne l'ont point chez eux-mêmes. Un pere de famille qui fe plaît dans fa maifon, a pour prix des foins continuels qu'il s'y donne, la continuelle jouiffance des plus doux fentimens de la Nature. Seul entre tous les mortels, il eft maître de fa propre félicité, parce qu'il eft heureux comme Dieu même, fans rien defirer de plus que ce dont il jouit.. Comme cet Être immenfe, il ne fonge pas à amplifier fes poffeffions, mais à les rendre véritablement fiennes par les rela tions les plus parfaites & la direction la mieux entendue; s'il ne s'enrichit pas |