fa difcrétion, elle agit comme l'autre penfe, & décele toutes les maximes en les pratiquant mal-adroitement. En toute chose l'exemple des maîtres eft plus fort que leur autorité ; & il n'eft pas naturel que leurs domeftiques veuillent être plus honnêtes gens qu'eux. On a beau crier, jurer, maltraiter, chaffer, faire maifon nouvelle; tout cela ne produit point le bon fervice. Quand celui qui ne s'embarraffe pas d'être méprifé & hai de fes gens, s'en croit pourtant bien fervi, c'est qu'il fe contente de ce qu'il voit, & d'une exactitude apparente, fans tenir compte de mille maux fecrets qu'on lui fait inceffamment, & dont il n'apperçoit jamais la fource. Mais où eft l'homme affez dépourvu d'honneur, pour pouvoir fupporter les dédains de tout ce qui l'environne ? Où eft la femme affez perdue, pour n'être plus fenfible aux outrages? Combien, dans Paris & dans Londres, de Dames fe croient fort honorées, qui fondroient en larmes, fi elles entendoient ce qu'on dit d'elles dans leur antichambre! Heureufement pour leur repos, elles fe rafurent en prenant ces Argus pour des imbécilles, & fe flatrant qu'ils ne voient rien de ce qu'elles ne daignent pas leur cacher. Auffi dans leur mutine obéiffance ne leur cachent-ils guère à leur tour le mépris qu'ils ont pour elles. Maîtres & valets fentent mu tuellement que ce n'eft pas la peine de fe faire estimer les uns des autres. Le jugement des domeftiques me paroît être l'épreuve la plus fûre & la plus difficile de la vertu des maîtres. On a dit qu'il n'y avoit point de héros pour fon valet de chambre; cela peut être : mais l'homme jufte a l'eftime de fon va→ let.. DANS les concurrences de jaloufie & d'intérêt qui divifent fans ceffe les domeftiques d'une maifon, ils ne demeu rent prefque jamais unis qu'aux dépens du maître. S'ils s'accordent, c'eft pour voler de concert; s'ils font fideles, chacun fe fait valoir aux dépens des autres; il faut qu'ils foient ennemis ou complices; & l'on voit à peine le moyen. d'éviter à la fois leurs friponneries & leurs diffenfions. La plupart des peres de famille ne connoiffent que l'alternative entre ces deux inconvéniens. Les uns, préférant l'intérêt à l'honnêteté, fomentent cette difpofition des valers aux fecrets rapports, & croient faire un chef-d'œuvre de prudence en les rendant efpions & furveillans les uns des autres. Les autres, plus indolens, aiment mieux qu'on les vole & qu'on vive en paix; ils fe font une forte d'honneur de recevoir toujours mal des avis qu'un pur zèle arrache quelquefois à un ferviteur fidele. Tous s'abufent également.. Les premiers, en excitant chez eux des troubles continuels, incompatibles avec la regle & le bon ordre, n'affemblent qu'un tas de fourbes & de délateurs, qui s'exercent, en trahiffant leurs camarades,. à trahir peut-être un jour leurs maîtres. Les feconds, en refufant d'apprendre ce qui fe fait dans leurs maifons, autori-fent les ligues contre eux-mêmes, encouragent les méchans, rebutent les bons, & n'entretiennent, à grands frais, que des fripons arrogans & pareffeux, qui, s'accordant aux dépens du maître, regardent leurs fervices comme des graces, & leurs vols comme des droits. J'ai examiné d'affez près la police des grandes maifons, & j'ai vu clairement qu'il eft impoffible à un maître qui a vingt domeftiques, de venir à bout de fçavoir s'il y a parmi eux un honnête homme & de ne pas prendre pour tel le phis méchant fripon de tous. Cela feul me dégoûteroit d'être au nombre des riches. Un des plus doux plaifirs de la vie, le plaifir de la confiance & de l'eftime, eft perdu pour ces malheureux. Ils achetent bien cher tout leur or. DANS une maifon bien reglée, les domeftiques de different fexe ont trèspeu de communication ensemble ; & cet article eft très-important pour le bien & la tranquillité des maîtres. On n'y eft point de l'avis de ces maîtres indifferens à tout, hors à leur intérêt, qui ne veulent qu'être bien fervis, fans s'embarraffer au furplus de ce que font leurs gens; on pense au contraire que ceux qui ne veulent qu'être bien fervis, ne fçauroient l'être long-tems. Les liaisons trop intimes entre les deux fexes ne produifent jamais que du mal. C'eft des conciliabules qui fe tiennent chez les femmes de chambre, que fortent la plûpart des défordres d'un ménage. S'il s'en trouve une qui plaife au maître d'hôtel, il ne manque pas de la féduire aux dépens du maître. L'accord des hommes entr'eux, ni des femmes entr'elles, n'eft pas affez fûr pour tirer à conféquence. Mais c'est toujours entre hommes & femmes, que s'établiffent ces fecrets monopoles qui ruinent, à la longue, les. familles les plus opulentes. Des maîtres fenfés doivent donc veiller à la fageffe & à la modeftie des femmes qui les fervent, non-feulement par des raifons de bonnes mœurs & d'honnêteté, mais encore par un intérêt bien entendu. S DI L'INÉGALITÉ. I l'on voit une poignée de puiffans & de riches au faîte des grandeurs & de la fortune, tandis que la foule rampe dans l'obscurité & dans la mifere, c'eft que les premiers n'eftiment les chofes dont ils jouiffent, qu'autant que les autres en font privés ; & que, fans changer d'état, ils cefferoient d'être heureux, fi le peuple ceffoit d'être miferable. LE defpotifme eft le dernier terme de l'inégalité parmi les hommes. Partour où il regne, tous les particuliers redeviennent égaux, parce qu'ils ne font rien. Il ne fouffre aucun autre maître ; fes Sujets n'ont d'autre loi que fa volonté, |