N ne fçauroit fe paffer de la Religion. En vain un heureux inftinct porte au bien; une paffion violente s'éleve, 'elle a fa racine dans le même instinct : que fera-t-on pour la détruire? En vain tire-t-on, de la confidération de l'ordre, la beauté de la vertu; & fa bonté, de l'utilité commune que fait tout cela contre l'intérêt particulier? En vain la crainte de la honte ou du châtiment em pêche de faire du mal pour fon profit: il n'y a qu'à faire mal en fecret ; la vertu n'a plus rien à dire, & l'on punira comme à Sparte, non le délit, mais la mal-adresse. En vain, enfin, le caractere & l'amour du beau font empreints par la Nature au fond de l'ame; la regle fubfistera auffi long-tems qu'il ne fera point défiguré mais comment s'affurer de conferver toujours dans fa pureté cette effigie intérieure qui n'a point, parmi les êtres fenfibles, de modèle auquel on puiffe la comparer? Ne fçait-on pas que les affections defordonnées corrompent le jugement ainfi que la volonté, & que la confiance s'altere & fe modifie infenfiblement dans chaque fiècle, dans chaque peuple, dans chaque individu, seTon Pinconftance & la variété des préjugés ? FUYEZ ceux qui, fous prétexte d'ex pliquer la Nature, fement dans les cœurs des hommes de défolantes doctrines, & dont le fophifme apparent eft une fois plus affirmatif & plus dogmatique, que le ton décidé de leurs adverfaires. Sous le hautain prétexte qu'eux feuls font éclairés, vrais, de bonne foi, ils nous foumettent impérieufement à leurs décifions tranchantes, & prétendent nous donner, pour les vrais principes des chofes, les inintelligibles fyftêmes qu'ils ont bâtis dans leur imagination. Du refte, renverfant, détruifant, foulant aux pieds tout ce que les hommes refpectent, ils ôtent aux affligés la derniere confolation de leur mifere, aux puiffans & aux riches le feul frein de leurs paffions; ils arrachent du fond des cœurs le remords du crime, l'espoir de la vertu, & fe vantent encore d'être les bienfaiteurs du genre humain. Jamais, difent-ils, la vérité n'eft nuifible aux hommes ; je le crois comme eux; & c'est, à mon avis, une grande preuve que ce qu'ils enfei gnent n'eft pas la vérité. PAR les principes, la Philofophie ne peut faire aucun bien, que la Religion e le falle encore mieux; & la Religion en fait beaucoup, que la Philofophie ne fçauroit faire. IL eft indubitable que des motifs de Religion empêchent fouvent de mal faire ceux même qui ne la fuivent qu'en par-tie, & obtiennent d'eux des vertus, des actions louables, qui n'auroient point eu lieu fans ces motifs. LE Spectacle de la Nature, fi vivant, fi animé pour ceux qui reconnoiffent un Dieu, eft mort aux yeux de l'Athée; - & dans cette grande harmonie des êtres où tout parle de Dieu d'une voix fi dou→ ce, il n'apperçoit qu'un filence éternel. $ pour BAYLE a très-bien prouvé que le fanatifme eft plus pernicieux que l'athéif me,& cela eft inconteftable: mais ce qu'il n'a eu garde de dire, & qui n'eft pas moins vrai, c'eft que le fanatisme quoique fanguinaire & cruel, eft tant une paffion grande & forte qui éleve le cœur de l'homme, qui lui fait méprifer la mort, qui lui donne un reffort pro digieux, & qu'il ne faut que mieux diriger, pour en tirer les plus fublimes vertus au lieu que l'irreligion, & en général l'efprit raisonneur & philofoph que attache à la vie, effémine, avilit Les ames, concentre toutes les paffions dans la baffeffe de l'intérêt particulier, dans l'abjection du Mor humain, & sappeainfi, à petit bruit, les vrais fondemens de toute fociété; car ce que les intérêts particuliers ont de commun, eft peu de chofe, qu'il ne balancera jamais ce qu'ils ont d'oppofé. fi Si l'athéïfme ne fait pas verfer le fang des hommes, c'eft moins par amour pour la paix, que par indifference pour le bien. Comme que tout aille, peu importe au prétendu Sage, pourvû qu'il refte en repos dans fon cabinet. Ses principes ne font pas tuer les hommes; mais ils les empêchent de naître, en détruifant les mœurs qui les multiplient, en les détachant de leur efpece, en réduifant toutes leurs actions à un fecret égoïfme, auffi funefte à la population qu'à la vertu. L'indifference philofophique reffemble à la tranquillité de l'Etat fous le defpotifme: c'est la tranquillité de la mort; elle eft plus deftructive que la guerre même. AINSI le fanatifme, quoique plus funefte dans fes effets immédiats, que ce qu'on appelle aujourd'hui l'Esprit Philofophique, l'eft beaucoup moins dans fes conféquences. CHAPITRE IL XXXXXXXXXXXXXX I CHAPITRE II. MORAL E. DE LA CONSCIENCE. L existe pour toute l'efpece humain une regle antérieure à l'opinion. C'est à l'inflexible direction de cette regle, que fe doivent rapporter toutes les autres. Elle juge le préjugé même; & ce n'est qu'autant que l'eftime des hommes s'ac-, corde avec elle, que cette eftime doit faire autorité pour nous. La confcience eft le plus éclairé des Philofophes. On n'a pas befoin de fçavoir les offices de Ciceron, pour être homme de bien; & la femme du monde la plus honnête fçait peut-être le moins l'honnêteté. ce que c'est que TOUTE la moralité de nos actions eft dans le jugement que nous en portons nous-mêmes. S'il eft vrai que le bien foit bien, il doit l'être au fond de nos cœurs comme dans nos œuvres; & le premier prix de la juftice eft de fentir qu'on la pratique. Si la bonté morale eft conforme B |