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s'y mêle, bien-tôt nos fentimens fe corrompent; & c'eft alors feulement que nous préférons le mal qui nous eft utile, au bien que nous fait aimer la Nature.

L'AMOUR de foi, qui ne regarde qu'à nous, eft content quand nos vrais befoins font fatisfaits; mais l'amour-propre, qui fe compare, n'eft jamais content & ne fçauroit l'être, parce que ce fentiment, en nous préferant aux autres, exige auffi que les autres nous préferent à eux, ce qui eft impoffible. Voilà comment les paffions douces & affectueufes naiffent de l'amour de foi, & comment les paffions haineufes & irafcibles naiffent de l'amour- propre. Ainfi ce qui rend l'homme effentiellement bon, eft d'avoir peu de befoins, & de peu fe comparer aux autres; ce qui le rend effentiellement méchant, eft d'avoir beau coup de befoins, & de tenir beaucoup à P'opinion.

DU JEU.

E jeu n'eft point un amufement

d'un défœuvré. Je ne joue point du tout, étant folitaire & pauvre. Si j'étois riche, je jouerois moins encore; & feulement un très-petit jeu, pour ne voir point de mécontent, ni l'être. L'intérêt du jeu manquant de motif dans l'opulence, ne peut jamais fe changer en fureur que dans un efprit mal fait. Les profits qu'un homme riche peut faire au jeu lui font toujours moins fenfibles, que les pertes; & comme la forme des jeux modérés, qui en ufe le bénéfice à la longue, fait qu'en général ils vont plus en perte qu'en gain, on ne peut, en raifonnant bien, s'affectionner beaucoup à un amusement où les rifques de toute efpece font contre foi. Celui qui nourrit fa vanité des préférences de la fortune, les pet chercher dans des objets beaucoup plus piquans ; & ces préférences ne fe marquent pas moins dans le plus petit jeu que dans le plus grand.

Le goût du jeu, fruit de l'avarice &

de l'ennui, ne prend que dans un efprit & un cœur vuides; & il me femble que j'aurois affez de fentiment & de connoiffances, pour ne paffer d'un tel fupplément. On voit rarement les Penfeurs le plaire beaucoup au jeu, qui fufpend cette: habitude ou la tourne fur d'arides combinaifons: auffi l'un des biens, & peutêtre le feul qu'ait produit le goût des. fciences, eft d'amortir un peu cette paffion fordide; on aimera mieux s'exercer à prouver l'utilité du jeu, que de s'y livrer. Moi, je le combattrois parmi les joueurs; & j'aurois plus de plaifir à me moquer d'eux en les voyant perdre, qu'à leur gagner leur argent.

સેં

L

DE LA DANSE.

A maxime qui blâme la danse & les affemblées des deux fexes, paroît plus fondée fur le préjugé que fur la raifon. Toutes les fois qu'il y a concours. des deux fexes, tout divertiffement pu blic devient innocent, par cela même qu'il eft public; au lieu que l'occupation la plus louable eft fufpecte dans le

tête-à-tête. L'homme & la femme font deftinés l'un pour l'autre ; la fin de la Nature eft qu'ils foient unis par le mariage. Qu'on me dife où de jeunes perfonnes à marier auront occafion de prendre du goût l'une pour l'autre, & de fe voir avec plus de décence & de circonfpection, que dans une affemblée, où les yeux du public inceffamment tournés fur elles, les forcent às obferver avec le plus grand foin? En quoi Dieu eft il offenfé par un exercice agréable & falutaire, convena ble à la vivacité de la Jeuneffe, qui confifte à fe préfenter l'un à l'autre avec grace & bienséance, & auquel le fpectateur impofe une gravité dont perfonne n'oferoit fortir? Peut-on imaginer un moyen plus honnête de ne tromper perfonne, au moins quant à la figure, & de se montrer avec les agrémens & less défauts qu'on peut avoir, aux gens quit ont intérêt de nous bien connoître avant que de s'obliger à nous aimer? Le devoir de fe chérir réciproquement n'em---porte-t-il pas celui de fe plaire; & n'eft, ce pas un foin digne de deux perfonnes, vertueufes & chrétiennes quifongent à s'unir, de préparer ainfi leurs cours à l'amour mutuel que Dieu leur impofe

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QU'ARRIVE-T-IL dans ces lieux -où regne une éternelle contrainte, où l'on punit comme un crime la plus innocente gaieté, où les jeunes gens des deux fexes n'ofent jamais s'affembler en public, & où l'indifcrette févérité d'un Pafteurne fçait prêcher au nom de Dieu, qu'une gêne fervile, la tristeffe & l'ennui? On élude une tyrannie infupportable, que la Nature & la raifon défavouent. Aux plaifirs permis dont on prive une Jeuneffe enjouée & folâtre, elle en fubftitue de plus dangereux. Les tête-à-tête adroitement concertés prennent la place des affemblées publiques. A force de fe cacher comme fi l'on étoit coupable,on eft tenté de le devenir. L'innocente joie aime à s'évaporer au grand jour; mais le vice eft ami des ténèbres; & jamais l'innocence & le myftere n'habiterent long-tems enfemble. Encore un coup ce n'eft point dans les affemblées nombreufes,où tout le monde nous voit& nous écoute,mais dans des entretiens particuliers où regnent le fecret & la liberté, que les mœurs peuvent courir des rifques; & je ne vois pas pourquoi, en blâ~ mant les danfes, on furcharge la pure Morale d'une forme indifférente, aux dépens de l'effentiel.

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