fon la prévient, l'ouvrage eft manqué. Tel peuple eft difciplinable en naiffant; tel autre ne l'eft pas au bout de dix fiècles. Les Ruffes ne feront jamais vraiment policés,parce qu'ils l'ont été trop tôt. Pierre avoit le génie imitatif; il n'avoit pas le vrai génie, celui qui crée & fait tout de tien. Quelques-unes des chofes qu'il fit étoient bien; la plûpart étoient déplacées. Il a vû que fon peuple toit barbare ; il n'a point vû qu'il n'étoit pas mûr pour la police; il l'a voulu civilifer, quand il ne falloit que l'aguerrir. Il a d'abord voulu faire des Allemands, des Anglois, quand il falloit commencer par faire des Ruffes; il a empêché fes Sujets de jamais devenir ce qu'ils pourroient être, en leur perfuadant qu'ils étoient ce qu'ils ne font pas. C'eft ainfi qu'un Précepteur François forme fon éleve pour briller un moment dans fon enfance,&puis n'être jamais rien. L'Empire de Ruffie youdra, fubjuguer l'Europe, & fera fubjugué lui-même. Les Tartares, fes Sujets ou fes voifins, deviendront fes maîtres & les nôtres : cette révolution me paroît infaillible. Le droit politique eft encore à naître; & il eft à préfumer qu'il ne naîtra jamais. Grotius, le maître de tous nos Sçavans en cette partie, n'eft qu'un enfant, &, qui pis eft, un enfant de mauvaise foi, Quand j'entends élever Grotius jufqu'aux nues, & couvrir Hobbes d'exécration, je vois combien d'hommes fenfés lifent ou comprennent ces deux Auteurs. La vérité eft que leurs principes font exactement femblables. Le feul moderne en état de créer cette grande & inutile fcience, eût été l'illuftre Montefquieu. Mais il n'eut garde de traiter des principes du droit politique: il fe contenta de traiter du droit pofitif des gouvernemens établis ; & rien au monde n'eft plus différent que ces deux études. Celui pourtant qui veut juger fainement des gouvernemens tels qu'ils exiftent, est obligé de les réunir toutes deux; il faut fçavoir ce qui doit être, pour bien juger de ce qui eft. DES RO I S.. L'Hiftoire, n'ont pas été élevés pour Es plus grands Rois qu'ait célébré regner; c'eft une fcience qu'on ne poffede jamais moins, qu'après l'avoir trop apprife, & qu'on acquiert mieux en obéillant qu'en commandant, Le talent de regner confifte à être le garant de la loi, & à avoir mille moyens de la faire aimer. Un imbécille obéi peut, comme un autre, punir les forfaits; le véritable homme d'Etat fçait les prévenir: c'eft fur les volontés, encore plus que fur les actions, qu'il étend fon refpectable empire. S'il pouvoit obtenir que tout le monde fit bien, il n'auroit luimême plus rien à faire, & le chef-d'œuvre de ses travaux feroit de pouvoir refter oifif. C'EST par de bonnes loix, par une fage police, par de grandes vûes conomiques, qu'un Souverain judicieux eft fûr d'augmenter fes forces fans rien donner au hazard. Les véritables conquêtes qu'il fait fur fes voifins, font les établiffemens plus utiles qu'il forme dans fes Etats; & tous les Sujets de plus qui lui naiffent, font autant d'ennemis qu'il tue. QUE les Rois ne dédaignent pas d'admettre dans leurs Confeils les gens les plus capables de les bien confeiller; que les Sçavants du premier ordre trouvent dans leurs Cours d'honorables afyles; qu'ils y obtiennent la feule récompenfe digne d'eux, celle de contribuer par leur crédit au bonheur des peuples à qui ils plus auront enseigné la fageffe; c'eft alors feulement qu'on verra ce que peuvent la vertu, la fcience & l'autorité animées d'une noble émulation & travaillant de concert à la félicité du genre humain ; mais tant que la puiffance fera feule d'un côté, les lumieres & la fageffe feules d'un autre, les Sçavans penferont rarement de grandes chofes; les Princes en feront plus rarement de belles; & les peuples continueront d'être vils, corrompus & malheureux. S'IL eft bon de fçavoir employer les hommes tels qu'ils font, il vaut beaucoup mieux encore les rendre tels qu'on à befoin qu'ils forent: c'étoit-là le grand art des gouvernemens anciens, dans ces tems reculés où les Philofophes donnoient des loix aux peuples, & n'employoient leur autorité, qu'à les rendre fages & heureux. Formez done des hommes, fi vous voulez commander à des hommes; fi vous voulez qu'on obéiffe auz loix, faites qu'on les aime; & que, pour faire ce qu'on doit, il fuffife de fonger qu'on le doit faire: en un mot, faites regner la vertu. - Tous les Princes, bons ou mauvais, feront toujours baffement & indifférem ment loués tant qu'il y aura des courtifans & des gens de lettres. Quant aux Princes qui font de grands hommes, il leur faut des éloges plus modérés &mieux choifis. La flatterie offenfe leur vertu & la louange même peut faire tort à leur gloire. Trajan feroit beaucoup plus grand à mes yeux, fi Pline n'eût jamais écrit. L'OPINION, Reine du Monde, n'eft point foumise au pouvoir des Rois; ils font eux-mêmes fes premiers efclaves. DESLO I X. 'IL eft vrai qu'un grand Prince eft un homme rare, que fera-ce d'un grand Législateur? Le premier n'a qu'à fuivre le modèle que l'autre doit propofer. Celui-ci eft le méchanicien qui invente la machine; celui-là n'eft que l'ouvrier qui la monte & la fait marcher. LES anciens Légiflateurs mirent leurs décifions dans la bouche des Immortels, pour entraîner par l'autorité divine ceux que ne pourroit ébranler la prudence humaine. Mais il n'appartient pas à tour homme de faire parler les Dieux, ni |