mal connoître les hommes, que de croire qu'après s'être laiffé une fois féduire par le luxe, ils y puiffent jamais renoncer: ils renonceroient cent fois plutôt au néceffaire, & aimeroient encore mieux mourir de faim que de honte. L'augmen tation de la dépenfe ne fera qu'une nouvelle raifon de la foutenir, quand la vanité de fe montrer opulent fera fon profit du prix de la chose & des frais de la taxes Tant qu'il y aura des riches, ils voudront fe diftinguer des pauvres, & l'Etat ne fçauroit fe former un revenu moins onéreux ni plus affuré, que fur cette dif tinction. PAR la même raifon, l'induftrie n'aurolt rien à fouffrir d'un ordre œcono-. mique qui enrichiroit les finances, ranimeroit l'agriculture, en foulageant le laboureur, & rapprocheroit infenfiblement toutes les fortunes de cette médiocrité qui fait la véritable force d'un Erat. Il fe pourroit, je l'avoue, que • que les impôts contribuassent à faire passer plus rapidement quelques modes ; mais ce ne feroit jamais que pour en fubftituer d'au→ tres, fur lefquelles l'ouvrier gagneroit, fans que le fifc eût rien à perdre. En un mot, fuppofons que l'efprit du gouver nement foit conftamment d'affeoir toutes les taxes fur le fuperflu des richeffes, il arrivera de deux chofes l'une: ou les riches renonceront à leurs dépenses superflues pour n'en faire que d'utiles, qui retourneront au profit de l'Etat; alors l'affiette des impôts aura produit l'effet des meilleures loix fomptuaires ; les dépenfes de l'Etat auront néceffairement diminué avec celles des particuliers; & le fifc ne sçauroit moins recevoir de cette maniere, qu'il n'ait beaucoup moins encore à débourfer: ou, files riches ne diminuent rien de leurs profufions, le fifc aura dans le produit des impôts les reffources qu'il cherchoit, pour pourvoir aux befoins réels de l'Etat. Dans le premier cas, le fifc s'enrichit de toute la dépense qu'il a de moins à faire; dans le fecond, il s'enrichit encore de la dépenfe inutile des particuliers. It me paroît certain que tout ce qui n'eft pas profcrit par les loix, ni contraire aux mœurs, & que le gouvernement peut défendre, il peut le permettre moyennant un droit. Si, par exemple, le gouvernement peut interdire l'ufage des carroffes, il peut, à plus forte raifon, impofer une taxe fur les carros fes, moyen fage & utile d'en blâmer l'utage fans le faire ceffer. Alors, on peut regarder la taxe comme une espece d'amende, dont le produit dédommage de l'abus qu'elle punit. ON a ofé dire qu'il falloit charger le paysan, & qu'il ne feroit rien s'il navoit rien à payer. Mais l'expérience dément chez tous les peuples du Monde cette maxime ridicule. C'eft en Hollande, en Angleterre, où le cultivateur paye très-peu de chofe, & fur-tout à la Chine, où il ne paye rien, que la terre eft le mieux cultivée. Au contraire, par-tout où le laboureur fe voit chargé à proportion du produit de fon champ, il le laiffe on friche, ou n'en retire exactement que ce qu'il lui faut pour vivre. Car, pour qui perd le fruit de fa peine, c'eft gagner, que de ne rien faire; & mettre le travail à l'amende, eft-un moyen fort fingulier de bannir la pareffe. Si l'on dit que rien n'eft fi dangereux qu'un impôt payé par l'acheteur, ce qui fe fait cependant à la Chine, le pays du Monde où les impôts font les plus forts & les mieux payés, comment ne voiton pas que le mal eft cent fais pire en core, quand cet impôt eft payé par le cultivateur même. N'eft-ce pas attaquer là fubfiftance de l'Etat, jufques dans fa fource? N'est-ce pas travailler auffi directement qu'il eft poffible à dépeupler pays, & par conféquent à le ruiner à la longue Car il n'y a point, pour une Nation, de pire difette que celle d'hom le mes. Q DE LA POPULATION. UEL eft le figne le plus fûr de la confervation & de la profpérité d'un Etat? C'eft le nombre & la population de fes membres. Toutes chofes d'ailleurs égales, le gouvernement fous lequel, fans moyens étrangers, fans naturalisation, fans colonies, les citoyens peuplent & multiplient davantage, eft infailliblement le meilleur : celui par lequel un peuple diminue & dépérit, eft le pire. Calculateurs, comptez, mefurez, comparez. On doit juger, par le même principe, des fiécles qui méritent la préférence pour la profpérité du genre humain. On a trop admiré ceux où l'on a va fleurir les lettres & les arts, fans pénétrer l'objet fecret de leur culture, fans en confiderer le funefte effet. Ne verronsnous jamais, dans les maximes des livres, l'intérêt groffier qui fait parler les auteurs? Non; quoi qu'ils en puiffent dire, quand, malgré fon éclat, un pays fe dépeuple, il n'eft pas vrai que tout aille bien; & il ne fuffit pas qu'un Poëte ait cent mille livres de rente pour que fon fiècle foit le meilleur de tous. Quand Augufte porta des loix contre le célibat, ces loix montroient déja le déclin de l'Empire Romain. En un mot, dans tous pays qui fe dépeuple, l'Etat tend à fa ruine; & le pays qui peuple le plus, fût-il le plus pauvre, eft infailliblement le mieux gouverné. DES PLAISIRS DE LA CAMPAGNE. LE Es gens de ville ne fçavent pas aimer la campagne ; ils ne fçavent même y être à peine, quand ils y font, fçavent-ils ce qu'on y fait. Ils en dédaignent les travaux, les plaifirs; ils les |