également, & plus légerement logés, le dégât eût été beaucoup moindre, & peut-être nul? Tout eût fui au premier ébranlement, & on les eût vûs le lendemain à vingt lieues de-là, tout auffi gais que s'il n'étoit rien arrivé; mais il faut refter, s'opiniâtrer autour des mafures, s'expofer à de nouvelles fecouffes, parce que ce qu'on laiffe vaut mieux que ce qu'on peut emporter. Combien de malheureux ont péri dans ce défaftre, pour vouloir prendre, l'un fes habits l'autre fes papiers, l'autre fon argent Ne fçait-on pas que la perfonne de chaque homme eft devenue la moindre partie de lui-même, & que ce n'eft prefque pas la peine de la fauver, quand on a perdu tout le refte? ! L DE LA LIBERTÉ. E feul qui fait fa volonté eft celui qui n'a pas befoin, pour la faire, de mettre les bras d'un autre au bout des fiens; d'où il fuit, que le premier de tous les biens n'eft pas l'autorité, mais la liberté. L'homme vraiment libre ne veut que ce qu'il peut, & fait ce qu'il lui plaît. LA Providence a fait l'homme libre, afin qu'il fit, non le mal, mais le bien par choix, en ufant bien des facultés dont elle l'a doué: mais elle a tellement borné fes forces, que l'abus de la liberté qu'elle lui laiffe, ne peut troubler l'ordre général. Le mal que l'homme fait, retombe fur lui, fans rien changer au fyftême du monde, fans empêcher que Refpece humaine elle-même ne fe conferve malgré qu'elle en ait. Murmurer de ce que Dieu ne l'empêche pas de faire le mal, c'eft murmurer de ce qu'il la fit d'une nature excellente; de ce qu'il mit à fes actions la moralité qui les ennoblit; de ce qu'il lui donna droit à la vertu. La Puillance Divine pouvoitelle mettre de la contradiction dans notre nature, & donner le prix d'avoir bien fait à qui n'eut pas le pouvoir de mal faire? Quoi! pour empêcher l'homme d'être méchant, falloit-il le borner à l'inftinct & le faire bête? Non, Dieu de mon ame, je ne te reprocherai jamais de l'avoir faite à ton image, afin que je puffe être libre, bon & heureux comme toi. PE DE LA VE. Eu de gens, dit-on avec Erafme, voudroient renaître aux mêmes conditions qu'ils ont vécu ; mais tel tient fa marchandise fort haute, qui en rabattroit beaucoup, s'il avoit quelque efpoir de conclure le marché. D'ailleurs, qui eft-ce qui dit cela ? Des riches peut-être, raffaffiés de faux plaifirs, mais ignorant les véritables; toujours ennuyés de la vie, & toujours tremblant de la perdre peut-être des gens de lettres, de tous les ordres d'hommes le plus fédentaire, le plus mal-fain, le plus réfléchiffant, & par conféquent le plus malheureux. Veut-on trouver des hommes de meilleure compofition, ou du moins communément plus finceres, & qui, formant le plus grand nombre, doivent au moins pour cela être écouté par préférence ? Que l'on confulte un honnête Bourgeois, qui aura paffé une vie obfcure & tranquille, fans projets & fans ambition; un bon Artifan, qui vit commodément de fon mé tier; un Payfan même, non de France, où l'on prétend qu'il faut les faire mourir de mifere, afin qu'ils nous fallent vivre mais d'un pays libre. J'ofe pofer en fait, qu'il n'y a peut-être pas dans le haut Valais un feul Montagnard mécontent de fa vie prefque automate, & qui n'acceptât volontiers, au lieu même du Paradis, le marché de renaître fans ceffe, pour végéter ainfi perpétuellement. Ces différences me font croire, que c'eft fouvent l'abus que nous faifons de la vie, qui nous la rend à charge; & j'ai bien moins bonne opinion de ceux qui font fàchés d'avoir vécu, que de celui qui peut dire avec Caton: je ne me repens point d'avoir » vécu; car j'ai vécu de façon à pouvoir » me rendre ce témoignage, que je ne " fuis pas né en vain ». Cela n'empêche pas que le Sage ne puiffe quelquefois déloger volontairement, fans murmure & fans défefpoir, quand la Nature ou la fortune lui portent bien diftinctement l'ordre du départ. دو SELON le cours ordinaire des chofes, de quelques maux que foit femée la vie humaine, elle n'eft pas, à tout pren dre, un mauvais préfent; & fi ce n'eft pas toujours un mal de mourir, c'en est fort rarement un de vivre. VIVRE, ce n'eft pas refpirer, c'est agir; c'est faire ufage de nos organes, de nos fens, de nos facultés, de toutes les parties de nous-mêmes qui nous donnent le fentiment de notre existence. L'homme qui a le plus vécu,. n'eft pas celui qui a compté le plus d'années mais celui qui a le plus fenti la vie. Tel s'eft fait enterrer à cent ans, qui mourut dès fa naiffance. Il eût gagné de mourir jeune; au moins eût-il vécu jufqu'à ce tems-là. QUELQUE ingenieux que nous puiffions être à fomenter nos miferes à force de belles inftitutions, nous n'avons pû jufqu'à préfent, nous perfectionner au point de nous rendre genéralement la vie à charge, & de préférer le néant à notre existence; fans quoi, le découragement & le défefpoir fe feroient bientôt emparés du plus grand nombre, & genre humain n'eût pû fubfifter longtems. Or, s'il eft mieux pour nous d'être que de n'être pas, c'en feroit affez pour justifier notre existence, quand même Ie |