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nous n'aurions aucun dédommagement à attendre des maux que nous avons à fouffrir, & que ces maux feroient auffi grands que l'on nous les dépeint. Mais eft difficile de trouver, fur ce fujet, de la bonne foi chez les hommes, & de bons. calculs chez les Philofophes; parce que ceux-ci, dans la comparaifon des biens & des maux, oublient toujours le doux fentiment de l'exiftence, indépendam ment de toute autre fenfation, & que Fa vanité de méprifer la mort engage les autres à caloninier la vie; à-peu-prèscomme ces femmes qui, avec une robe tachée & des ciseaux, prétendent aimer mieux des trous que des taches..

Si nous étions immortels, nous ferions des êtres très-miférables. Il est dur de mourir, fans doute; mais il eft doux d'efpérer qu'on ne vivra pas toujours, & qu'une meilleure vie finira les peines de celle-ci. Si l'on nous offroit l'immortalité fur la terre, qui eft-ce qui voudroit accepter ce trifte préfent? Quelle reffource, quel efpoir, quelle confolation nous refteroit-il contre les rigueurs du fort, & contre les injuftices. des hommes ? L'ignorant qui ne pré

voit rien, fent peu le prix de la vie, & craint peu de la perdre; l'homme éclairé voit des biens d'un plus grand prix qu'il préfere à celui-là. Il n'y a que le demi-fçavoir & la fauffe fageffe qui prolongeant nos vues jufqu'à la mort, & pas au-delà , en font pour nous le pire des maux. La néceffité de mourir n'eft à l'homme fage, qu'une raison fupporter les peines de la vie. Si l'on n'étoit pas fûr de la perdre une fois, elle coûteroit trop à conferver.

pour

Il y a des événemens qui nous frappent fouvent plus ou moins, felon les faces fous lefquelles on les confidere, & qui perdent beaucoup de l'hor reur qu'ils infpirent au premier aspect, quand on veut les examiner de près. La Nature me confirme de jour en jour, qu'une mort accélèrée n'eft pas toujours un mal' réel, & qu'elle peut paffer queb quefois pour un bien relatif. De tant d'hommes écrafés fous les ruines de Lif bonne, plufieurs, fans doute, ont évite de plus-grands malheurs; & malgré ce qu'une pareille defcription a de tou chant, il n'eft pas fûr qu'un feul de ces infortunés ait plus fouffert, que fi, felon le cours ordinaire des chofes, il eût at

te du dans de longues angci Tes la mort qui l'eût venu surprendre. Eft-il une fin plus trifte que celle d'un mourant qu'on accable de foins inutiles, qu'un Notaire & des heritiers ne laiffent pas respirer, que les Medecins alfaffinent dans son lit à leur aise, & à qui des Prêtres barbares font avec art favourer la mort? Pour moi, je vois par - tour, que les maux auxquels nous affujettit la Nature, font beaucoup moins cruels que ceux que nous y ajoûtons.

LA grande erreur eft de donner trop d'importance à la vie, comme fi notre être en dépendoit, & qu'après la mort. on ne fût plus rien. Notre vie n'est rien aux yeux de Dieu; elle n'est rien aux yeux de la raifon : elle ne doit rien être. aux nôtres, & quand nous laiffons notre corps, nous ne faifons que pofer un vêtement incommode.

TANT qu'il nous eft bon de vivre, nous le defirons fortement; & il n'y a que le fentiment des maux extrêmes, qui puille vaincre en nous ce defir: car nous avons tous reçu de la Nature une trèsgrande horreur de la mort; & cette hor reur déguile à nos yeux les mifères de la condition humaine. On fupporte long

tems une vie pénible & douloureuse avant que de fe réfoudre à la quitter; mais quand une fois l'ennui de vivre l'emporte fur l'horreur de mourir, alors la vie eft évidemment un grand mal. Ainfi, quoiqu'on ne puiffe exactement affigner le point où elle ceffe d'être un bien, on fçait très certainement au moins, qu'elle eft un mal long-tems avant que de nous le paroître.

LES hommes difent que la vie est courte ; & je vois qu'ils s'efforcent de la rendre telle. Ne fçachant pas l'employer, ils fe plaignent de la rapidité du tems; & je vois qu'il coule trop lentement à leur gré. Toujours pleins de l'objet auquel ils tendent, ils voient à regret l'in tervalle qui les en fépare : l'un voudroit être à demain, l'autre au mois prochain, Fautre à dix ans de-là, nul ne veut vivre aujourd'hui; nul n'eft content de l'heure préfente; tous la trouvent trop lente à paffer. Quand ils fe plaignent que le tems coule trop vite, ils mentent; ils paieroient volontiers le pouvoir de l'accéIérer. Ils emploieroient volontiers leur fortune à confumer leur vie entiere; & il n'y en a peut-être pas un, qui n'eût réduit les ans à très-peu d'heures, s'il

eût été le maître d'en ôter, au grể dễ fon ennui, celles qui lui étoient à charge, & au gré de fon impatience, celles qui le féparoient du moment defiré. Tel paffe la moitié de fa vie à fe rendre de Paris à Verfailles, de Verfailles à Paris, de la ville à la campagne, de la campagne à la ville, & d'un quartier à l'autre, qui feroit fort embarraffé de fes heu res, s'il n'avoit le fecret de les perdre ainfi, & qui s'éloigne exprès de fes affaires, pour s'occuper à les aller chercher il croit gagner le tems qu'il y met de plus, & dont autrement il ne fçauroit que faire ; ou bien au contraire, il court pour courir, & vient en pofte, fans autre objet que de retourner de même. Mortels, ne cefferez-vous jamais de calomnier la Nature ? Pourquoi vous plaindre que la vie eft courte, puifqu'elle ne l'eft pas encore affez à votre gré? S'il eft un feul d'entre vous qui fçache mettre affez de tempérance à fes defirs pour ne jamais fouhaiter que lé tems s'écoule, celui-là ne l'effimera point trop courte. Vivre & jouir seront pour lui la même chose ; & dût-il mourir jeune, il ne mourra que raffafić do jours.

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