L DE LA VERT U. AVertu eft fi néceffaire à nos cœurs que quand on a une fois abandonné la véritable, on s'en fait enfuite une à fa mode, & l'on y tient plus fortement, peut-être, parce qu'elle eft de notre choix. EN fréquentant les perfonnes fages & vertueufes, leur afcendant nous gagne & nous touche infenfiblement ; le cœur fe met par degrés à l'uniffon des leurs, comme la voix prend, fans qu'or y fonge, le ton des gens avec qui l'on parle. On peut être bon, fans être pour cela un homme vertueux. Celui qui n'eft que bon, ne demeure tel qu'autant qu'il a du plaifir à l'être; là bonté se brite & périt fous le choc des paffions humai nes : l'homme qui n'est que bor, n'est bon que pour lui. QU'EST-CE donc que l'homme vertueux ? C'eft celui qui fçait vaincre fes affections. Car alors il fuit fa raifon fa confcience; il fait fon dévoir, il fa tient dans l'ordre, & rien ne l'en peur écarter. Commandez à votre cœur, & vous ferez vertueux. Il n'y a point de vertu fans combat. Le mot de vertu vient de force; la force eft la base de toute vertu. La vertu n'appartient qu'à un être foible par fa naEure & fort par la volonté; c'eft en cela que confifte le mérite de l'homme jufte :: & quoique nous appellions Dieu bon nous ne l'appellons point vertueux, parce qu'il n'a pas befoin d'efforts pour bien faire. Tant que la vertu ne coûte rien à pratiquer, on a peu befoin de la con-noître. Ce befoin vient, quand les paffons s'éveillent. RIEN n'eft plus aimable que la vertu mais il en faut jouir pour la trouver telle. Quand on la veut embraffer, femblable au Prothée de la Fable, elle prend d'abord mille formes effrayantes, & ne fe montre enfin fous la fienne qu'à ceux qui n'ont point lâché prife. Se plaire à bien faire, eft le prix d'avoir bien fait ; & ce prix ne s'obtient qu'après l'avoir mérité. LA jouiffance de la vertu eft toute intérieure, & ne s'apperçoit que par celui qui la fent: mais tous les avantages du vice frappent les yeux d'autrui ; & il n'y a que celui qui les a, qui fçache ce qu'ils lui coûtent. Si vous aimez fincérement la vertu,, apprenez à la fervir à fa mode, & non à la mode des hommes. Je veux qu'il en puiffe réfulter quelque inconvenient:: ce mot de vertu n'eft-il donc pour vous qu'un vain nom? Et ne ferez-vous vertueux que quand il n'en coûtera rien de Pêtre ? LE crime affiége fans ceffe l'homme le plus vertueux; chaque inftant qu'il vit, il eft prêt à devenir la proie du méchant ou méchant lui-même. Combattre & fouffrir, voilà fon fort dans le monde; mal faire & fouffrir, voilà celui du malhonnête homme. Dans tout le refte ils different entr'eux; ils n'ont rien de commun que les miferes & la vie. TEL fe pique de Philofophie & penfe être vertueux par méthode qui ne l'eft que par tempérament; & le vernis ftoïque qu'il met à fes actions, ne confifte qu'à parer de beaux raifonnemens le parti que le cœur fui a fait prendre. VEUT-ON fçavoir laquelle eft vraiment defirable, de la fortune ou de la Vertu : Il fuffit de fonger à celle que le cœur préfere, quand fon choix eft im→ partial, & à la quelle l'intérêt nous porte. En lifant l'Hiftoire, s'avife-t-on jamais de defirer les tréfors de Crésus, ni la gloire de Céfar, ni le pouvoir de Néron, ni les plaifirs d'Héliogabale? Pourquoi, s'ils étoient heureux, nos defirs ne nous mettent-ils pas à leur place? C'eft qu'ils ne l'étoient pas, & que nous le fentons bien; c'eft qu'ils étoient vils & méprifables, & qu'un méchant heureux ne fait envie à perfonne. Quels hommes contemplons-nous done avec plus de plaifir Auxquels aimons-nous mieux reffembler: Charme inconcevable de la beauté qui ne périt point! C'est P'Athénien bûvant de la cigüe, c'est Bfutus mourant pour fon pays, c'eft Régulus au milieu des tourmens, c'eft Caton déchirant fes entrailles; ce font tous ces vertueux infortunés qui nous font envie; & nous fentons au fond du cœur la félicité réelle que couvroient leurs maux apparens. Ce fentiment eft commun à tous les hommes, & fouvent même en dépit d'eux. Ce divin modèle, chacun de nous porte avec lui, nous enchante malgré que nous en ayons fi-tôt que la paffion nous permet de le que voir, nous lui voulons reffembler: & fi le plus méchant des hommes pouvoit être un autre que lui-même, il voudroit. être un homme de bien. IL n'eft pas fi facile qu'on pense de renoncer à la vertu. Elle tourmente long-tems ceux qui l'abandonnent, & fes charmes, qui font les délices des ames pures, font le premier fupplice du méchant qui les aime encore & n'en fçauroit plus jouir. LES vertus privées font fouvent d'autant plus fublimes, qu'elles n'afpirent point à l'approbation d'autrui, mais feulement au bon témoignage de foi-même: la confcience du jufte lui tient lieu des louanges de FUnivers. Nul ne peut être heureux, s'il ne jouit de fa propre eflime; car fi la véritable jouiffance de l'ame eft dans la contemplation du beau, comment le méchant peut-il l'aimer dans autrui, fans être forcé de fe haïr fui-même ? L'EFFET affuré des facrifices qu'on fait à la vertu, c'eft que s'ils coûtent fouvent à faire, il eft toujours doux de les avoir faits: on n'a jamais vû perfonne fe repentir d'une bonne action. QUAND les hommes innocens & vere |