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Içavent être émus que par des cris & des pleurs; les longs & fourds gémissemens d'un cœur ferré de détreffe ne leur ont jamais arraché de foupirs; jamais l'afpect d'une contenance abbattue, d'un vifage hâve & plombé, d'un œil éteint & qui ne peut plus pleurer, ne les fir pleurer eux-mêmes; les maux de l'ame ne font rien pour eux: ils font jugés, la leur ne fent rien: n'attendez d'eux que rigueur inflexible, endurciffement, cruauté. Ils pourront être integres & juftes; jamais clémens, généreux, pitoyables. Je dis qu'ils pourront être juftes, fi toutefois un homme peut l'être, quand il n'eft pas miféricordieux.

LES hommes n'euffent jamais été que des monftres, fi la Nature ne leur eût donné la pitié à l'appui de la raifon; c'eft de cette feule qualité, que décou lent toutes les vertus fociales. En effet qu'est-ce que la générofité, la clémence l'humanité; finon la pitié appliquée aux foibles, aux coupables, ou à Pefpece humaine en général? La bienveuillance & l'amitié même font, à le bien prendre, des productions d'une pitié conftante, fixée fur un objet particulier car defirer que quelqu'un ne

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fouffre point, qu'eft-ce autre chofe que defirer qu'il foit heureux ?

Il n'eft pas dans le cœur humain de fe mettre à la place des gens qui font plus heureux que nous, mais feulement de ceux qui font plus à plaindre.

UN excès de délicateffe n'offenfe les cœurs qui en manquent.

que

C'EST une très-grande cruauté envers les hommes, que la pitié pour les mé

chans.

DE LA BIENFAISANCE.

NE

'EST pas toujours bienfaisant qui veut ; & fouvent tel croit rendre de grands fervices, qui fait de grands maux qu'il ne voit pas, pour un petit bien qu'il apperçoit. C'eft que les foins que l'on prend pour le bonheur d'autrui, doivent être dirigés, autant qu'il eft poffible, par la fageffe, afin qu'il n'en réfulte jamais d'abus.

L'OCCASION de faire des heureux eft plus rare qu'on ne pense; la punition de l'avoir manquée eft de ne la plus retrouver; & l'ufage que nous en faisons nous

laiffe

Jaille un fentiment éternel de contentement ou de repentir.

L'INGRATITUDE feroit plus rare,fi les bienfaits à ufure étoient moins communs. On aime ce qui nous fait du bien; c'eft un fentiment fi naturel! L'ingratitude n'eft pas dans le cœur de l'homme; mais l'intérêt y eft: il y a moins d'obligés ingrats, que de bienfaiteurs intéreffés. Si vous me vendez vos dons je marchanderai fur le prix; mais fi vous feignez de donner, pour vendre enfuite à votre mot, vous ufez de fraude c'est d'être gratuits qui les rend ineftimables. Le cœur ne reçoit de loix que de lui-même; en voulant l'enchaî ner on le dégage; on l'enchaîne en la laiffant libre.

QUAND le pêcheur amorce l'eau, le poiffon vient, & refte autour de lu Tans défiance; mais quand, pris à l'hameçon caché fous l'appas, il Tent retirer la ligne, il tache de fuir. Le pêcheur eft-il le bienfaiteur? le poiffon eft-il l'ingrat? Voit-on jamais qu'un homme oublié par fon bienfaiteur l'oublie ? Au contraire, il en parle toujours avec plai fir; il n'y fonge point fans attendrille ment. S'il trouve occafion de lui mon

D

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trer par quelque fervice inattendu, qu'ilˇ fe reffouvient des fiens, avec quel contentement intérieur il fatisfait alors fa gratitude! Avec quelle douce joie il se fait reconnoître! Avec quel transport il lui dit: mon tour eft venu! Voilà vraiment la voix de la Nature: jamais un vrai bienfait ne fit d'ingrat.

LA reconnoiffance eft bien un devoir qu'il faut rendre, mais non pas un droit qu'on puiffe exiger.

Qui eft-ce qui ne fait pas du bien? Tout le monde en fait, le méchant comme le autres; il fait un heureux aux dépens de cent miférables, & de-là viennent toutes nos calamités. Ainfi le précepte de faire du bien feroit luimême dangereux, faux, contradictoire, s'il n'étoit pas fubordonné au plus important de tous, qui eft de ne jamais faire de mal à perfonne. Celui-ci eft fans doute plus fublime, mais il eft auffi plus difficile à pratiquer; & il en eft de même de toutes les vertus négatives, parce qu'elles font fans oftentation, & au-deffus même de ce plaifir fi doux au cœur de l'homme, de renvoyer un autre content de nous.O quel bien fait néceffairement à fes femblables celui d'en

tr'eux, s'il en eft un, qui ne leur fait jamais de mal! De quelle intrépidité d'ame, de quelle vigueur de caractere il a befoin pour cela! Ce n'eft pas en raifonnant fur cette maxime, c'est en tâchant de la pratiquer, qu'on fent combien il eft grand & pénible d'y réussir.

Il n'y a que l'exercice continuel de lá bienfaifance, qui garantiffe les meil leurs cœurs de la contagion des ambitieux un tendre intérêt aux malheurs d'autrui fert à mieux en trouver la fource, & à s'éloigner en tout fens des vices qui les ont produits.

S'IL eft des bénédictions humaines que le Ciel daigne exaucer, ce ne font point celles qu'arrachent la flatterie & la baffeffe en préfence des gens qu'on loue; mais celles que dicte en fecret un cœur fimple & reconnoiffant. Voilà l'encens qui plaît aux ames bienfaifantes.

UN homme bienfaisant satisfait mal fon penchant au milieu des villes, où il ne trouve prefque à exercer fon zèle que pour des intriguans ou pour des fri pons.

Il ne feroit pas plus aifé à une ame fenfible & bienfaifante d'être heureuse en voyant des miférables, qu'à l'hom

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