me droit de conferver fa vertu toujouf pure, en vivant fans ceffe au milieu des méchans. Une ame de ce caractere n'a point cette pitié barbare, qui fe contente de détourner les yeux des maux qu'elle pourroit foulager; elle les va chercher pour les guérir. C'eft l'exiftence & non la vue des malheureux qui la tourmente: il ne lui fuffit pas de ne point fçavoir qu'il y en a; il faut, pour fon repos, qu'elle fçache qu'il n'y en a pas, du moins autour d'elle: car ce feroit fortir des termes de la raifon, que de faire dépendre fon bonheur de celui de tous les hommes. NUL honnête homme ne peut jamais fe vanter d'avoir du loifir, tant qu'il y aura du bien à faire, une Patrie à fervir, des malheureux à foulager. LES premiers befoins, ou du moins les plus fenfibles, font ceux d'un cœur bienfaifant; & tant que quelqu'un manque du néceffaire, quel honnête homme a du fuperflu? Ce n'eft pas d'argent feulement qu'ont befoin les infortunés: & il n'y a que les pareffeux de bien faire, qui ne fçachent faire du bien que la bourse à la main. Les confolations, les confeils, les foins, les amis, la protection, font autant de reffources que la commifération laiffe au défaut des richeffes, pour le soulagement de l'indigent. Souvent les opprimés ne le font, que parce qu'ils manquent d'organe pour faire entendre leurs plaintes; il ne s'agit quelquefois que d'un mot qu'ils ne peuvent dire, d'une raifon qu'ils ne fçavent point expofer, de la porte d'un Grand qu'ils ne peuvent franchir. L'intrépide appui de la vertu défintéreffée fuffit pour lever une infinité d'obftacles; & l'éloquence d'un homme de bien peut effrayer la tyrannie au milieu de toute fa puiffance. Si vous voulez donc être homme en effet, apprenez à redefcendre. L'humanité coule comme une eau pure & falutaire, & va fertilifer les lieux bas; elle cherche toujours le niveau, elle laiffe à fec ces roches arides qui menacent la campagne, & ne donnent qu'une ombre nuifible ou des éclats pour écrafer leurs voifins. Il n'y a que les infortunés qui fentent le prix des ames bienfaifantes. SANS fçavoir ce que les pauvres font à l'État, s'ils lui font plus onéreux que tant d'autres profeffions qu'on encou rage & qu'on tolere, je fçais qu'ils font tous mes freres, & que je ne puis, fans une inexcufable dureté, leur refuser le foible fecours qu'ils me demandent. La plûpart font des vagabonds, j'en conviens; mais je connois trop les peines de la vie, pour ignorer par combien de malheurs un honnête homme peut fe trouver réduit à leur fort; & comment puis-je être fûr que l'inconnu qui vient implorer au nom de Dieu mon assistance, & mendier un pauvre morceau de pain, n'eft pas, peut-être, cet honnête homme prêt à périr de mifere, & que mon refus va réduire au défefpoir? Quand l'aumône qu'on leur donne ne feroit pas pour eux un fecours réel, c'eft au moins un témoignage qu'on prend part à leur peine, un adouciffement à la dureté du refus, une forte de falutation qu'on leur rend. Une petite monnoie, un morceau de pain ne coûtent guères plus à donner, & font une réponse plus honnête qu'un Dieu vous affifte. Comme fi les dons de Dieu n'étoient pas dans la main des hommes, & qu'il eût d'autres greniers fur la terre, que les magazins des riches. Enfin, quoi qu'on puiffe penfer de ces infortunés, fi l'on ne doit rien au gueux qui mendie, au moins fe doiton à foi-même de rendre honneur à l'Humanité fouffrante ou à fon image, & de ne point s'endurcir le cœur à l'afpect de fes miferes. Il ne faut pas encourager les pauvres à fe faire mendians; mais quand une fois ils le font, il faut les nourrir, de peur qu'ils ne fe faffent voleurs. Un liard eft bien-tôt demandé & refufé; mais vingt liards auroient payé le souper d'un pauvre, que vingt refus peuvent impatienter. Qui eft-ce qui voudroit jamais refufer une fi légere aumône, s'il fongeoit qu'elle peut fauver deux hommes, l'un d'un crime, l'autre de la mort? J'Alû quelque part que les mendians font une vermine qui s'attache aux riches. Il eft naturel en effet que les enfans s'attachent aux peres: mais ces pères opulens & durs les méconnoiffent, & laiffent aux pauvres le foin de les nourrir. DE LA MITI É. Es ames humaines veulent être ac Lcouplées pour valoir tout leur prix & la force unie des amis, comme celle des lames d'un aimant artificiel, eft incomparablement plus grande, que la fomme de leurs forces particulieres. Divine amitié, c'eft-là ton triomphe! RIEN n'a tant de poids fur le cœur humain, que la voix de l'amitié bien reconnue; car on fçait qu'elle ne nous parle jamais que pour notre intérêt. On peut croire qu'un ami fe trompe; mais non qu'il veuille nous tromper : quelquefois on réfifte à fes confeils; mais jamais on ne les méprife. IL eft des amitiés circonfpectes qui, craignant de fe compromettre, refufent des confeils dans les occafions difficiles, & dont la réferve augmente avec le péril des amis; mais une amitié vraie ne connoît point ces timides précautions. LES Confolations indifcrettes ne font qu'aigrir les violentes afflictions. L'indifference & la froideur trouvent aifé |