Images de page
PDF
ePub

au gré de fa paffion. Mais tout ce preftige difparoît devant l'objet même : rien n'embellit plus cet objet aux yeux du poffeffeur; on ne fe figure point ce qu'on voit: l'imagination ne pare plus rien de ce qu'on poffède : l'illufion ceffe où commence la jouiffance. Le pays des chimeres eft, en ce Monde, le feul digne d'être habité.

L

DE LAMOUR.

'AMOUR en lui-même eft-il un crime? N'eft-il pas le plus pur ainfi que le plus doux penchant de la Nature? N'a-t-il pas une fin bonne & louable? Ne dédaigne-t-il pas les ames baffes & rampantes? N'anime-t-il pas les ames grandes & fortes? N'annoblit-il pas tous leurs fentimens? Ne double-t-il pas leur être? Ne les éleve-t-il pas au-deffus d'elles-mêmes? Ah! fi pour être honnête & fage, il faut être inacceffible à fes traits, que refte-t-il pour la vertu fur la terre? Le rebut de la Nature & les plus vils des mortels.

ÖN doit diftingner le moral du phyfique dans le fentiment de l'amour. Le phyfique eft ce defir général qui porte

un fexe à s'unir à l'autre; le moral eff ce qui détermine ce defir, & le fixe fur un feul objet exclufivement, ou qui du moins lui donne pour cet objet préferé un plus grand degré d'énergie. Or il eft aifé de voir que le moral de l'amour est en effet un fentiment factice, né de ľufage de la fociété.

Au refte, ce choix, qu'on met en oppofition avec la raifon, nous vient d'elle. On a fait l'Amour aveugle, parce qu'il a de meilleurs yeux que nous, & qu'il voit des rapports que nous ne pouvons appercevoir. Pour qui n'auroit nulle idée de mérite ni de beauté, toute femme feroit également bonne ; & la premiere venue feroit toujours la plus aimable. Ainfi, loin que l'amour vienne de la Nature, il eft la regle & le frein de fes penchans: c'eft par lui, qu'excepté l'objet aimé, un sexe n'eft plus rien pour l'autre. Cet amour, quoi qu'on en dife, fera toujours honoré des hommes car bien que emportemens nous égarent, bien qu'il n'exclue pas du cœur qui le fent, des qualités odieufes, & même qu'il en produife; il en fuppofe pourtant toujours d'eftimables, fans lefquelles on feroit hors d'état de le fentir.

fes

La veritable amour eft le plus chaste de tous les liens, C'eft lui, c'eft fon feu divin qui fçait épurer nos penchans naturels, en les concentrant dans un feul objet. Pour une femme ordinaire, tout homme est toujours un homme; mais pour celle dont le cœur aime, il n'y a point d'homme que fon amant. Que dis-je? Un amant n'eft-il qu'un hom→ me? Ah! qu'il eft un être bien plus fublime! Il n'y a point d'homme pour celle qui aime; fon amant eft plus, tous les autres font moins elle & lui font les feuls de leur efpece. Ils ne defirent pas, ils aiment. Le cœur ne fuit point les fens, il les guide; il couvre leurs égaremens d'un voile délicieux. Le vé, ritable amour, toujours modefte, n'arrache point les faveurs avec audace; il les dérobe avec timidité. Le myftere," le filence, la honte craintive, aiguifent & cachent fes doux tranfports; fa flamme honore & purifie toutes fes careffes; la décence & l'honnêteté l'accompagnent au fein de la volupté même; & lui feul fçait tout accorder aux defirs, fans rien ôter à la pudeur.

C'EST une erreur cruelle de croire que l'amour heureux n'a plus de mena

gement à garder avec la pudeur, & qu'on ne doit plus de refpect à celles dont on n'a plus de rigueur à craindre,

L'AMOUR eft privé de fon plus grand charme quand l'honnêteté l'abandonne. Pour en fentir tout le prix, il faut que le cœur s'y complaife, & qu'il nous éleve en élevant l'objet aimé. Otez. l'idée de la perfection, vous ôtez l'enthoufiafme ôtez l'eftime, & l'amour n'eft plus rien.

L'ACCORD de l'amour & de l'innocence femble être le Paradis fur la terre; c'est le bonheur le plus doux, & l'état Le plus délicieux de la vie. Nulle crainte, nulle honte ne trouble la félicité des amans qui jouiffent; au fein des vrais plaifirs de l'amour, ils peuvent parler de la vertu fans rougir.

Il n'y a point de véritable amour fans enthousiasme, & point d'enthousiasme fans un objet de perfection réel ou chimérique, mais toujours exiftant dans l'imagination. De quoi s'enflammeroient des amans pour qui cette perfection n'eft plus rien, & qui ne voient dans ce qu'ils aiment; que l'objet du plaifir des fens? Non; ce n'est pas ainfi que l'ame s'échauffe, & fe livre à ces transports

Tublimes qui font le délire des amans & le charme de leur paffion.

Tour n'eft qu'illufion dans l'amour, il est vrai; mais ce qui eft réel, ce font les fentimens dont il nous anime pour le vrai beau qu'il nous fait aimer. Ce beau n'eft point dans l'objet qu'on aime; il est l'ouvrage de nos erreurs. Eh! qu'importe En facrifie-t-on moins tous fes Tentimens bas à ce modèle imaginaire? En pénetre-t-on moins fon cœur des vertus qu'on prête à ce qu'il cherit? S'en détache-t-on moins de la baffeffe du Moi humain? Où eft le véritable amant qui n'eft pas prêt à immoler fa vie à fa maitreffe; & où eft la passion groffiere dans un homme qui veut mourir? Nous nous moquons des Paladins! C'eft qu'ils connoiffoient l'aniour, & que nous ne connoiffons plus que la débauche. Quand ces maximes romanefques commencerent à devenir ridicules, ce changement fut moins l'ouvrage de la raifon, que celui des mauvaises mœurs.

L'AMOUR fenfuel ne peut fe paffer de la poffeffion, & s'éteint par elle. Le veritable amour ne peut se passer du cœur, & dure autant que les rapports qui l'ont fait naître : mais quand ces rapports

« PrécédentContinuer »