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acerées, pour ne pas s'atirer un défa÷ ftre infaillible de la part des cruels Miniftres d'un Empire fi violent. Enfin Domitien ayant jeté fa Cour dans la derniere coruption, & porté la tyranie jufqu'au plus haut point de l'ordure & de la cruauté, Juvenal qui écrivoit fous ce Regne odieux, & qui étoit naturélement Orateur & fécond Réthoricien, n'a pu s'empêcher de prendre un ton de déclamateur indigné pour reprendre les vices énormes de fon temps & l'excés auquel ils étoient montés, & l'a fait foit en ataquant directement les vicieux, foit dans les peintures afreufes tirées des Regnes précédens, comme les proftitutions de Meffaline, la chûte de Sejan, & d'une infinité d'autres qu'il ne rapeloit que pour doner de l'horreur de celles qui fe cométoient à la Cour débordée de Domitien qu'il a lui-même raillé fi amèrement,

Voilà ce qui fait effentiélement la diference des caracteres de ces trois

grans Hommes, tous trois admirables dans leurs maniéres & excélens dans leurs genres. Mais fi j'ofe expliquer mon fentiment, je trouve trois chofes qui me font préferer Perfe aux deux autres.

La premiere, c'est qu'il paroît vifiblement dans fes Satires qu'il a non feulement infiniment plus d'efprit, mais qu'il étoit un Philofophe plus fage & plus acompli qu'Horace & Juvenal, & il ne faut pour cela que lire fa cinquième Satire adreffée à Cornutus fon Maître, dans laquelle il dit des chofes d'une morale fi belle, qu'un Auteur chrétien ne pourroit pas fur certaines matieres parler mieux.

La feconde eft, que la route qu'il a prife pour compofer fes Satires en les envelopant de voiles perpétuels pour paroître dire quelquefois toute autre chofe que ce qu'il fembloit expliquer, a été plus dificile à exécuter que non pas de badiner finement dans une Cour paisible, ou de déclamer en Orateur

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contre des proftitutions éfrenées.

Et la troifiéme enfin, c'eft céte multitude de chofes infinies dites en fi peu de mots, qu'il n'y en a prefque pas un feul qui ne foit un mystère. Ce qui montre de deux choses l'une, ou qu'il a employé un travail inconcevable dans fes compofitions, ou qu'il avoit un génie des plus fublimes.

A quoi l'on peut ajoûter que Juve nal ayant vêcu prés de quatre-vingts ans, & Horace prés de foixante, & Perfe étant mort à trente ans, dans l'âge que les autres n'avoient pas encore pensé à faire aucune Satire, il eft à préfumer que s'il eût vécu autant que les deux autres, il nous auroit doné bien d'autres ouvrages.

Cependant il y en a qui eftiment plus Horace & Juvenal par la raison qu'ils femblent avoir plus de conformité à nos mœurs, & qu'ainfi on les conçoit mieux, & font plus aifez à traduire, foit en profe, foit en vers; ils paffent même plus loin, & préten

dant qu'une verfion de Perfe feroit absolument impoffible dans notre Langue, ou qu'elle paroîtroit tellement éloignée de nos mœurs, que nous n'en etirerions aucun plaifir ni aucun profit.

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Mais je répons qu'il eft vrai que Perfe eft fi rempli de métaphores adrétes dans toutes les expreffions, & que la Langue Françoife done fi peu dans ces métaphores, qu'il y auroit de l'abfurdité de vouloir entreprendre une traduction de cet Auteur en profe fans une longue parafrafe & fans de grandes circonlocutions, fi l'on vouloit exprimer toute l'énergie de fes épithetes, ou des termes fous lefquels il en a voulu fous-entendre d'autres, Que quant aux vers, comme il parle d'une infinité de chofes qui convenoient au fiécle dans lequel il écrivoit & qui ne conviennent plus au nôtre, il y auroit peu d'agrément à le fuivre pas à pas dans une traduction. Je paffe même plus loin, & dis que cette traduction paroîtroit ridicule.

Mais fi touchant une fimple version à la lettre il à cette dificulté prefqu'infurmontable, il a auffi un plus grand avantage pour ces fortes de tradu &tions qui font en quelque maniere de fimples imitations, que pour une exa&te verfion, parceque fon feu & son genie fecond fournit une multitude infinie de pensées, de forte qu'en apliquant aux manieres modernes de notre fiécle ce qu'il dit du fien, l'on peut en faire une traduction non feulement trés-bonne, mais trés-agréable.

C'est ce dont le Lecteur jugera par celle que je lui done, dont une partie avoit été déja vûe du public; mais l'impreffion en ayant été interrompue, je les done toutes ensemble & fans être entremêlées d'autres chofes comme celles qui ont parû avec de petites avantures qu'on y avoit jointes. Si cette traduction plaît, on pourra dans peu de tems voir celle de quelques Sa+ tires d'Horace plus aifées à accomoder au goût moderne.

PERSE

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