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PREFACE.

ES Anciens ont inventé deux fortes de Satires, ils ont mis l'une fur le Théatre, & l'ont animée de la reprefentation des

vicieux dont ils ont voulu jouer le ridicule. C'est ce qu'ils ont apelé Comédie, dont l'anciene Gréque étoit plus libre & plus mordante, & la nouvelle imitée par les Romains étoit plus retenue & plus circonfpecte.

Le feul Moliere parmi nous a sçu trouver le fin de cété forte de Satire, ceux qui l'ont précédé n'en avoient pas le moindre goût, & ceux qui l'ont voulu fuivre ont tombé dans de fi honteuses petiteffes, qu'il est étonant comment on y peut rire & les écouter. Moliere lui-même n'a pas tou

jours réuffi, & a télement outré & avili fes peintures lorsqu'il a voulu quiter le fin moral pour grimacer populairement, que les délicats trouvent une distance infinie entre fon Mifantrope, fon Impofteur, fon Ecole des femmes, & autres de ce goût, & fes piéces qui quitent la naiveté du vrai portrait, pour doner dans les boufoneries des Scaramouches & des Arlequins.

ce fut

L'autre maniere de fatirifer qu'ont eue les Anciens par de petits poëmes en forme de difcours remplis de cenfures & de moralitez, aufquels ils ont doné directement le nom de Satire, de laquelle on peut dire qu’aucun François, hors l'illuftre Monfieur Defpreaux, n'a pû jusqu'ici ateindre le fin ni le bon tour; car pour ce qui eft de Regnier, il eft télement impur, & rampe le plus fouvent dans des fujets fi bas, qu'un homme fi peu qu'il foit délicat, ne peut ni ne doit le métre au rang des bons Auteurs.

Rome a eu un grand nombre de Satiriques, il eft fâcheux

que l'injure des tems nous ait envié & ravi les ouvrages de Lucile : les Anciens du meilleur goût le vantent trop pour ne nous pas faire préfumer que nous y trouverions des peintures agréables & fines de Lupus, de Mutius, & d'une infinité d'autres ridicules qu'il a raillez; & comme il a ri & compofé fes Satires du tems que la Republique étoit dans fa plus grande liberté, & que les trois Satiriques qui nous reftent, n'ont paru que depuis l'efclavage de Rome fous la puiffance des premiers Empereurs, nous aurions difcerner les goûts differens d'un fiécle de liberté & d'un fiécle reduit à la fervitude.

En effet la difference qui fe trouve entre Horace, Perse & Juvenal, qui font les trois feuls Satiriques que Rome nous a laissez, nous fait fenfiblement remarquer par la maniere dont ils ont écrit, la diference des génies

des trois Cours d'Augufte, de Neron, & de Domitien fous lefquels ils ont vêcu. Je fçais bien que chacun de ces trois Grans & fameux Auteurs a fuivi la pente naturéle de fon propre génie, qu'Horace étoit naturélement plaifant, délicat, adroit Courtisan & fin railleur: Que Perfe étoit un fage & profond Philofophe ennemi des vices & du goût gâté de fon fiẻcle, d'un efprit pétulant & qui fe plaifoit à parler par figures & par métaphores; mais que pour Juvenal c'étoit un génie fecond, grand parleur, Orateur vif, & bilieux déclamateur. Ainfi tous trois ont écrit felon leur propre caractere, mais en même-tems il faut avouer qu'ils ont tous trois écrit comme ils le devoient, fuivant l'état auquel fe trouvoient & Rome & la Cour des Maîtres fous lefquels ils vivoient.

Augufte s'étant par la Bataille d'A&tium & par la défaite d'Antoine rendu le Maître paifible & abfolu de l'Univers, étoit doux, tranquile, ver

tueux

aimant la joie, & balançant même s'il rendroit à la République fa liberté ; il avoit reglé fa Cour fur fes propres fentimens: de forte qu'il ne faut pas s'étoner fi Horace n'ayant point de grans vices à reprendre, mais feulement le ridicule de quelques hommes de fon tems, a fait des Satires fines, délicates, douces & tournées de manière qu'il femble plutôt se jouer avec ses amis que de les vou

loir mordre.

La Cour de Neron gouvernée par des femmes & par des afranchis, étoit au contraire fourbe, perfide, fastueuse, débauchée, dangereufe à la vertu; mais cependant fine, politique, & fpirituéle, quoique d'un efprit gâté & corompu. Ainfi Perfe pour entrer dans la cenfure du génie de céte Cour *a dû faire deux chofes, l'une de prendre la févérité grave d'un vrai Philofophe, pour reprendre les defordres de fon tems, & l'autre de cacher fous des voiles obscurs fes flèches les plus

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