Images de page
PDF
ePub

de l'amitié; entre Agamemnon et Achille, celui de l'orgueil irrité;,entre Zamti et Idamé, celui de l'héroïsme et de l'amour maternel.

ter

Tantôt c'est un simple danger, mais pressant, rible, inconnu à celui qui en est menacé. L'acteur ressemble alors au voyageur qui va marcher sur un serpent, ou qui, la nuit, va tomber dans un précipice; telle est la situation de Britannicus lorsqu'il se confie à Narcisse; telle et plus effroyable encore est la situation d'Edipe, cherchant le meurtrier de Laïus; telle est la situation de Mérope et d'Iphigénie sur le point d'immoler, l'une son fils, l'autre son frère.

Tantôt c'est comme un orage qui gronde sur la tête du personnage intéressant, ou un naufrage au milieu duquel il est au moment de périr: l'horreur du danger lui est connue, mais sans espoir d'y échapper: telle est la situation d'Hécube, d'Andromaque, de Clytemnestre, à qui on arrache leurs enfans.

Les situations comiques sont les momens de l'action qui mettent plus en évidence l'adresse des fripons, la sottise des dupes, le foible, le travers, le ridicule enfin du personnage qu'on veut jouer. Pour exemples de ces situations comiques se présentent en foule les scènes de Molière, et ces exemples sont la preuve que le comique de situation est presqu'indépendant des détails et du style, pour en rire jusqu'aux éclats; il suffit de se rappeler même confusément les situations de l'École des Maris, du Tartuffe, de l'Avare, des Deux-Sosies, de Georges Dandin, etc.

Le premier soin du poète, dans l'un ou l'autre genre, doit donc être de former son intrigue de situations touchantes ou plaisantes par elles-mêmes, sans se flatter que les détails, l'esprit, le sentiment et l'éloquence même, puissent jamais y suppléer. Son action ainsi disposée, qu'il prenne soin d'y joindre les développemens que la situation demande et que la nature lui indique ; qu'il y emploie le langage propre aux caractères, aux mœurs, à la qualité des personnes, il aura presque atteint le but de l'art; mais ce n'est pas assez, s'il n'a de plus observé les passages, les gradations d'une situation à l'autre; et c'est la grande difficulté.

On

On réussit plus communément à inventer des situations qu'à les bien amener et à les bien lier ensemble. La crainte d'être froid et languissant fait quelquefois qu'on les brusque et qu'on les entasse; alors le naturel, la vraisemblance, l'intérêt même, n'y sont plus. Ce n'est point par secousses que l'ame des spectateurs veut être émue : un coup de foudre imprévu les étonne, mais ne fait que les étourdir pour que l'orage imprime sa terreur, il faut qu'il soit gradué, qu'on l'ait vu se former de loin, et qu'on l'ait entendu gronder.

C'est peu même de savoir amener les situations avec vraisemblance et les graduer avec art; quand le personnage y est engagé, il faut savoir l'en faire sortir, soit pour le tirer de péril ou de peine au moment que l'action l'exige, soit pour l'engager dans une situation ou plus tragique ou plus risible encore.

Dans Cinna, Rodogune, Alzire, lorsque Emilie et Cinna sont convaincus de trahison, lorsque Zamore a tué Gusman et qu'il est pris, lorsqu'Antiochus a le poison sur les lèvres, on se demande par quels prodiges échapperoientils à la mort ? Et la clémence d'Auguste, la religion de Gusman, l'idée qui se présente à Rodogune de faire faire l'essai de la coupe, viennent dénouer tout naturellement ce qui paroissoit insoluble.

Quant aux situations passagères, la réponse de Chimène :

Malgré des feux si beaux qui troublent ma colère,
Je ferai mou possible à bien venger mon père;
Mais, malgré la rigueur d'un si cruel devoir,
Mon unique souhait est de ne rien pouvoir.

est un modèle accompli des plus heureuses solutions.

Dans le comique, un excellent moyen de sortir d'une situation qui paroît sans ressource, c'est la ruse qu'emploie la femme de Georges Dandin, lorsqu'elle fait semblant de se tuer, et qu'elle réussit, par la frayeur qu'elle lui cause, à le mettre dehors et à rentrer chez elle.

Le moyen qu'emploie Isabelle dans l'École des Maris, pour empêcher Sganarelle d'ouvrir la lettre :

Lui voulez-vous donner à croire que c'est moi?
Tome X.

X

n'est ni moins naturel ni moins ingénieux, et il est d'un plus fin comique.

Mais le prodige de l'art, pour se tirer d'une situation difficile, c'est ce trait de caractère du Tartuffe :

Oui, mon frère, je suis un méchant, un coupable,
Un malheureux pécheur, tout plein d'iniquité,
Le plus grand scélérat qui jamais ait été.

Ce seroit là le dernier degré de perfection du comique, si, dans la même pièce et après cette situation, on n'en trouvoit une encore plus étonnante: je parle de celle de la table, au-delà de laquelle on ne peut rien imaginer.

(M. MARMONTEL.)

SIXTE QUINT.

PAPE, et l'un des hommes célèbres du seizième siècle, naquit, le 13 décembre 1521, dans un village de la Marche d'Ancone, appelé les Grottes, près du château de Montalte. Son père, qui étoit un vigneron fort pauvre, ne pouvant le nourrir, l'avoit mis très-jeune entre les mains d'un laboureur, qui lui donna le soin de conduire ses moutons. Il s'acquitta mal de cet emploi; on le punit en lui faisant garder les pourceaux. Félix Péretti, c'est ainsi qu'il s'appeloit, aperçut un jour un religieux cordelier, qui, se trouvant entre plusieurs chemins, ne savoit lequel prendre pour aller à Ascoli. Péretti courut à lui, et non seulement lui indiqua la route de cette ville où il alloit prêcher le carême, mais voulut encore l'accompagner. Les réponses vives et ingénues de cet enfant prévenoient en sa faveur. Le religieux lui permit de le suivre, et le conduisit au couvent des cordeliers d'Ascoli. Péretti y obtint bientôt, à force de prières et de larmes, l'habit de frère convers. Il témoigna une si grande passion pour l'étude, qu'on l'instruisit; il étudia la grammaire, et montra de si heureuses dispositions qu'on le reçut enfin au nombre des novices. Frère Félix devint en peu de temps bon grammairien et habile philosophe. Son humeur altière et chagrine le fit haïr de ses inférieurs, de ses égaux et de ses supérieurs. Ceux-ci le punirent souvent, et furent plusieurs fois sur le point de le chasser de l'ordre. On rapporté ce trait de son caractère violent. Quelques religieux, pour le mortifier, contrefaisoient le cri du cochon aussitôt qu'ils l'apercevoient. Frère Félix, souffrant impatiemment cette plaisanterie cruelle, dit tout haut qu'il casseroit la tête à celui qui lui feroit cette insulte. Il se saisit aussitôt d'un gros bâton où étoient attachées les clés de l'église. Le neveu du provincial, peu effrayé de cette menace, s'avisa de répéter les mêmes cris. Frère Félix courut à lui en lui disant: « Puisque tu imites si mal le cri du cochon, c'est à moi à >>te l'apprendre, » et lui déchargea en même temps le paquet de clés sur la tête. Le coup fut si violent que le

pauvre religieux tomba presque mort. Félix fut mis en prison; mais, comme il avoit été le premier insulté, il obtint sa grace.

On a lieu de s'étonner, en lisant son histoire, que, malgré les brigues et les efforts de ses ennemis, malgré la pétulance et l'indocilité de son caractère, il ait su, par son mérite et son adresse, franchir tous les obstacles, et s'élever de grade en grade jusqu'au généralat de son ordre: il obtint ensuite un évêché, puis le cardinalat. Il avoit changé alors son nom de Félix Péretti en celui de Montalte, et l'on peut croire que ce changement de nom, en faisant oublier les premières années de sa vie, ne contribua pas peu à son élévation. Lorsqu'il se vit revêtu de la pourpre, la tiare devint l'objet de sa sourde ambition. Mais, pour mieux surprendre les cardinaux en état de s'opposer à son élection, et flatter ceux qui pouvoient espérer de régner sous son nom, il changea son humeur, et affecta une manière de vivre qui sembloit l'éloigner de la connoissance des affaires. Il ne sortoit de la retraite qu'il s'étoit choisie que pour aller voir des malades. Il caressoit tout le monde, distribuoit des aumônes, donnoit modestement son ayis dans les consistoires où il étoit appelé, fuyoit les charges et les honneurs, penchoit, dans toutes les occasions, pour le parti le plus modéré, affectoit d'être dépourvu d'esprit et de lumières les cardinaux, dupes de son artifice, ne l'appeloient que l'âne de la Marche et la bête romaine.

Montalte s'efforçoit sur-tout de paroître succomber sous le poids de l'âge et des infirmités; il se donnoit beaucoup plus d'années qu'il n'en avoit, tenoit son corps courbé sur un bâton, et sa tête appuyée sur une épaule. Ses yeux paroissoient presque éteints, ses jambes trembloient sous lui; lorsqu'il étoit obligé de faire quelques visites, il s'arrêteit à plusieurs reprises sur l'escalier pour prendre haleine; quand il étoit entré dans les appartemens, il différoit de parler comme pour avoir le temps de respirer; il racontoit en détail toutes ses infirmités, et faisoit de temps en temps des retraites pour se préparer, disoit-il, à une mort qu'il sentoit prochaine. Lorsque Grégoire XIII mourut, plusieurs brigues se formèrent; le cardinal de Montalte les favorisa toutes, ou plutôt ne tint à aucune. Il flattoit chaque

« PrécédentContinuer »