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A-t-on essayé cette démonstration, et peut-on l'essayer? Peut-on dire un seul mot en faveur de cette thèse étrange, surtout quand on a contre soi l'écrasant témoignage du sens commun, et le témoignage absolu des vérités idéales et abstraites, et la constitution de la raison, laquelle, dans l'ordre abstrait et absolu, aurait l'usage de ses deux mouvements, de ses deux procédés, et qui, dans l'ordre réel, n'en aurait plus l'usage, et n'aurait plus qu'un bras, qu'un œil, qu'une aile, en un mot qu'une demi-logique ?

Et c'est vous qui soutenez que tout réel est idéal, et que tout idéal est réel! S'il en est ainsi, j'ai directement démontré le contraire de la thèse que vous êtes en demeure de prouver. Si le réel est le calque de l'idéal, alors il y a aussi dans le réel comme dans l'idéal, tantôt identité, et tantôt différence; en d'autres termes, les différences sont tantôt réductibles, tantôt irréductibles à l'identité.

Or je prie mes lecteurs de remarquer que ceci est une démonstration, et j'ajoute, une démonstration claire; et je demande dans quel livre et dans quel chapitre les Sophistes, depuis cinquante ans, ont fait, sur ces questions, une démonstration claire. Je consens même qu'elle soit obscure. S'il en existe une, qu'on la cite.

De bonne foi, voilà la vérité, voilà le sens commun, et voilà la vraie science.

Les choses sont telles que le dit Pascal, lorsqu'il parle de la distinction absolue des trois mondes, et de leur incommensurabilité. Il les déclare séparés de nature, et par une distance infinie.

Écoutez ce génie complet, aussi puissant d'intuition que de logique, écoutez-le: voici qu'il pose la différence irréductible et radicale, ou la différence infinie, entre les trois mondes: Dieu, les esprits et les corps.

α

« La distance infinie des corps aux esprits,

figure la distance infiniment plus infinie des << esprits,» au monde supérieur qui est Dieu.

<< De tous les corps ensemble, on ne saurait ti<< rer la moindre pensée. Cela est impossible, et « d'un autre ordre. Tous les corps et tous les esprits ensemble ne sauraient produire un mou<< vement de vraie et divine charité. Cela est impossible et d'un autre ordre. >>

Et n'est-ce pas là le résumé de toute la métaphysique d'Aristote?

<«< Il y a trois substances, deux naturelles, l'autre immuable. >>

Et n'est-ce pas là aussi le sens de la première

parole biblique. « Au commencement Dieu créa

« le ciel et la terre? » Au commencement Dieu créa

l'esprit et la matière, dit le quatrième concile de

Latran.

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Donc encore, il y a Dieu, il y a l'homme et il y a le monde, trois essences, trois substances, trois natures radicalement, infiniment distinctes, comme sont, dans l'ordre abstrait, les incommensurables. Et c'est ici que revient notre preuve par l'ab

surde.

Supposez toute chose identique. Que s'ensuitil? La vérité du système des Sophistes ou système de l'identité. L'identité de tous les êtres entraîne logiquement l'identité de toutes les notions. Et par le fait c'est la conséquence que les Sophistes en ont tirée, aujourd'hui aussi bien qu'autrefois. Alors la doctrine de l'identité est la vérité même, comme le disent les Sophistes. Alors la formule métaphysique absolue et fondamentale, la formule

logique essentielle, c'est l'identité des contraires et des contradictoires. Or cette identité des contraires et des contradictoires est la propre formule de l'absurde. Donc le système de l'identité des trois mondes, que discernent le sens commun, la science et la philosophie, ce système conduisant à l'absurde, par le fait, comme par la logique, il s'ensuit que ces grands objets sont distincts. Ainsi le panthéisme est réduit à l'absurde, et par l'histoire et par logique.

la

Et, par le fait, le panthéisme est aujourd'hui détruit par la critique.

Nous avons donc bien Dieu, l'homme et le monde, et l'on ne peut confondre ces trois termes dans l'identité.

Quelqu'un peut-il nier cela? Quelqu'un le niet-il aujourd'hui ? Où donc se réfugie l'erreur? Le voici :

On accorde l'absolue et radicale distinction qui existe entre Dieu et le monde. Et voici l'abîme, en effet, qu'on y trouve. C'est que le monde est le réel, l'imparfait, le concret, et que Dieu est l'abstrait, le parfait, l'idéal. Le monde existe, et Dieu n'existe pas.

Du panthéisme on fuit dans l'athéisme, mais on ne peut pas s'y cacher. On l'essaye, mais en vain.

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