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CHAPITRE IV.

Il est un écrivain que l'on nomme parfois « le métaphysicien » de cette école, et dont les autres acceptent en effet et répètent les formules. C'est l'auteur de l'Histoire critique de l'école d'Alexandrie et du livre intitulé la Métaphysique et la Science.

Homme du plus honorable caractère et de la plus entière bonne foi, il s'est précipité avec une ardente conviction, dans le gouffre de la métaphysique hégélienne, emporté par l'espoir de sauver et de renouveler l'esprit humain.

Certes on ne peut dire de lui:

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Quoi qu'il en soit, voici ce qui est arrivé. Daus ce gouffre, qu'on me permette de le déplorer, cet esprit a été dissous.

Jetons les yeux sur les deux ouvrages dus à la plume de cet écrivain. L'un et l'autre de ces ouvrages soutiennent en théorie, et pratiquent dans le fait, l'abolition de la différence entre l'affirmation et la négation. L'auteur est convaincu qu'il faut, sur tout sujet, affirmer le oui et le non. Et dans ses deux ouvrages il donne, mieux qu'aucun homme en France, le précepte et l'exemple. Pour abréger, nous chercherons dans le premier des deux ouvrages, l'exemple seulement, et le précepte dans le second.

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Mais avant cela, il faut ici répondre à la perpétuelle question que l'on s'adresse en lisant ces auteurs. Est-ce donc l'erreur absolue? Y a-t-il erreur absolue dans un groupe d'hommes qui veulent penser? Je réponds non, pas plus qu'il n'y a de monstre absolu. Tout monstre se rattache au type par quelques rapports simples que la science. a déterminés. Toute erreur se rattache au vrai par quelque rapport simple qu'il faut déterminer.

Mais quelle est donc ici la vérité qu'on pervertit, et le rapport du faux au vrai? Quel est le fondement de la doctrine qui ramène à l'identité toute différence, opposition, contradiction, soit dans les choses, soit dans les idées? Le voici.

Comme tout monstre a pour base l'organisme vivant, toute erreur a pour base première la

raison.

Or la raison est essentiellement une force qui cherche l'unité. Saint Augustin avait dit cela. Je l'ai développé avec détail, en Logique, et dans la Connaissance de l'âme.

Voilà le premier fondement du système de l'identité : la raison est une force qui cherche l'unité.

cause,

Mais comment la raison cherche-t-elle l'unité ? Elle la cherche de deux manières. Elle cherche à ramener à l'unité de substance la multitude des phénomènes, ou bien à l'unité de loi, à l'unité de la multitude des faits. La raison cherche, soit l'unité consubstantielle des phénomènes dans la substance, soit l'unité hiérarchique des effets dans la cause. La raison cherche, dans le premier cas, l'unité qui est identité, et, dans le second cas, l'unité qui est harmonie. C'est pour cela précisément qu'il y a deux principes logiques essentiels.

C'est pour cela, comme on l'a dit, que la raison a des pieds et des ailes, marchant tantòt par voie d'identité, pour aller des phénomènes à la substance, tantôt par voie de transcendance, pour aller de l'effet à la cause.

Or, voici la genèse de la doctrine de l'identité. Cette doctrine mutile la raison en lui coupant les ailes. Elle voit que la raison cherche en tout l'unité. C'est vrai. Mais elle n'analyse pas assez, et ne voit pas que la raison a deux manières de chercher l'unité. Elle supprime la plus importante.

Le point de départ de cette déviation de la philosophie fut, au commencement du siècle, un grand élan vers l'unité. Il y avait une force dans cet élan. Mais, comme on l'a remarqué pour la vie physiologique, toute force nouvelle qui se développe, se développe d'abord avec excès. L'élan vers l'unité fut si aveugle que, confondant les deux démarches naturelles et nécessaires de la raison, l'on ne vit plus que l'identité. On y réduisit tout. On supprima les ailes de la raison. On fit un monstre par mutilation.

Mais la raison se révoltant et voulant cependant opérer son autre mouvement nécessaire, on fit une dialectique retournée qui alla de l'être au néant au lieu d'aller de la nature à Dieu. Alors ce

monstre par mutilation devint en outre un monstre par renversement. C'est ce que j'ai expliqué ailleurs.

Mais, je l'espère, cette inspiration d'unité qu'avait reçue l'esprit humain au début de ce siècle, ne sera pas détruite par ces excès. L'inspiration est bonne et sainte. Tous les amis de la philosophie doivent la recueillir avec respect. Quant à moi, c'est ce que j'ai fait toute ma vie. Je sais l'œuvre que Hegel eût dû faire, et j'y travaille selon mes forces. Je sais que l'esprit et la science, en s'élevant, se simplifieront, et verront l'unité, identité ou harmonie, là où l'on n'avait vu qu'inexplicable diversité. Je sais qu'il y a des dissonances qui concordent dans l'harmonie ; je sais qu'il y a des contradictions, non point réelles, mais apparentes, qui se résolvent dans l'identité. Hegel avait dit un mot vrai : « Il est temps que l'idée « de la Trinité entre enfin dans la science. » Oui, ce grand dogme de la pluralité vivante dans l'unité de l'essence divine, est l'un des types éternels de la science. Il est temps qu'on en sache exploiter le trésor.

Mais ces progrès auxquels l'esprit humain, si dispersé, si divisé, aspirait par impulsion divine, au début de ce siècle, ces progrès ne pourront

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