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TEXTE H,

RELATIF AU LIVRE PREMIER, CHAPITRE VIo, N° v.

LES SCIENCES DE LA NATURE ET LES
SCIENCES HISTORIQUES

PAR ERNEST RENAN.

Revue des Deux-Mondes, 15 octobre 1863. — P. 771-772.

De la longue histoire que nous connaissons, pouvonsnous tirer quelque induction sur l'avenir? L'infini du temps sera après nous comme il a été avant nous, et dans des milliards de siècles l'univers différera de ce qu'il est aujourd'hui autant que le monde d'aujourd'hui diffère du temps où ni terre ni soleil n'existaient 1. L'humanité a commencé, l'humanité finira. La planète Terre a commencé, la planète Terre finira. Seulement ni l'être ni la conscience ne finiront. Il y aura quelque chose qui sera à la conscience actuelle ce que la conscience actuelle est à l'atome". Et d'abord l'humanité, avant d'avoir épuisé sa planète, et subi d'une façon totale l'effet du refroidissement du soleil, peut compter sur plu

1 Non. Il y a, entre rien et quelque chose, un abîme d'un autre ordre qu'entre les différents états des choses.

2 Non. Il y a encore, entre l'atome et la conscience, un abime d'un autre ordre qu'entre les différents états de la conscience.

sieurs millions de siècles. Que sera le monde quand un million de fois se sera reproduit ce qui s'est passé depuis 1763, quand la chimie, au lieu de quatre-vingts ans de progrès, en aura cent millions? Tout essai pour imaginer un tel avenir est ridicule et stérile. Cet avenir sera cependant. Qui sait' si l'homme ou tout autre être intelligent n'arrivera pas à connaître le dernier mot de la matière, la loi de la vie, la loi de l'atome? Qui sait si, étant maître du secret de la matière, un chimiste prédestiné ne transformera pas toute chose? Qui sait si, maître du secret de la vie, un biologiste omniscient n'en modifiera pas les conditions; si un jour les espèces naturelles ne passeront pas pour des restes d'un monde vieilli, incommode, dont on gardera curieusement les restes dans les musées? Qui sait, en un mot, si la SCIENCE INFINIE n'amènera pas LE POUVOIR INFINI, selon le beau mot baconien : « Savoir, c'est pouvoir? » L'être en possession d'une telle science et d'un tel pouvoir sera vraiment maître de l'univers. L'espace n'existant plus pour lui, il franchira les limites de sa planète. Un seul pouvoir gouvernera réellement le monde : ce sera la science, ce sera l'esprit.

Dieu alors sera complet, si l'on fait du mot Dieu le synonyme de la totale existence. En ce sens, Dieu sera plutôt qu'il n'est : il est in fieri, il est en voie de se faire. Mais s'arrêter là serait une théologie fort incomplète. Dieu est plus que la totale existence; il est en même

1 «<

Qui sait ? » Prenez garde à ce petit mot cinq fois répété. Vous allez voir sortir de là, au bout de dix lignes, ces simples assertions, savoir : que, par le progrès de la chimie, l'homme acquerra la science infinie, par conséquent le pouvoir infini, et dès lors sera Dieu.

Vous voyez, dans cette page, les choses se continuer du néant à l'atome, de l'atome à la conscience, de la conscience à la science infinie, au pouvoir infini, à Dieu.

temps l'absolu. Il est l'ordre où les mathématiques, la métaphysique, la logique, sont vraies; il est le lieu de l'idéal, le principe vivant du bien, du beau et du vrai. Envisagé de la sorte, Dieu est pleinement et sans réserve; il est éternel et immuable, sans progrès ni devenir1.

1 Ce dernier alinéa enseigne, comme on le voit, qu'il y a deux DIEUX. C'est la doctrine de M. Vacherot, dans le livre intitulé la Métaphysi que et la Science. Les deux Dieux sont parfaitement distincts, comme on le voit, puisque l'un est en voie de se faire, et ne sera complet que quand l'homme, par les progrès de la chimie et de la biologie, aura trouvé la science infinie et le pouvoir infini. L'autre Dieu, au contraire, est pleinement et sans réserve. Ce dernier, selon M. Vacherot, est le vrai Dieu, éternel, immuable, absolu, mais purement abstrait. M. Renan commet une faute énorme dans son école, en appelant ce dernier le principe vivant du bien, car, selon l'École, c'est l'autre qui est le Dieu vivant, mais fini, imparfait et en voie de se faire.

C'est donc ainsi que les nouveaux penseurs traitent la philosophie.

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«La famille, qu'elle provînt d'un ou de plusieurs mariages, était assez nombreuse. Jésus avait des frères

" et des sœurs1 dont il semble avoir été l'aîné 2. Tous << sont restés obscurs; car il paraît que les quatre

'Matth., XII, 46 et suiv.: « Ecce mater ejus et fratres ejus stabant « foris......... quæ est mater mea et qui sunt fratres mei? » XIII, 55 et suiv.: << Nonne hic est fabri filius? Nonne mater ejus dicitur Maria, et « fratres ejus Jacobus et Joseph et Simon et Judas? Et sorores ejus nonne « omnes apud nos sunt? » — Marc, III, 31 et suiv.: « Et veniunt mater

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ejus et fratres, et foris stantes miserunt ad eum..... » — VI, 3: : << Nonne hic est faber, filius Mariæ, frater Jacobi et Joseph et Judæ et Simonis ? « Nonne et sorores ejus hic nobiscum sunt? » Luc, VIII, 19 et suiv.: « Venerunt autem ad illum mater et fratres ejus. Jean, 11, 12: « Ipse, <«<et mater ejus et fratres ejus et discipuli ejus. » — Dixerunt « autem ad eum fratres ejus. -5: « Neque enim fratres ejus credebant « in eum. » — 10: « Ut autem ascenderunt fratres ejus.

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VII, 3:

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Act.; 1,

« 14: « Ibi omnes erant..... cum mulieribus et Maria matre Jesu et fratribus

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2 Matth., 1, 25: « Et non cognoscebat eam, donec peperit filium suum

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personnages qui sont donnés comme ses frères, et parmi lesquels un au moins, Jacques, est arrivé à une grande importance dans les premières années du développement du christianisme, étaient ses cousins germains. Marie, en effet, avait une sœur nommée aussi Marie', qui épousa un certain Alphée ou Cléophas (ces «< deux noms paraissent désigner une même personne)2 «<et fut mère de plusieurs fils qui jouèrent un rôle considérable parmi les premiers disciples de Jésus. Ces «< cousins germains, qui adhérèrent au jeune maître pendant que ses vrais frères lui faisaient de l'opposition3, prirent le titre de frères du Seigneur. Les vrais frères « de Jésus n'eurent d'importance, ainsi que leur mère,

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y a là

Les deux sœurs portant le même nom sont un fait singulier. Il probablement quelque inexactitude, venant de l'habitude de donner presque indistinctement aux Galiléennes le nom de Marie.

2 Ils ne sont pas étymologiquement identiques. Alpatos est la transcription du nom syro-chaldaïque Halphaï; Kλwñãç ou Kλɛóñɑç est une forme écourtée de Kλɛóлατρoç. Mais il pouvait y avoir substitution de l'un à l'autre, de même que les Joseph se faisaient appeler « Hégésippe, » les Eliakim « Alcimus », etc.

3 Jean, vii, 3 et suiv.: « Dixerunt autem ad eum fratres ejus: Transi << hinc et vade in Judæam... >>

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En effet les quatre personnages qui sont donnés (Matth., x111, 55 : Nonne hic est fabri filius ? Nonne mater ejus dicitur Maria, et fratres ejus Jacobus et Joseph et Simon et Judas? Marc, vi, 3: « Nonne hic « est faber, filius Mariæ, frater Jacobi et Joseph et Judæ et Simonis? ») « comme fils de Marie, mère de Jésus, se retrouvent ou à peu près comme fils de Marie et de Cléophas (Matth., xxvi1 *, 56 : « Inter quas erat Maria Magdalene, et Maria Jacobi et Joseph mater, et mater filiorum ZebeMarc, xv, 40: « Erant autem et mulieres de longe adspicientes, inter quas erat Maria Magdalene, et Maria Jacobi minoris et Joseph mater. Galat., 1, 19: « Alium autem apostolorum vidi nemi"nem nisi Jacobum fratrem Domini. - Epist. Jud., I, 1: « Judas, Jesu

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* Il faut aussi citer Matth., X, 3. « Jacobus Alphæi, » et Joan. XIX, 25. «Sta

« bant autem juxta crucem Jesu mater ejus et soror matris ejus, Maria Cleophæ « et Maria Magdalene. »

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