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jour, à l'effet de constater la nature des symptômes, de suivre la maladie, s'exprime à peu près ainsi : « Le malade, couché dans son lit, dit qu'il se trouve mieux; sa parole est ferme, l'intelligence nette; pas de douleur à la région épigastrique, mème à la pression; langue naturelle; respiration normale; toutefois avec cet ensemble rassurant, deux symptômes fixent surtout notre attention, la petitesse extrême et l'irrégularité du pouls et des battements du cœur, qui sont à peine appréciables, le froid glacial des extrémités. Ces symptômes, qui ne sont pas sans inquiétude, peuvent bien provenir d'une forte affection morale, mais dépendre aussi de l'ingestion d'un poison. Je pense qu'il est nécessaire, à l'avenir, de conserver toutes les matières des évacuations, afin qu'elles soient soumises à l'analyse. Ces matières donnèrent en effet de l'arsenic.

Dans tous les cas où des symptômes graves, insolites, ne peuvent recevoir d'autre interprétation, même dans ceux où il s'élève des soupçons, on doit, à l'exemple de M. Andral, recueillir les matières des déjections, les urines, la présence du poison dans ces matières étant un des signes le plus certain de l'empoisonnement. Voici un rapport où les experts ont été requis à l'effet de suivre la maladie, de diriger le traitement dans un empoisonnement multiple par des petits gâteaux feuilletés, au centre desquels se trouvait de la confiture saupoudrée d'acide arsénieux, et envoyés par le sieur Aimé à ses deux maîtresses, dans le but de se venger de leur dédain. Par des circonstances particulières, plusieurs autres personnes en ont été victimes.

RAPPORT (Relation des Effets ).

Le 3 janvier 1848, en suite d'une ordonnance de M. le procureur de la république, qui nous invite, non-seulement à visiter diverses personnes qui auraient été empoisonnées par l'arsenic, mais encore à leur donner des soins avec le médecin trai

tant, nous nous sommes rendus rue de la Victoire, no 33, chez le concierge de ladite maison, où nous avons trouvé trois personnes malades, père, mère et un enfant de dix ans, nommés Legorjeu.

Renseignements.La demoiselle Emma, logée au quatrième étage, avait l'habitude d'envoyer des gâteaux à la famille Legorjeu, quand elle en recevait ou en achetait. En ayant reçu plusieurs, à six heures de l'après-midi, elle en fit descendre quelques-uns par sa bonne, demi-heure après. A peine chacun d'eux avait-il mangé environ la moitié d'un gâteau, que la fille Emma leur fit dire de s'en abstenir, attendu qu'elle se trouvait incommodée depuis qu'elle en avait mangé.

Demi-heure après le repas, la femme Legorjeu est prise de vomissements, et le mari de malaise. Cependant il peut aller chercher un médecin pour secourir son enfant, chez lequel les vomissements étaient incessants. Le père en eut bientôt après. Tous éprouvèrent, en outre des évacuations alvines, les symptômes suivants: prostration, abattement, crampes, coliques, engourdissement des membres, altération profonde des traits, à un point tel qu'on eût dit la femme atteinte du choléra le plus violent; oppression très-grande, difficulté extrême de respirer, battements tumultueux du cœur, petitesse extrême du pouls, refroidissement des extrémités.

Chez l'enfant, les vomisseinents et les évacuations alvines ont été nombreux et ont persisté pendant trente-six heures, mais le calme est survenu. Les autres symptômes ont peu à peu perdu de leur intensité, et aujourd'hui, 3 janvier, le maladę est levé, se trouve bien, a commencé à prendre des aliments.

Les vomissements et les évacuations alvines ont été moins nombreux chez le père, mais il a perdu la sensibilité de la moitié du corps. Aujourd'hui il est levé, assis, dans un état de faiblesse très-marqué: il sent son bras et sa jambe, mais le bras est encore lourd, sans force. Le malade a pris un peu de bouillon.

Chez la femme, les accidents ont été plus intenses: elle a, dit-on, vomi plus de cent fois, a eu des crampes, des convulsions continuelles, ce n'est qu'aujourd hui qu'elle se trouve un peu mieux; cependant elle est au lit, très-prostrée, abattue, le pouls petit et faible, sans chaleur notable à la peau.

La demoiselle Emma, qui a mangé deux gâteaux et demi, á

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eu, depuis ce moment, des vomissements, des évacuations alvines incessantes; elle a été encore deux fois à la garde-robe. Aujourd'hui, elle ne peut supporter aucun liquide sans le vomir aussitôt son ingestion dans l'estomac. Elle est au lit, avec une certaine réaction. Il y a de la chaleur à la peau; le pouls est élevé, fébrile. Il est encore lent chez les trois autres malades.

Le 4 janvier, nous nous sommes réunis à MM. Roussel et Dufour, pour nous entendre sur les soins à donner aux malades de la rue de la Victoire.

L'enfant Legorjeu est complétement rétabli. L'état du père et de la mère s'est amélioré. La secrétion urinaire s'est rétablie chez la femme, et chez les deux la réaction s'est décidée et le pouls relevé.

La demoiselle Emma, fille Yvert, est un peu mieux. Nous avons fait recueillir les urines, qui commencent à se montrer, afin de les analyser. La diarrhée a cessé, les vomissements ont diminué. Nous convenons du traitement à suivre et prenons rendez-vous pour le 6, à une heure.

Le même jour, nous nous sommes transportés à l'hôpital Beaujon, pour visiter la fille Restaut, salle Sainte-Marie, no 38, âgée de vingt à vingt-deux ans, domestique chez la fille Yvert. Quoiqu'elle n'ait mangé que la moitié d'un gâteau, le 31 décembre au soir, elle est en proie aux accidents les plus graves, a eu des évacuations alvines, des vomissements incessants. Les crampes, les convulsions, la difficulté de respirer, les battements impétueux du cœur, n'ont pas cessé d'amener une violente perturbation dans sa santé; cependant la secrétion urinaire a eu lieu aujourd'hui pour la première fois, ce qui dénote une extrême amélioration, mais sa figure est encore fort altérée.

Le 6 janvier, à une heure de l'après-midi, nous nous sommes réunis pour visiter la famille Legorjeu et la fille Yvert. L'amélioration est très-marquée chez tous. La fille Yvert entre en convalescence; elle a pris hier un bouillon. Il en est de même du sieur Legorjeu, chez lequel les accidents se sont presque complétement dissipés. L'état de la femme s'est aussi amélioré; elle entre en convalescence. Il ne saurait donc plus exister de craintes sur la vie de ces individus, que nous laissons aux soins du docteur Roussel. La fille Restaut est aussi beaucoup mieux qu'il y a deux jours; elle commence à uriner; les

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vomissements ont cessé à partir d'hier onze heures du matin. Son état actuel ne nous laisse plus de crainte.

Conclusions.-Toutes les personnes que nous avons visitées, et dont il est fait mention dans ce rapport, ont présenté les symptômes d'un empoisonnement arsenical. Toutes ont été gravement malades, surtout la fille Restaut, la femme Legorjeu, la fille Yvert. Nous avons fait mettre de côté les matières des vomissements, l'urine de la fille Restaut, ainsi que les urines de la femme et du mari Legorjeu, de la fille Emma, pour que le tout soit soumis à l'analyse.

Paris, 6 janvier 1850.

ORFILA, DEVERGIE.

Afin d'abréger, nous avons modifié la rédaction du rapport, sans l'altérer au fond, et supprimé la relation de la maladie de trois autres personnes, auxquelles le même individų avait aussi envoyé des gâteaux arsénicaux; l'une d'elles a succombé. Deux autres faits d'empoisonnement, par l'envoi de gâteaux ou pâtés arsénicaux, se sont passés l'un à Villefranche, l'autre à Sulzbach; dans ce dernier, 6 personnes ont été gravement indisposées.

II.~Levée de corps.

Le médecin, requis par une simple lettre du magistrat, se rend sur les lieux du délit, où il reçoit communication de sa mission, prête serment et se livre aux investigations. Lorsqu'il s'agit d'un grand crime, tel que empoisonnement, assassinat, ordinairement le procureur, le juge d'instruction ou leurs subdélégués se rendent sur les lieux avec un ou plusieurs hommes de l'art, qui, après avoir rempli les formalités d'usage, procèdent comme il suit.

1.- Quel que soit le genre de crime, de mort, l'expert doit s'informer des circonstances qui l'ont précédé, se renseigner auprès des personnes sur les habitudes, le caractère de l'individu, s'il avait ou non manifesté l'intention de se détruire, sur les circonstances enfin qui peuvent faire

connaître la nature du délit, établir s'il y a suicide ou

homicide.

II. Examiner si, sur la cheminée, la table de nuit. dans les armoires, les vêtements, etc., n'existent pas des paquets ou fioles contenant des poudres, des liquides dont on constaterait les caractères physiques, et, à priori, la quantité, sur lesquels on apposerait une étiquette indicative et le sceau du magistrat.

III. Constater l'état des vêtements, des souliers ou pantoufles, s'ils sont dans leur position habituelle, n'ont point été dérangés.

IV. - Voir si le parquet, les draps du lit, les vêtements, les couvertures, etc., n'ont point été salis par les matières des vomissements, n'offrent pas des taches spéciales; si, dans le pot de nuit ne se trouvent pas d'urine, les matières des évacuations. Tous ces objets, après en avoir donné les caractères physiques, seraient recueillis, étiquetés et scellés. '

V. Dans les cas d'asphyxie, d'empoisonnement par les matières gazeuses, il faut noter avec soin l'état des lieux, des ouvertures (portes, fenêtres, cheminée, poêle, etc.), la capacité de la chambre, la position du fourneau, du poêle, du foyer; si la matière gazeuse ne provient pas des pièces voisines; la quantité de cendre, de charbon qui reste encore dans le fourneau; l'état des chandelles, des flambeaux, et leur position relativement à celle du corps du délit, du foyer asphyxiant.

VI. - Constater avec soin la position du corps du délit, de chacune de ses parties, des ouvertures naturelles, l'expression de la figure, l'état des vétements qui l'entourent, l'âge, le sexe de la personne; s'il n'existe pas de traces de lésions extérieures; donner son signalement, si elle est inconnue, les signes externes qu'elle peut présenter, naturels ou

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