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que au même degré que M. Stass dans l'affaire Bocarmé.

XIII.-Dans beaucoup d'expertises légales, on perd la portion du poison destinée à en constater les réactions. Il faut conserver comme preuve à conviction non seulement le poison obtenu à l'état pur, les composés inaltérables dans lesquels il a été engagé, mais encore l'extraire des autres combinaisons, comme l'a fait M. Stass pour la nicotine (page 305), si c'est un alcaloïde; ou bien en le réduisant au flux noir, ou à l'appareil de Marsh, après l'avoir oxydé par l'acide azotique, si c'est un poison minéral.

XIV. Les circonstances dans lesquelles l'expert est appelé à faire des rapports d'analyse toxicologique sont des plus variées: tantôt c'est pour déceler le poison dans les organes, les matières des évacuations, les aliments, les boissons, les condiments; tantôt pour reconnaître la nature des taches, la falsification des actes, des monnaies, la coloration des cheveux, etc. Nous donnerons d'abord un rapport analytique, et nous présenterons ensuite un résumé succinct de ceux qui nous paraîtront les plus importants sous le point de vue chimique, médical et légal, de manière à représenter les principaux cas, à initier autant que possible à la toxicologie pratique.

RAPPORT (Empoisonnement arsénical).

Nous, soussignés, F. Acarie, docteur médecin, E. Masade et J. Darutz, pharmaciens, domiciliés à Valence (Drôme), sur l'invitation de M. Urtin, juge d'instruction, nous sommes rendus, le 27 janvier 1854, dans le cabinet de ce magistrat, où il nous a donné lecture d'une ordonnance, datée du 26 du même mois, qui nous commet: à l'effet de procéder à l'analyse des divers organes extraits du cadavre du nommé F. Roux, de Bouvante, présumé empoisonné à la suite de l'application d'un emplâtre sur un ulcère de la face, remède qui aurait été administré par le nommé Bompard, menuisier à Beaufort, inculpé d'exercice illegal de la médecine, et d'homicide par imprudence. Après avoir prêté serment, M. le juge d'instruction nous a remis

une caisse contenant les restes de François Roux, Cette caisse a été immédiatement transportée dans une des salles du palais de justice, qui devait nous servir de laboratoire. La clef a été remise à la garde de l'un de nous.

La lecture attentive des pièces de la procédure, qui nous ont été remises pour faciliter nos recherches, nous ayant fait présumer que l'emplâtre, appliqué sur la face de Roux par Bompard, pouvait être arsénical, nous avons dirigé nos recherches en conséquence.

La caisse contenant les restes de Roux était en sapin, parfaitement scellée. Elle a été déclouée, et nous en avons extrait quatre pots recouverts en parchemin, exactement scellés, étiquetés no 1, 2, 3 et 4. Le pot n° 1 contenait l'œil et la face, c'est-à-dire la partie des restes de Roux sur laquelle Bompard avait appliqué l'emplâtre; c'est par là que nous avons commencé nos recherches. Après nous être assurés de la pureté de nos réactifs, nous avons opéré dans l'ordre suivant.

I.-Une portion de l'oeil et de la face, du poids de 220 gram., a été carbonisée par 50 gram. d'acide sulfurique concentré et pur. Le charbon, sec et friable, a été traité par l'eau bouillante, pendant 45 minutes. Le soluté, filtré et rapproché, était limpide, peu coloré. Introduit, par petites portions, dans l'appareil de Marsh (dressé selon les préceptes de l'Institut, et fonctionnant à blanc depuis 40 minutes, sans donner lieu à aucune réaction suspecte), bientôt il s'est formé un anneau noir, brillant, dans l'intérieur du tube condenseur, à une petite distance de la partie chauffée, et nous avons pu, en même temps, recueillir de larges et nombreuses taches, sur des soucoupes en porcelaine, du jet du gaz enflammé.

L'hydrogène arsénié se dégageait avec une telle abondance, qu'il échappait en partie à l'action décomposante de la chaleur. L'opération a été suspendue; le restant de la liqueur soumise à un courant de gaz sulfhydrique lavé, a donné du sulfure jaune d'arsenic, qui, lavé et desséché, a été déposé dans le tube n° 1.

Caractères de l'anneau et des taches. - L'anneau se dissout dans l'acide azotique pur et concentré. Le soluté, évaporé à siccité, laisse une poudre cristalline, dont une partie, mise en contact avec un cristal d'azotate neutre d'argent et humectée d'une goutte d'eau, a donné un précipité rouge-brique. L'autre partie, dissoute dans un peu d'eau acidulée d'acide chlorhy

drique et soumise à un courant de gaz sulfhydrique lavé, a formé, au bout de quelques heures, un précipité jaune-serin, soluble dans l'ammoniaque, lequel a été lavé, desséché et conservé sous le n° 2.

Les taches, recueillies sur les soucoupes, ont été reconnues arsénicales aux caractères suivants :

1 A leur couleur d'un brun fauve et à leur éclat métallique;

2o A leur disparition prompte et complète, avec odeur alliacée, à la flamme du gaz hydrogène;

3. A leur dissolution instantanée dans l'hypochlorite de soude;

4° A ce qu'elles se dissolvent dans l'acide azotique pur et concentré; que le soluté, évaporé à siccité, laisse un résidu qui, par l'azotate d'argent, le gaz sulfhydrique, donne les mêmes réactions que l'anneau.

II.-Analyse du foie.-Il est renfermé dans le pet no 3, mêlé à du liquide sanguinolent. 340 gram. sont carbonisés par 110 gram. d'acide sulfurique pur et concentré. Le charbon, sec et friable, est mis à bouillir dans 45 gram. d'eau distillée, pendant 45 minutes, en renouvelant l'eau au fur et à mesure. La liqueur, filtrée et concentrée, était limpide, peu colorée. Versée peu à peu dans un appareil de Marsh (selon les préceptes de l'Institut, et fonctionnant à blanc depuis 40 minutes, sans donner lieu à aucune réaction susperte), il s'est déposé, à peu de distance de la partie chauffée du tube, un auneau noir, brillant. Lorsqu'il a été bien formé, nous avons cessé de chauffer le tube et enflammé le gaz, et recueilli des taches sur plusieurs soucoupes de porcelaine, dont trois sont conservées

sous le n° 3.

L'anneau et les taches retirés du foie nous ont donné absolument les mêmes réactions que l'anneau et les taches décrits plus haut.

Le résultat de l'analyse étant si décisif, nous avons jugé inutile de pousser plus loin nos investigations, et avons laissé intacts les pots no 2 et 4 dans la caisse, à côté desquels ont été déposés les vases n° et 3, renfermant les restes de la face et du foie de François Roux.

Dans cette même caisse, scellée et cachetée, se trouvent aussi, comme preuve à conviction, les pièces n° 1, 2, 3, ainsi que

100 gram. de zinc et d'acide sulfurique, réactifs qui nous ont servi dans nos expériences.

Conclusions.-1 Le nez et la portion du visage de François Roux contiennent une quantité considérable d'arsenic ;

2o Le foie du même individu contient aussi de l'arsenic en quantité très-appréciable.

F. ACARIE, ÉMILE MASADE, J. DARUTZ.

Les experts ont traité le charbon sulfurique par l'eau, sans le soumettre préalablement à l'action de l'acide azotique ou chloro-azotique, se fondant sur ce que, d'après M. Chevallier, cela est parfaitement inutile: cependant le charbon sulfurique, d'abord épuisé par l'eau, peut encore céder de l'arsenic à ce liquide, lorsqu'il est traité par ces acides (voyez page 330).

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Dans plusieurs expertises on néglige une réaction qui nous paraît très-importante, la volatilisation d'une portion de l'anneau arsénical, et sa conversion en acide arsénieux; c'est un moyen de séparer l'arsenic de l'antimoine, de s'assurer si l'anneau est à la fois arsénical et antimonial (voyez page 81).

Nous rapportons plusieurs cas d'empoisonnement par les pâtes ou poudres arsénicales, mercurielles; en voici deux, analogues au précédent, qui présentent quelques particularités. Les époux Delisle appliquent un emplåtre arsénical sur une tumeur du sein, chez deux femmes, après incisions préalables : l'une d'elles, la femme Gérard, · éprouve des symptômes d'intoxication 12 heures après et succombe le quatrième jour. On ne trouve rien de particulier dans les viscères, si ce n'est une perforation du duodénum, qui se fait sous les yeux de l'opérateur, à travers laquelle s'échappa l'extrémité d'un lombric, ce qui donna lieu aux questions indiquées page 187. La carbonisation par l'acide sulfurique démontra l'arsenic dans le sein droit, la rate, le cœur, les poumons, et bien plus dans le foie que dans ces organes réunis.

Chez l'autre personne, la fille A., les accidents se déclarèrent 2 heures après; les symptômes nerveux et cérébraux furent bien plus intenses, et elle succomba le huitième jour. A l'autopsie, rien de notable dans le tube intestinal; sang noir, liquide, dans les organes parenchymateux. Le sein et la tumeur, du poids de 105 grammes, carbonisés par l'acide sulfurique, donnèrent de l'arsenic à l'appareil de Marsh. On n'en retira ni des matières fécales, ni des urines rendues pendant la vie, ni de l'estomac, des intestins, des poumons, du foie.

Un résultat analytique si différent, dans des cas aussi identiques, tient-il à ce que, la fille A., ayant vécu plus longtemps, le poison a pu être éliminé? Mais alors comment expliquer son absence dans les urines pendant la vie? Ou bien l'inflammation du sein, qui s'est déclarée 2 heures après, s'est-elle opposée à l'absorption du poison à une certaine période de la maladie? MM. Bayard et Che vallier (Ann. d'hyg., 1845) rapprochent ce cas de celui d'une femme qui fut prise tout à coup de douleurs de ventre, d'évacuations gastro-intestinales, de prostrations, de symptômes nerveux très-intenses, et succomba en 10 heures. Les linges tachés par les déjections, les liquides de l'estomac, cet organe et les intestins, qui, d'ailleurs, n'offraient aucune lésion, carbonisés séparément par l'acide sulfurique, donnèrent un anneau à la fois arsenical et antimonial, Avec le foie, les poumons, le sang, le tube intestinal, les résultats furent négatifs. Ces toxicologistes pensent que la mort est due à l'action du poison sur le système nerveux; mais, sans nul doute, c'est après avoir été absorbé, et, par conséquent, transporté dans les organes.

L'emplâtre était de toile gommée, offrait à la loupe, ainsi que la tumeur, des points cristallins. On le fit bouillir dans l'eau distillée; la liqueur fut évaporée à siccité; le résidu, · traité par l'alcool pour séparer la matière grasse, repris

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