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CHAPITRE Io.

Absorption, séjour, élimination des poisons.

L'absorption des poisons, les surfaces par lesquelles ils peuvent pénétrer dans l'économie, leur séjour plus ou moins prolongé dans nos organes, ainsi que leur voie d'élimination sont des questions si importantes, sous le point de vue de la toxicologie, de la thérapeutique, qu'elles nous semblent devoir être traitées avec quelques détails.

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Dans le traité de toxicologie spéciale, surtout aux poisons inorganiques de la quatrième section, et aux poisons organiques les plus importants, nous rapportons des observations, des expériences physiologiques et chimiques qui démontrent l'absorption des poisons, que c'est même par suite de leur passage dans le sang qu'ils produisent l'intoxication. Les effets généraux ou spéciaux propres à certains poisons (mercuriaux, cantharides, etc.), l'odeur, la couleur, la saveur, etc., dont s'imprègnent soit les os, la chair des animaux, l'air expiré, le lait, les urines, la sueur, et autres liquides, sous l'influence de certains aliments, médicaments, aromates, matières colorantes, ont dû faire admettre l'absorption de toute antiquité; c'est ce que semble prouver l'expression de passage des poisons, des médi caments dans le sang, qu'on trouve dans les anciens auteurs, ainsi que l'emploi de la ligature du côté du cœur, trèsanciennement employée, pour s'opposer à l'absorption des

venins.

L'absorption des poisons a été mise hors de doute par

plusieurs expérimentateurs, Brodie, Magendie et Delille Christson et Coindet, Segalas, Panizza, Antonio Roselli, Gaetano Strombio, etc. Ces physiologistes ont démontré : 1° qu'un poison, déposé sur le tissu cellulaire d'un membre, dans une anse intestinale, qui ne communiquent avec le corps que par les nerfs et même les vaisseaux lymphatiques, ne produisent pas d'effet toxique, tandis que c'est l'inverse si la communication a lieu seulement par une artère et une veine, et cela même aussi rapidement que lorsque le membre, l'intestin restent intacts; 2° que c'est surtout par les veines que s'opère l'absorption des poisons, ce qui explique la rapidité de leurs effets; 3o qu'une ventouse, appliquée sur le lieu où est déposé le poison, peut en retarder, en suspendre l'effet, même l'annuler, pourvu qu'elle soit appliquée à temps et pendant un temps assez prolongé, (Barry). Enfin nous verrons ci-après que tous les poisons minéraux et plusieurs poisons organiques peuvent être décelés dans le foie et autres organes, les liquides sécrétés, etc.

L'absorption varie, est plus ou moins active selon la surface absorbante, son état normal, pathologique ou physiologique actuel, selon la nature du poison, son état d'agrégation, de division, sa solubilité, les liquides, les substances avec lesquels il est mélangé; c'est ce que nous allons examniner dans autant de paragraphes suivants.

1° Absorption par la peau. Quoique niée par quelques auteurs, elle est mise hors de doute, mais elle est très-lente. Si, dans le cours de ce traité, nous n'avons pu citer des cas d'intoxication par plusieurs poisons appliqués sur la peau, à moins que celle-ci ne fût dénudée par l'effet caustique local, nous en rapportons cependant un assez grand nombre, l'épiderme étant resté intact, par l'opium, les plantes vireuses, l'onguent mercuriel, le sublimé corrosif. Plusieurs auteurs admettent l'absorption des préparations plombiques par la peau et qu'on peut éviter les accidents.

toxiques par des lotions journalières. Dans les journaux on citait un ouvrier qui avait contracté la colique de cuivre, pour avoir immergé, à plusieurs reprises, ses mains dans un soluté de sulfate de cuivre, pour en retirer des plaques de zinc. Westrumb tenant son avant-bras plongé dans de l'eau musquée ou camphrée, son haleine s'imprégna de cette odeur. Des lapins ont éprouvé des symptômes d'intoxication, en 24, 48 heures, par l'application de l'acétate de plomb, de l'émétique dissous sur la peau (Lebkuchner). La pommade stibiée, en friction sur tout le corps, produit cet effet. Landriani, Chaussier, M. Collard de Martigny ont donné lieu à des accidents d'intoxication par l'application des gaz acides carbonique, sulfhydrique sur la peau chez l'homme et les animaux. Les sels solubles tels que l'iodure de potassium, le cyanure jaune sont assez promptement absorbés par cette voie. Des personnes auraient éprouvé la salivation en portant des ceintures en laine contenant du mercure pour combattre la gale; d'autres des accidents graves avec un sachet d'acide arsenieux sur la poitrine, comme moyen préservatif dans une épidémie ; probablement l'absorption s'est opérée par l'intermédiaire de la sueur qui a dissous l'acide arsenieux. C'est ainsi qu'on doit expliquer celle des substances solides par cette voie, aussi est-elle plus active à la partie interne des membres, dans l'aine, le creux de l'aisselle, sur les parties enfin qui transpirent beaucoup, d'après M. Collard de Martigny. Les frictions activent l'absorption. L'épiderme, en raison de son hygrométricité, devient l'intermédiaire de l'absorption.

2o Absorption par les plaies, la peau dénudée. Les poisons, les médicaments appliqués sur la peau nouvellement dénudée, agissent plus rapidement que par l'estomac. L'absorption est très-active sur la plaie d'un vésicatoire récent; des médicaments, à très-faible dose, peuvent alors donner lieu à des effets toxiques (sulfate de morphine, strychnées, etc.). Aux préparations mercurielles, arseni

cales, plombiques, opiacées, cyanhydriques, solanées vireuses, nous rapportons plusieurs exemples d'intoxication, soit par l'application topique de ces préparations sur la peau (alors, si c'est un poison caustique, l'effet général ne se manifeste qu'après l'effet local), soit par suite de leur emploi contre la teigne, les poux, la gale, le cancer, les ulcérations, les loupes, etc. Les accidents sont d'autant moins graves, moins à redouter que l'effet caustique local est plus intense. Dans quelques cas, ils se sont développés à la suite d'un bain, de fomentations liquides, qui, en dissolvant le poison, en ont facilité l'absorption. Celle-ci est plus lente et même nulle sur les plaies calleuses, pseudo-membraneuses. D'après M. Bonnet, l'absorption serait également active sur les plaies suppurantes les vingt-deux premiers jours, ainsi que le quatrième jour après la chute de l'escarre. Elle offre toute son activité lorsque la plaie se couvre de bourgeons vasculaires.

3° Absorption par le tissu cellulaire. Bien plus active que par la voie gastrique, l'effet général se manifeste plus promptement, est plus intense, même avec des doses moindres de poison. Nous citons des empoisonnements graves ou mortels chez les animaux avec 10, 20 centigr. d'acide arsenieux, d'émétique, déposés sur le tissu cellulaire. On sait avec quelle rapidité les strychnées, le curare, le worara, le ticunas, les flèches empoisonnées, le venin des serpents venimeux agissent par cette voie, de même que des arêtes de bois, imprégnées d'un soluté de sublimé, d'acide arsenieux, dans le but de le conserver, chez les individus qui s'en piquent. L'absorption ne serait pas également active sur le tissu cellulaire des diverses parties du corps, du moins selon la nature du poison; ainsi l'acide arsenieux est absorbé dans le même espace de temps sur le tissu cellulaire de la cuisse et du dos, tandis que la mėme dose de sublimé produit l'intoxication en 10, 15 heures sur le tissu cellulaire de la cuisse d'un chien, et en

6, 7 jours sur celui du dos (Orfila). L'absorption des gaz varie; l'oxyde de carbone, injecté dans le tissu cellulaire, est rapidement absorbé et promptement mortel. 1 litre d'acide carbonique disparaît aussi assez promptement, mais sans donner lieu à aucun accident. Si c'est de l'air, l'oxygène seul est absorbé, comme avec nos moyens eudiométriques les plus parfaits. L'azote, l'hydrogène ne le sont point.

4° Absorption par les muqueuses externes. L'acide cyanhydrique agit avec une extrême rapidité par la muqueuse oculaire et linguale; il en est de même avec la nicotine, la conicine. Nous rapportons des accidents saturnins par des collyres, des injections vaginales avec le sous-acétate de plomb. Le tabac, conservé dans des boîtes en plomb ou coloré avec le minium, peut donner lieu à ces sortes d'accidents. Les endormeurs mélangent le tabac à des substances narcotiques dans le but de voler les personnes. Des injections vaginales avec les opiacés, les plantes stupéfiantes, peuvent déterminer le narcotisme; il en est de même lorsque ces poisons sont appliqués sur les autres muqueuses. Nous rapportons qu'un homme aurait fait périr ses trois femmes en leur introduisant de l'arsenic dans le vagin. La muqueuse vésicale absorbe aussi les poisons, mais assez lentement; ainsi l'extrait alcoolique de noix vomique n'agirait, par cette voie, qu'au bout de vingt-deux minutes (M. Segalas).

5. Absorption par la muqueuse gastro-intestinale. L'absorption gastrique, moins prompte que par endermie, par le tissu cellulaire, se trouve modifiée par bien des circonstances, les vomissements, l'état de vacuité ou de plénitude de l'estomac, etc. Dans ce dernier cas, elle est ralentie nonseulement parce que le poison se trouve disséminé dans les matières alimentaires, qu'il forme souvent avec elles des composés insolubles, mais encore parce que l'estomac étant turgescent, sécrétant beaucoup pendant la digestion, le pouvoir absorbant y est moindre; ensuite le

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