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de sandaraque, et ce n'est guère que dans Dioscoride où il paraît être question de l'arsenic blanc ou acide arsénieux. Nicandre et ce dernier auteur parlent des accidents par les oxydes de plomb; cependant les Romains mettaient des lames de ce métal dans le vin, afin de lui faire perdre son acidité, le faisaient même évaporer, à cet effet, dans des vases en plomb, et il a fallu arriver jusqu'au dernier siècle, pour condamner cet usage et savoir que les accidents, désignés sous le nom de colique végétale, n'étaient autres, le plus souvent, que la colique des peintres, due au cidre et autres boissons acides, conservées dans des cuves en plomb. Vitruve connaissait cependant la nocuité que contractait l'eau en passant dans des tuyaux en plomb récemment appliqués, et son innocuité après un certain laps de temps. Les Grecs, les Romains considéraient le mercure comme poison général. Dioscoride parle des masques dont se servaient les mineurs pour se préserver des vapeurs mercurielles. Mais ce métal ne paraît avoir été employé comme médicament que vers le milieu du huitième siècle. La nocuité des préparations antimoniales était connue au quinzième siècle. La découverte, et par suite les effets toxiques des acides sulfurique, nitrique, chlorhydrique datent à peu près de cette époque; celle du phosphore, de 1669. La potasse, la soude, la chaux, le sel de nitre, d'ammoniaque étaient connus des Égyptiens. La découverte des autres poisons minéraux est en quelque sorte toute récente, et la chimie, vers la fin du siècle dernier, surtout dans celui-ci, en a fabriqué un très-grand nombie, a obtenu les produits auxquels les végétaux, les animaux doivent leurs propriétés. La connaissance de la baryte, des acides oxalique, tartrique, cyanhydrique est due à Schéele ; celle des alcalis végétaux date de 1816.

Les Grecs, les Romains attribuaient l'asphyxie des ouvriers des mines à un air irrespirable, que la superstition des siècles suivants a converti en dénon, esprit malin. Ce n'est

guère que vers la moitié du dernier siècle et dans celui-ci que la nature des gaz simples ou complexes aété bien déterminée, qu'on les a distingués en toxiques et asphyxiants, question qui n'est pas encore complétement résolue pour quelques-uns d'entre eux. (Voy. Empois. par les matières .gazeuses, tom. II.)

La science, ou plutôt la pratique de l'empoisonnement, était, peut-être, relativement au moins grand nombre de . poisons connus, autant et plus perfectionnée dans l'antiquité que de nos jours, et, sans remonter aux temps fabuleux de Médée, de Circée, je donte que nous puissions composer un breuvage qui donnàt une mort calme, sans troubles, sans abolition de l'intelligence, comme celui usité chez les Grecs. Nous ignorons encore, ou du moins nous ne connaissons qu'incomplétement la composition de quelques poisons exotiques, celle du worara, du curare, qui servent à empoisonner les flèches, chez les Indiens, les Américains, poisons avec lesquels ils peuvent endormir momentanément les oiseaux, les singes, sans les faire périr, ou tuer les animaux les plus robustes. D'après les missionnaires, les Indiens possèdent des traités spéciaux sur les poisons et les contre-poisons qui remontent à la plus haute antiquité. C'est par le poison que périssaient les criminels, chez plusieurs peuples anciens, ainsi que les rois d'Ethiopie, sur l'ordre des prêtres. Selon Pline, Théophraste, les Grecs auraient appris des Égyptiens l'art de préparer les poisons. Les Grecs, les Carthaginois et autres peuples connaissaient les moyens d'empoisonner les boissons, les fontaines, pour triompher plus facilement de leurs ennemis ou faire capituler les villes. Mithridate, combattant contre les Romains, empoisonna, sur son passage, l'eau des fontaines. Le rusé Annibal, pour dompter Jes Africains, fit mettre de la mandragore dans leur vin, pratique qui a été imitée par les Écossais envers les Danois leurs ennemis, qui l'est encore de nos jours avec le datura

par les endormeurs, pour voler les personnes ou en abuser (Voy. Solanées). En Orient, le cheik de l'ordre des Assassins, pour fanatiser les jeunes musulmans, s'en faire des partisans, les plonge, par le hachich, dans un sommeil ravissant, fantastique, qu'il fait suivre au réveil de réalité. Au quatrième siècle de l'ère romaine, des dames romaines s'étaient associées, dit-on, pour se débarrasser de leurs maris par le poison. A l'époque du cruel Néron, la redoutable Locuste n'avait-elle pas l'art de préparer des poisons qui faisaient périr à une heure déterminée? Dans l'antiquité et le moyen áge, les empoisonnements étaient si fréquents, si redoutés, que les seigneurs, les princes faisaient déguster, par leurs échansons, les boissons, les aliments, et même, comme préservatif, mettaient des pierres précieuses dans les vases.

Le poison est l'arme dont se sont servies plusieurs têtes couronnées pour satisfaire leur vengeance, leur avarice ou se débarrasser de leurs compétiteurs. L'Italie, au quatorzième siècle, a eu son Néron dans le pape Borgia, sa Locuste, au dix-septième, dans la Tophana, femme qui a fait périr plus de 600 personnes par l'acqua-di-Napoli (voyez Arsenic). La Scala, son héritière, était à la tête d'une affiliation de 150 femmes, dont le but était de se débarrasser, par le poison, de leurs maris débiles ou trop vieux. Vers le milieu du dix-septième siècle, la Brinvilliers, assistée de SainteCroix, son amant, a empoisonné son père, ses deux frères, sa sœur et autres personnes. De nos jours les empoisonnements multiples sont moins fréquents, cependant nous en citons plusieurs dans le cours de ce traité, et il est incroyable que la servante Jegado (assises de Rennes) ait été convaincue d'avoir fait périr 45 personnes, par l'arsenic, de 1853 à 1849. Combien d'autres empoisonnements accidentels ou criminels passent inaperçus! Cela dépend probablement de ce que les médecins ne s'occupent pas assez de toxicologie médicale.

La toxicologie empruntant ses données, ses moyens d'investigation aux sciences naturelles et médicales, consistant même dans l'application de ces sciences à la solution de quelques problèmes toxicologiques, a dû nécessairement progresser comme elles. La chimie étant encore dans l'enfance vers la fin du dernier siècle, ne lui a été jusqu'alors que d'un bien faible secours; aussi les rapports, avant cette époque, quant à la partie chimique, peuvent être considérés comme nuls ou très-incomplets. Depuis, l'analyse qualitative s'est perfectionnée; on a découvert des réactifs plus súrs, plus délicats, plus nombreux pour caractériser chaque poison en particulier, des procédés analytiques pour les déceler, non-seulement dans les matières alimentaires, le tube intestinal, mais encore dans le foie, les urines et autres parties solides et liquides du corps, quelle que soit la voie d'introduction. L'analyse a même tellement fait de progrès à cet égard, surtout depuis la découverte de l'appareil de Marsh (1836), et les procédés sont si parfaits, qu'il y a souvent impossibilité de démontrer si le poison, retiré des organes, provient d'un empoisonnement, ou s'il a été donné comme médicament, etc., question très-importante, sur laquelle nous avons beaucoup insisté aux préparations arsenicales, cuivreuses, plombiques, etc., et sur laquelle nous reviendrons ci-après.

Quant aux poisons organiques, la chimie n'avait été jusqu'ici que d'un bien faible secours pour les déceler dans les matières alimentaires, surtout dans les organes, les liquides où ils avaient pénétré par absorption, et, malgré les recherches tentées par plusieurs auteurs, le plus souvent elle était impuissante pour résoudre une question d'empoisonnement, si la botanique, la zoologie, la pharmacologie, la pathologie ne lui eussent prêté leur concours. Depuis l'affaire Bocarmé, M. Stass a ouvert une nouvelle voie pour la recherche de la nicotine, qu'il a démontrée dans la plupart des organes. La niême méthode analytique

a été suivie avec succès par M. Orfila, pour la recherche de la conicine sur les animaux empoisonnés par cet alcali. Déja M. Flandin avait démontré la morphine dans le foie, et même dans l'eau de l'amnios, le fœtus, sur des singes femelles, par un procédé qui serait aussi applicable à la recherche de la strychnine, de la brucine, etc. M. Stass a appliqué de nouveau son procédé à la recherche des alcalis végétaux. Espérons qu'avec l'investigation dévorante qui domine cette époque, on arrivera aux mêmes résultats que pour les poisons minéraux, et que la toxicologie organique offrira désormais, sous le rapport chimique, la même certitude que la toxicologie inorganique.

La toxicologie médicale ou plutôt la connaissance des effets des poisons a donc précédé la toxicologie chimique. Si dans les œuvres d'Hippocrate il n'est point question des poisons, de leurs effets, c'est que le père de la médecine avait fait le serment de ne pas en parler, l'avait imposé à ses élèves, serment qui a été observé par Pline et Galien, lesquels parlent seulement des contre-poisons, d'une manière générale. Depuis Erasistrate, Nicandre, qui ont publié un ouvrage sur les poisons, il a paru plusieurs traités spéciaux, les médicaments ont été considérés sous ce point de vue dans plusieurs ouvrages de matière médicale, des expériences ont été tentées sur les criminels, sur les animaux dans le but d'étudier les effets des poisons et des contrepoisons, des observations ont été recueillies avec plus de soin, aussi la toxicologie médicale, du moins pour quelques poisons, était-elle aussi avancée dans les siècles précédents que de nos jours. Les faits d'empoisonnement sont même si nombreux chez l'homme, qu'une personne, versée dans la langue allemande et anglaise, pourrait faire une monographie complete sur chaque poison en particulier, du moins pour les plus importants. Dans quelques traités ex professo, depuis surtout que la chimie a donné une si grande impulsion à la toxicologie, on a un peu trop négligé

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