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Les Latins ont eu aussi leurs Epigrammatistes. Catulle en fait un assez grand nombre, parmi lesquelles il n'y auroit pas de choix à faire, si l'épigramme se contentoit d'un tour heureux et délicat et qu'elle n'exigeât point l'honnêteté et la décence. Martial en a donné un recueil fort ample, sur lesquelles il a porté lui-même le jugement qui suit (a): De mes épigrammes les unes

Sont bonnes, les autres communes, Beaucoup ne valent rien: tant pis; mais franchement Je m'en rapporte au plus habile,

En ce genre il est difficile

De faire un volume autrement.

M. de la Monnoye.

Catulle est plus doux, plus aisé, plus naïf. Martial est plus vif, plus fort et plus serré.

Nous n'avons gueres de poëtes françois qui n'aient fait quelques épigrammes. On estime celles de Marot, de Saint-Gelais, de Gombaut, sur-tout pour la naïveté. Celles des autres auteurs sont dans le genre gracieux ou satyrique, selon le génie et le caractere

Ex lib. primo.

(a) Sunt bona, sunt quædam mediocria, sunt mala plura,

Quæ legis hic aliter non fit, Avite, liber.

de ceux qui les ont faites, ou selon l'occasion qui leur a donné matiere. On les nommera à mesure qu'on citera leurs vers. Il s'agit maintenant d'expliquer la nature de l'Epigramme, de dire quelles sont ses parties, ses qualités essentielles.

CHAPITRE II.

Ce que c'est que l'Epigramme.

IL y des auteurs qui ont défini l’Epi

gramme, une pensée ingénieuse. Le terme ingénieux ne nous paroît pas d'une assez grande étendue, pour renfermer toutes les especes d'Epigrammes; parmi lesquelles il y en a un grand nombre, où cet esprit que désigne le mot ingénieux ne se trouve point : par exemple, celleci de Maynard :

Las d'espérer et de me plaindre

Des Muses, des Grands et du Sort,
C'est ici que j'attends la mort,

Sans la désirer ni la craindre.

Cette pensée, ou plutôt ce sentiment ainsi exprimé, est une vraie épigramme. Cependant elle n'a point ce pétillant ces étincelles qui se trouvent dans ce qu'on appelle une pensée ingénieuse.

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Nous définirons donc l'Epigramme,

une pensée intéressante, présentée heureusement et en peu de mots.

Sa matiere est d'une très-grande étendue: elle s'éleve à ce qu'il y a de plus noble dans touts les genres: elle s'abaisse à ce qu'il y a de plus petit : elle loue la vertu, censure le vice, venge le public des impertinences d'un fat, ou d'un sot, etc. Il semble cependant qu'elle se trouve beaucoup mieux dans les genres simples ou médiocres, que dans le genre élevé parce que son caractere est l'aisance et la liberté.

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L'Epigramme a nécessairement deux parties: l'une qui est l'exposition du sujet, de la chose qui a produit ou occasionné la pensée; et l'autre qui est la pensée même, ce qu'on appelle la pointe c'est-à-dire, ce qui pique le lecteur, qui l'intéresse. L'exposition doit être simple, aisée, claire, et la pensée, libre par ellemême et par la maniere dont elle est tournée. Ces qualités seront expliquées nécessairement en expliquant la définition.

L'Epigramme est une pensée: ce mot ne comprend pas seulement les idées les jugemens, les raisonnemens, mais encore les sentimens. L'Epigramme de Maynard que nous venons de citer, en est un exemple. En voici une autre de Martial.

Je ne vous aime point Hylas,
Je n'en saurois dire la cause;

Je sais seulement une chose,

C'est que je ne vous aime pas (a).

Il n'y a dans cette pensée que le seul 'sentiment.

En second lieu l'Epigramme doit être intéressante, présentée heureusement, et en peu de mots. Ce sont les trois qualités qui constituent la différence de l'Epigramme avec les autres especes de poëmes.

1.° La briéveté lui est essentielle : ce n'est qu'une seule pensée. S'il falloit, pour arriver à cette pensée, essuyer la pour lecture d'un grand nombre de vers, le lecteur ne seroit point assez payé de sa peine. C'est pour cela vraisemblablement que les épigrammes de Maynard, quoique très-bien versifiées, sont lues aujour d'hui de si peu de personnes. D'ailleurs il est bien difficile qu'une seule pensée soit assez riche pour communiquer une partie de ce qu'elle a de piquant à quinze ou vingt vers qui la précedent, et cohserver encore assez de force pour paroître saillante en finissant. Voici celle

Ex. Lib. primo.

(a) Non amo te, Sabidi, nec possum dicere quare: Hoc tantùm possum dicere, non amo te.

de Maynard au Cardinal de Richelieu, qui a été si fameuse, et parce qu'elle est bien faite, et par la réponse que fit le Cardinal.

Armand, l'âge affoiblit mes yeux,

Et toute ma chaleur me quitte :

Je verrai bientôt mes aïeux

Sur le rivage du Cocyte.

C'est où je serai des suivans

De ce bon Monarque de France (a),
Qui fut le pere des Savans

Dans un siecle plein d'ignorance.
Dès que j'approcherai de lui,
Il voudra que je lui raconte
Tout ce que tu fais aujourd'hui
Pour combler l'Espagne de honte.
Je contenterai son désir

Par le beau récit de ta vie,
Et charmerai le déplaisir
Qui lui fit maudire Pavie (b).
Mais s'il demande à quel emploi
Tu m'as occupé dans le monde,
Et quel bien j'ai reçu de toi,

Que veux-tu que je lui réponde (c) ? Rien n'est mieux fait, ni mieux tourné que cette épigramme, et néanmoins il semble qu'on est long-temps pour arriver au but. Celle-ci est bien plus vive:

(a) François I.le Restaurateur des Lettres en France. (b) François I. fut fait prisonnier au siége de cette ville

et de là mené à Madrid.

(c) Quand on présenta cette épigramme au Cardinal de Richelieu, après le dernier vers, il répondit: Rien,

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